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C'est faute de partenaires fiables et crédibles à gauche, que Nidaa Tounes a été acculé à impliquer les islamistes d'Ennahdha dans le gouvernement. Un moindre mal...

Par Salah El-Gharbi*

Salah El GharbiDepuis quelques jours, des voix d'indignés s'élèvent pour dénoncer à l'unisson «la trahison de Nidaa». Certains même, forts de leur «science», croient déceler, chez les dirigeants de ce parti, une certaine «schizophrénie» en reprochant à ses responsables d'avoir manqué à leurs promesses électorales en «s'alliant» à Ennahdha, l'adversaire d'hier.

S'il est légitime que des formations politiques – comme le Front populaire ou El-Massar, ce club sympathique –, tout en se réjouissant dans leur for intérieur de cette «maladresse» commise par leurs anciens alliés devenus des rivaux, s'acharnent becs et ongles contre les «Nidaistes» dans l'espoir de récupérer une partie de l'électorat de Nidaa, déçue par les choix politiques de leur parti, il est incongru que des intellectuels de «gauche», férus de sciences politiques, tel notre vénérable professeur Hamadi Redissi, se mettent au diapason des discours politiciens, pour pourfendre les choix stratégiques de Béji Caïd Essebsi (BCE) pour la période à venir.

Ennahdha : un «mal nécessaire»

En ce qui me concerne, et même si la composition de l'équipe gouvernementale de Habib Essid est loin d'être fort enthousiasmante, je reste persuadé que la participation d'Ennahdha, sous sa forme actuelle, est un moindre mal, voire un «mal nécessaire» que les circonstances politique ont rendu inévitable.

Pour BCE, le choix n'était pas facile. Avec qui gouverner? C'était la véritable question. Fallait-il rester à la merci de l'UPL et d'Afek, deux formations politiques fragiles dont les accointances avec Ennahdha ne sont un secret pour personne? «Mais, il y avait le Front, qui aurait pu constituer un bon allié», objectent certaines âmes zélées.

Certes, objectivement, les «camarades» de Hamma Hammami auraient pu, malgré tout, faire l'affaire. Toutefois, à entendre, ces dernières semaines, les discours vénéneux des cadres du Front, et à voir les tergiversations de ses douze apôtres marxo-léninistes, baâtho-nassériens qui nous rappellent les campus universitaires des années 70, il n'y avait pas de quoi se rassurer.

A l'évidence, c'est faute de partenaires fiables et crédibles, que Nidaa a été acculé à impliquer les islamistes, lesquels pourraient, paradoxalement, faire preuve d'un esprit de responsabilité, par rapport à l'amateurisme politique des uns et l'opportunisme des autres. En fait, lucide, sachant pertinemment qu'esseulé, marginalisé, Ennahdha serait capable de beaucoup de nuisance, BCE a choisi la voie de la raison.

Incontestablement, la méfiance à l'égard des islamistes reste légitime. Mais cette méfiance ne doit pas nous aveugler de nous empêcher de faire une lecture perspicace de la complexité de la réalité politique du pays.

Apprendre à vivre ensemble en paix

Ignorer le poids de cette composante socio-politique, de surcroit très agissante, forte d'un million de voix, serait une faute politique impardonnable. Lui tourner le dos ne ferait que creuser encore plus le fossé qui existe entre les deux projets de société qu'incarnent et continueront à incarner les deux plus grandes formations politiques du pays, en l'occurrence Ennahdha et Nidaa. Contre la tentation de l'évitement, qui consiste à ignorer la réalité du pays, le défi de BCE, et l'histoire lui donnera raison, consistait à œuvrer à domestiquer la «bête» qui sommeille chez les «durs» parmi les islamistes...

D'ailleurs, il est indéniable que les «islamistes», malgré leurs manœuvres sournoises, leurs louvoiements et leurs machineries ne font qu'évoluer, jour après jour, parfois même à leur insu. Alors que la «gauche», cramponnée à quelques préceptes idéologiques surannés, patauge, ruminant des litanies ternes et insipides, les islamistes tunisiens s'activent, accompagnent les mutations, s'y adaptent, certes contrariés, mais ils ne lâchent pas prise et adoptent des modalités d'action toujours renouvelées. En fait, ils apprennent à faire de la politique.

Enfin, pour ceux qui, comme notre professeur es-sciences politiques, trouvent «anti-démocratique» l'absence d'une opposition forte, il suffit de leur rappeler que la démocratie, avant d'être un modèle politique figé, reste, avant tout un état d'esprit. L'expérience du Pakistan et celle de l'Inde sont à méditer.

Commençons d'abord par apprendre à vivre ensemble en paix, loin des calculs politiques mesquins et des gesticulations médiatiques gratuites et stériles.

* Universitaire.

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