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Le système d'enseignement dans notre pays est très malade. Il s'agit de diagnostiquer ses maux et d'y trouver des remèdes adéquats. Il y va de l'avenir de la société dans son ensemble.

Par Monia Sanekli

Notre système d'enseignement va mal, très mal... Il ne s'agit point de chercher un coupable ou un fauteur. Il s'agit pour nous de diagnostiquer le système et dégager ses insuffisances et déficiences qui, une fois relevés, pourraient nous ouvrir une voie plus audacieuse et plus riche.

1- La confusion entre enseignement et éducation

Cette confusion fondamentale a fait qu'une grande erreur et une grosse méprise s'installent dans notre système.

L'éducation est une tâche basiquement familiale. L'enfant étant censé recevoir un encadrement familial qui lui permet l'adaptation aux normes de la société et l'acquisition d'un minimum de règles morales lui permettant ensuite une maturité morale relative lui permettant l'adaptation, l'acquisition et la réception du savoir, des arts et de la compétence ainsi que l'adaptation sociale au sein d'un groupe.

La famille est le pilier de l'enseignement, étant elle-même une institution sociale. On doit lui restituer sa responsabilité première.

Le ministère de l'Education est une institution de transmission du savoir et il est hors de ses moyens d'assumer l'éducation. Il s'agit de sensibiliser les parents et responsabiliser la famille vis-à-vis de l'enfant et l'avenir de la société.

Un enfant intégrant l'enseignement est un enfant qui a déjà acquis un ensemble de réflexes et de réactions et un ensemble de valeurs dont l'enseignement, en tant qu'institution, ne peut ni revoir ni réinitialiser.

Cette confusion fondamentale a fait que notre société souffre de démission éducative, les parents comptant sur l'enseignement et l'enseignement, par la nature des choses, se voit confronté à une mission impossible.

La famille éduque, l'enseignement transmet le savoir.

2- La valorisation des sciences humaines et artistiques

L'enseignement a subi, pendant les deux dernières décades, un changement d'objectifs lié à la loi du marché, marginalisant ainsi les études des sciences humaines et artistiques et misant essentiellement sur les sciences exactes et technologiques.

Cette politique d'enseignement a largement contribué à sacrifier des aptitudes essentielles et à refouler des capacités créatives très utiles soit pour l'intelligence individuelle soit au niveau de la rationalisation des compétences.

L'intelligence scindée en deux et vidé de sa matrice, à savoir la réflexion, la pensée, la critique, la création et l'imaginaire, en bref, l'humanisation du savoir et des compétences autrement, a contribué à la création d'une société froide ignorante, consommatrice jamais innovatrice.

Nous avons besoin d'un enseignement qui allie les besoins pragmatiques et utiles aux besoins spirituels, artistiques et surtout moraux.

On a observé un important recul des sections littéraires et artistique, allant jusqu'à les considérer «indésirables» et «futiles», ce qui a, pour effet et conséquences, des élèves et des étudiants avec des faiblesses dans la langue, les capacités critiques, la réflexion, la création, et surtout l'apport personnel, qui est le pilier de tout savoir. On a crée des machines sans âmes et sans de vraies capacités.

L'instrumentalisation du savoir a tué le savoir ainsi que les savants et les adeptes et de ce fait toute la société. On vit dans une société sans âme. Il va sans dire que cette instrumentalisation scientifique fragilise les jeunes, les rend susceptibles et égarés, en l'absence d'un repère spirituel qu'ils devrait trouver soi en eux-mêmes soit dans une éthique du savoir.

C'est cet égarement du à l'instrumentalisation de la vie et de la société qui accentue leur plongée dans l'extrémisme.
Le savoir est d'abord une valeur humaine, ensuite une utilité.

3- La violence

La violence dans les collèges et les lycées est presque légitime si on prend en considération ce qui s'y passe. La violence n'est autre qu'une évacuation. Le système de l'enseignement doit être capable de prendre en charge soit l'énergie cérébrale soit l'énergie physique des jeunes pour leur permettre une évacuation utile et bien gérée.

L'enseignement de l'éducation physique souffre de manque de moyens et d'intérêts. Substituer un nouvel enseignement qui prend en charge essentiellement l'évacuation de l'énergie négative chez le jeune et l'initier à la discipline physique et le contrôle de soi est une nécessité urgente dans nos écoles et nos lycées. Le jeune apprendra l'auto-contrôle et l'évacuation physique positive de ses colères et pulsions de violence. Des cours de combat, auto-défense, taekwondo et évacuation énergétique seront intégrés dans l'enseignement de l'éducation physique.

Le jeune est violent car son énergie physique n'est ni gérée ni prise en charge par la famille ou par le système d'enseignement.

Eleves jouant avec des tablettes

4- Faire renaître la tradition des clubs obligatoires

Faisant partie de l'emploi du temps de l'élève, ces clubs destinés à l'exercice libre et spontané des capacités du jeune: théâtre, informatique, débat philosophique, création mathématique, musique, peinture, etc. Ce qui sera novateur, c'est que ces clubs seront obligatoires et insérés des les emplois du temps des élèves et des professeurs, sans pour autant subir une évaluation et un examen. Ce rituel pourra aider les élèves à apprendre la liberté d'expression, de pensée et de création.

5- Revoir les coefficients

L'élève motivé par la réussite et l'avenir sevoit, naturellement et inconsciemment, plus intéressé par les matières à forts coefficients que les autres. Un mauvais calcul instinctif, dont on a beau apprendre l'inutilité, c'est un reflexe irréparable. Les savoirs s'égalent et leurs différences concernent l'objet et non la valeur. Rapprocher les coefficients est une politique efficace soit pour la pédagogie et la réussite, soit pour la richesse de la formation de l'intelligence du jeune, étant donné qu'il serait adéquat pour lui de travailler pour l'assimilation de tout savoir en attendant sa spécialité qui ne se précisera qu'aux études supérieures.

6- Valoriser l'enseignement de la philosophie

Une vague sociale antiphilosophie s'est installé depuis l'ère de Ben Ali et sa politique d'abrutissement de la société, allant même jusqu'à la revendication de la suppression de la discipline en créant un préjugé négatif la condamnant par son caractère exigeant des capacités critiques et de réflexion.

Ainsi, les élèves se trouvent de plus en plus désintéressés (sauf les très brillants) allant jusqu'au dénigrement de la discipline. Ceci n'est pas étonnant, car toutes les sociétés sous-développées fuient la pensée et la responsabilité de soi, et misent sur la paresse cognitive et intellectuelle.

Ce malentendu a beaucoup contribué à la politique de l'abrutissement et le règne de l'ignorance et du dogmatisme, champ très propice et très fructueux pour l'extrêmisme.

Il serait peut-être temps de repenser les objectifs de notre enseignement en lui intégrant la pensée, la critique et la responsabilité de soi, via la valorisation du savoir philosophique. Il serait important de revoir les coefficients et le nombre d'heures qui lui sont consacrés, en pensant à plus d'heures d'enseignement et un coefficient plus fort, tout en allégeant le programme philosophique et en le libérant de l'érudition et des textes trop académiques et les thèmes trop spécifiques et inappropriés, autrement rendre le programme plus adapté aux besoins et intérêts des jeunes ainsi qu'aux exigences d'une société qui aspire à la modernité et à la coexistence. Un élève m'a une fois posé la question: «Madame, ça sert à quoi la philosophie»; je lui ai répondu: «Le charbon a une utilité, le diamant a une valeur». Je crois qu'il a bien saisi.

7- Rationnaliser l'administration

Une institution ne fonctionne que par la bonne gestion. Même si elle est pourvue de toutes les compétences possibles, une mauvaise gestion administrative peut tout bloquer et même mener à la totale médiocrité des rendements et de l'atmosphère de travail.

Nos institutions scolaires souffrent énormément de ce déficit de gestion administrative. Les nominations sont souvent arbitraires et même abusives car ne répondant à aucun critère scientifique. Eviter les nominations arbitraires et partiales est donc une urgence pour notre système d'administration. Edifier des critères scientifiques et des conditions rationnelles de professionnalisme est très souhaitable. Un administrateur devrait être doué pour sa fonction. C'est pourquoi, choisir des priorités de spécialités est très utile : des diplômés de l'ENA, des psychologues, des sociologues, des philosophes, des compétences dans la communication, etc.

Un directeur d'une institution de l'enseignement détient une responsabilité morale vis à vis de la société et du savoir.

8- Revoir le système disciplinaire

Aucun apprentissage n'est possible sans discipline, c'est une loi et une règle très ancienne et basique dans tout apprentissage humain quel que soit le domaine. Sans discipline, rien n'est possible, or on est en train de remarquer que nos enfants baignent de plus en plus dans le laxisme, soit familial soit institutionnel.

L'autorité n'a plus d'autorité, le symbole est empiété et un semi chaos règne. Il va de soi qu'une discipline, même injuste, vaut pour l'apprentissage et l'évolution d'un enfant ou d'un jeune davantage que l'impunité et le laxisme, qui nourrissent la paresse, le flegmatisme et la mentalité de l'assisté.

Il serait peut-être temps de revoir la politique disciplinaire de nos institutions et lui rendre son autorité, sa consistance et son efficacité.

9- Repenser les critères d'évaluation et le système d'examen

Notre système d'examen est très formel et inefficace et ne fait en aucun cas évoluer l'élève durant l'année, et on peut dire que les notes d'examens ne reflètent pas toujours le vrai niveau de l'élève.

Il s'agit donc de favoriser l'esprit d'initiative et l'effort personnel en intégrant la recherche, la réflexion, la création et l'imagination.

L'élève ne devrait pas vivre l'examen comme un piège mais comme une occasion de se faire valoir. Un examen trimestriel espacé par des travaux de recherche, des fiches de lectures et des travaux dirigés, et qui seront notés avec la même valeur et le même sérieux, valent mieux qu'un examen sur table.

10- Installer un système de cours d'été obligatoire

Les vacances sont certes une occasion pour les jeunes ainsi que pour les enseignants de décompresser et de se revitaliser. C'est aussi une occasion pour des activités de jeunes et de cours dans la convivialité et la bonne humeur.

Rejoindre un cours d'été est optionnel aussi bien pour l'élève que pour l'enseignant, sauf que pour le ministère, il serait obligatoire. Aussi devrait-il créer toutes les motivations possibles, la rémunération spécifique pour les enseignants, les certificats d'aptitude et les prix pour les élèves.

S'ils sont bien gérés et bien encadrés dans l'espace et le temps, ces cours d'été peuvent motiver l'enseignant et l'élève.

11- Alléger les programmes

Faire valoir la qualité du savoir et non sa quantité. Trop d'informations tue la pensée et la création. Le bourrage de crâne est inutile et l'utilisation de l'information vaut plus que l'information elle-même.

Il s'agit d'alléger toutes les disciplines sans exception et miser sur le bon apprentissage, l'exercice, la critique, le débat, plutôt que la mémoire répétitive sans efficacité.

Il s'agit de soumettre la mémoire aux exercices et aux usages du savoir, plutôt que de sacrifier l'exercice pour une mémoire remplie sans capacité créatrice.

Notre société, les enjeux de l'avenir et une culture en bonne santé dépendent du système de l'enseignement. Prendre en charge ses déficiences est une responsabilité historique.

* Professeur agrégée, chercheur en philosophie.

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