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Si le Printemps arabe a survécu en Tunisie, le pays où tout a commencé, c'est parce que le gène de la violence politique n'est pas dans l'ADN de ce pays. Pour plusieurs raisons.

Par Hédi Ben Aïcha*

La Tunisie, berceau du Printemps arabe, est un pays nord-africain de la taille de la Nouvelle Angleterre, enchâssé entre deux producteurs géants de pétrole, la Libye à l'est et l'Algérie à l'ouest. L'utilisation du terme «enchâssé» est intentionnelle: contrairement à ses voisins, où une éthique religieuse conservatrice règne, la Tunisie a toujours été une oasis de la modernité, dans cette région et à travers tout le Moyen Orient.**

Les évènements qui ont mis en branle ce que les Tunisiens appellent la ''Révolution du jasmin'' ont été amplement étudiés et documentés, pour que l'on y revienne. (...)

Dès le début des soulèvements du Printemps arabe, les observateurs s'attendaient à ce qu'une démocratie régénérée naisse en Tunisie, cependant, ailleurs, la violence assombrissait les perspectives de la réforme démocratique, ainsi qu'il a été le cas pour l'Egypte, la Libye, le Yémen et la Syrie. Dans un article du 25 octobre 2014, intitulé «Une lumière pour les pays arabes», ''The Economist'' britannique a souligné notamment que «l'espoir de voir les soulèvements populaires contre les dictateurs arabes, en 2011, produire justice et démocratie a cédé au désespoir, au chaos et à une inimaginable effusion de sang. Cependant, l'esprit du Printemps arabe a survécu dans le pays où tout a commencé, à savoir la Tunisie.»

Deux voies: modération et islam importé

Toutefois, le processus de la transition démocratique en Tunisie n'a pas été sans écueils. A la suite d'une brève lune de miel initiale qui a réuni la multitude des tendances politiques tunisiennes, les luttes entre factions rivales ont pris le dessus et mis à mal, à plusieurs reprises, la stabilité politique du pays. Entre 2011 et 2014, la Tunisie a connu des soubresauts politiques et sociaux sans précédent. Durant cette période tumultueuse, le pays en est même venu à la violence physique, principalement exécutée par de petits groupes extrémistes affiliés aux islamistes radicaux proche-orientaux.

Dans le même temps, les Tunisiens – toutes appartenances socio-économiques confondues – ont entrepris une réflexion profonde sur la vision de leur nouvelle Tunisie. A l'occasion de cette introspection, deux parcours nets et séparés se sont dégagés: celui de la voie d'une nation moderniste et laïque, à l'aise dans la négociation d'une ligne de vie culturelle entre l'est et l'ouest, ou celui de la voie conservatrice – et je pourrais même dire importée – d'un islam politique qui se méfie des sciences, des droits civiles et garde ses distances des principes universels de l'égalité des minorités et des femmes.

Au lendemain de la révolution, les Tunisiens ont élu un gouvernement provisoire dominé par les islamistes (d'Ennahdha, Ndlr). Très vite, les électeurs se sont ravisés sur l'extrémisme religieux que leur vote a impliqué et ont décidé de mettre un terme au mandat de ce gouvernement étouffant (des coalitions appelées Troïkas 1 et 2, Ndlr) et ses visées islamistes.

Au début de 2014, les Tunisiens ont rédigé et adopté une constitution qui est, de très loin, la plus progressiste et la plus laïque de toute la région moyen-orientale. Passant rapidement à l'étape suivante, à la fin de l'année 2014, les Tunisiens ont démocratiquement élu un nouveau pouvoir législatif et un nouveau président, tous deux laïcs et résolument engagés à respecter et à faire respecter la nouvelle constitution du pays.

Une question de gènes

Alors que la Tunisie poursuit son petit bonhomme de chemin, son peuple et ses alliés occidentaux ne se départissent pas de leur vision optimiste quant à l'avenir de ce pays. En dépit de certaines actions terroristes isolées – l'attaque récente contre le musée du Bardo du 18 mars 2015 en est un exemple douloureux –, nombre d'experts continuent de croire qu'il n'y a aucune trace de violence politique dans l'ADN de la Tunisie. Et cela pour plusieurs raisons.

Il y a, en premier lieu, cette indéniable homogénéité qui caractérise le tissu socio-politique tunisien, c'est-à-dire une classe moyenne instruite et une Tunisie qui a opté résolument pour la modernité depuis le milieu du 19e siècle, bien avant même la colonisation du pays par la France, entre 1881 et 1956.

Il y a aussi l'islam modéré du peuple tunisien, sa tolérance et l'acceptation de l'autre qui ont depuis très longtemps été des traits distinctifs de l'identité tunisienne. Pour rappel, la Tunisie a aboli l'esclavage en 1848; elle a établi la première école militaire moderne, rédigé la première constitution, en 1864, et mis en œuvre un plan de modernisation de ses systèmes de santé et d'éducation – tout cela, avant même l'instauration du protectorat français.

Malgré le contrôle de la France, sous le régime du protectorat, la Tunisie a été capable de mettre en place un gouvernement moderne qui a su transcender tous les sectarismes tribaux, religieux et autres, et jeter les bases, sous la direction de Habib Bourguiba, à partir de 1956, d'un mouvement d'indépendance qui s'est déroulé sans effusion de sang.

Elu premier président de république de Tunisie, Bourguiba a mis le pays sur la voie de la construction démocratique: il a aboli la polygamie, entrepris une révision de fond en comble des codes légaux et accordé aux femmes tunisiennes plus de droits – y compris en matière de procréation – que dans certains pays européens, à l'époque. Avec l'âge, Bourguiba a cédé à la tentation dictatoriale. En 1987, Ben Ali succéda à Bourguiba et, en dépit des espoirs d'une plus grande ouverture politique que sa prise du pouvoir a pu susciter, au début de son règne, il a lui aussi succombé aux démons de la tyrannie, ajoutant à sa dictature les corruption et népotisme qui ont provoqué la Révolution du jasmin et mené à sa chute.

A présent, sous la direction d'un gouvernement laïc et moderne, une occasion historique s'offre à la Tunisie de renouer avec la pratique démocratique et d'être une oasis de stabilité politique dans les régions nord-africaine et proche-orientale.***

Texte traduit de l'anglais par Marwan Chahla

* Hédi Ben Aïcha (orthographié Hedi BenAicha, dans le texte original) est vice-président et doyen adjoint des ressources documentaires et universitaires au Système des universités publiques américaines (APUS, en anglais).

**L'article que nous traduisons, ici, a été posté sur le site officiel de l'Université militaire américaine, ''InHomelandSecurity.com'', le 7 avril 2015.

***Les intertitres sont de la rédaction.

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