Kamel Jendoubi Banniere 2015

Allocution prononcée par l'auteur à l'occasion de l'hommage en l'honneur de Kamel Jendoubi, le 11 février 2015, à la Mairie du 3e arrondissement de Paris.

Par Houcine Bardi*

Lorsque le Premier ministre avait annoncé, en janvier, la composition de son premier gouvernement (les plaisantins diront «l'ex-futur-gouvernement»), et qu'il avait cité le nom de Kamel en lui attribuant la double charge des institutions constitutionnelles et des rapports avec la société civile, certains d'entre nous se sont pressés de s'appeler pour communier à travers les ondes et se congratuler: ouf, il l'a fait !

A vrai dire, ce n'était pas une grande surprise – surtout pour les happy few qui en ont eu vent – tant il est vrai que Kamel avait toute sa place, et bien davantage encore, au sein du premier gouvernement de la IIème République tunisienne. Les chantiers en attente sont tellement vastes et multiples que des hommes comme lui nous sont d'un très grand secours pour rehausser la Tunisie, réhabiliter l'État de droit et forger le socle constitutionnel des institutions de cette nouvelle et frêle République.

Ce petit mot n'est ni un éloge ni une apologie de notre pote fraîchement désigné ministre de la République, dont (d'ailleurs) la modestie, la discrétion et l'humilité, l'ont toujours fait rechigner l'encensement. Mes pauvres textes martyrs (je vous laisse deviner qui les appelaient ainsi...) que je soumettais au CRLDHT (la plupart du temps sur sa demande ou celle de Moha) peuvent encore en témoigner: c'est un vrai massacre à la tronçonneuse que leur faisait systématiquement subir monsieur le président chaque fois qu'un mérite lui est attribué!

Nous sommes contents, fiers et confiants et nous tenons à te le dire publiquement, cher Kamel. Il est donc interdit, non pas d'interdire, mais de bouder son plaisir. On y a d'autant plus droit que cette fois-ci l'on se trouve affranchi de ta plaisante censure.

Contents et fiers à la fois parce que un des nôtres, et non des moindres, est enfin reconnu pour ce qu'il est: un vrai homme d'État... parfaitement en mesure d'assumer les hautes charges publiques, qui plus est lourdes et décisives comme le sont les siennes pour l'avenir de la Tunisie.

Nous sommes aussi confiants, car nous connaissons parfaitement le sacré bonhomme que tu es, ton ancrage à gauche, ton acharnement à faire aboutir tout ce que tu entreprends, la solidité de tes convictions républicaines, humanistes, patriotiques, modernistes, progressistes, ta détermination, oui... surtout cette énergie presque inépuisable qui nous a tellement fait souffrir partout où nous t'avions côtoyé (UTIT/ FTCR, CRLDHT, REMDH, AEFTI, etc.); K. F. N. c'est le surnom qu'on t'a donné secrètement, pour Kamel-Force-de-la-Nature ... espèce de «bande de jeunes à toi tout seul», va !

Hé oui cher Kamel, tu nous en as fait baver des ronds de chapeau...

Que ne nous as-tu pas infligé, à la veille des réunions qui prenaient à chaque fois les allures de mini-congrès, l'étude préalable de piles entières de documents truffés de tes inéluctables tableaux Excel dans lesquels on se perdait comme dans un labyrinthe. Et comme si cela n'était pas suffisant.... dans la foulée on avait droit une fois sur deux à «l'explication de texte»... et c'est parti : noircissement interminable du pauvre tableau à chevalet, le paperboard, jusqu'à ce que – pour notre grand soulagement – le feutre rendait l'âme... Sadique !

Mais une fois ce dur labeur achevé (pas avant !), l'heureuse métamorphose s'opère: la froideur des chiffres, les douloureuses mise en cause de nos insuffisances face à la dictature-gorille de Ben Ali, les plans d'action échafaudés «pour emmerder toujours davantage» le planqué de Carthage...

Tout cela laissait place nette à ta joie tellement communicative et si délicieusement contagieuse, autours d'un grand cru comme seul toi peux en dénicher. Ton compagnonnage a été aussi un précieux apprentissage à ce niveau... l'excellence n'est-elle pas un tout indissociable !

Nous n'allons donc pas plaindre tes collaborateurs... Bien au contraire. Il leur suffira en fait de suivre ton rythme (on leur souhaite bien du courage), de faire preuve d'abnégation au service de l'État de droit, d'être consciencieux dans l'exécution des tâches qui leur seront confiées... en un mot, il faudrait qu'ils se surpassent. Et promis... tu n'a pas à t'inquiéter motus bouche cousue on ne leur dira pas ce qui les attend quand la moutarde te monte au nez ;-)

Nous ne te cachons pas qu'on a eu une peur bleue lorsque l'amie Khadija Chérif n'a pas été retenue dans l'actuelle équipe, elle à qui le ministère de la Femme et de la Famille avait initialement échu dans la première formation gouvernementale.

Car, sachant ta fidélité indéfectible dans l'amitié, on s'est dit : «Il va claquer la porte !». Ça a failli. Pour notre grand soulagement (et celui aussi de la Tunisie dont on rêve), tu as, à très fort juste titre, finalement, décidé de rester. Ils en seront pour leurs frais les piètres calculateurs qui voulaient faire d'une pierre deux coups, voire davantage.

Qu'ils soient donc remerciés tous ceux et toutes celles (Khadija en tête) qui ont su trouver les mots justes et les arguments forts pour te convaincre d'y rester. Khadija aurait certainement fait une très bonne ministre de la Femme, car qui mieux qu'elle la sociologue, l'ancienne présidente de l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), la vice présidente de la FIDH, et j'en passe... celle qui bravait la prohibition dictatoriale et accueillait aussi courageusement que généreusement, joyeusement aussi, nos réunions clandestines, entre autres celles du REMDH, et de tous les associatifs démocrates...

Cher Kamel! Ta tristesse et ta déception sont aussi les nôtres, tu le sais. Ton élan solidaire et profondément amical nous fait, une fois de plus, honneur à nous tous et pas qu'à toi. N'en déplaise donc aux comploteurs, aux obscurantistes et leurs nouveaux affidés libéraux-opportunistes, Khadija et toutes les femmes libres et éclairées de la Tunisie seront en permanence présentes à travers ton action.

Que de chemin parcouru... Que de défis relevés, l'ami. Celui-ci s'ajoutera, on en est sûr, à la liste de tes succès.
Alors, Cher Kamel, bon vent... genre Mistral gagnant, quoi.

Et comme disait Bertold Brecht: «Homme ! le chemin n'est pas à chercher, il se trace en marchant»... avec des hommes comme toi, Cher ami, c'est toute la Tunisie qui se mettra en mouvement.

* Docteur en Droit, avocat au Barreau de Paris.

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