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Y aura-t-il un virage dans la doctrine de défense algérienne vers une collaboration opérationnelle plus active dans la région avec ses partenaires régionaux et occidentaux?

Par Laurence Aïda Ammour*

Les «printemps arabes» de 2011 et le contexte inédit de grande incertitude qui s'en est suivi ont pris de cours les autorités algériennes. L'Algérie donnait le sentiment de ne pas vouloir assumer les responsabilités que son statut hégémonique exigeait. Refusant toute stratégie conjointe dans le dossier malien, le pays a paradoxalement cherché à demeurer le pays-clé dans les affaires de sécurité régionale, tout en menant une diplomatie régionale exclusive, jugée illisible pour nombre d'observateurs et de dirigeants de la région.

Une puissance régionale en retrait

Partisane depuis toujours des solutions politiques, l'Algérie a tout fait pour circonscrire son action en vase clos, dans une solution centralisée et négociée par elle. Ce positionnement masquait en réalité les luttes internes au sommet du pouvoir qui ont freiné sa capacité d'action et affaibli son leadership régional.

Alors que le Mali était confronté à une grave crise politique et à un risque sérieux de partition, et alors que la Libye s'enfonçait inexorablement dans une instabilité croissante, les luttes de clans internes au niveau du pouvoir, renforcées par la perspective des élections présidentielles de 2014, ont empêché l'Algérie d'assumer ses responsabilités d'acteur pivot dans les affaires de sécurité régionales.

Incapable de s'adapter au nouvel environnement stratégique, régional et international émergent, le gouvernement algérien n'a pas su profiter de l'occasion pour combler le vide de pouvoir crée par l'élimination de Mouammar Kadhafi. Il a préféré parier sur son «exceptionnalisme», usant d'une rhétorique nationaliste pour mettre en garde les Algériens contre un complot extérieur visant à déstabiliser le pays.

Redoutant avant tout une contagion de la contestation populaire et l'effondrement du régime dans un pays secoué depuis plusieurs années par des mouvements sociaux chroniques, les autorités algériennes ont choisi d'acheter la paix sociale en déliant les cordons de la rente pétrolière pour distribuer des prébendes aux citoyens mécontents.

Au plan régional, la passivité algérienne a fait l'objet de nombreuses spéculations. Nombre de ses voisins ont pensé que l'Algérie continuait de jouer un double jeu pour perpétuer une menace terroriste interne afin de démoniser un potentiel printemps algérien, de continuer à bénéficier du soutien militaire des grandes puissances, et de préserver le rôle prédominant du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS) dans la lutte anti-terroriste et les dossiers régionaux de sécurité, en particulier dans la portion saharienne du pays et au-delà.

En 2013, des divergences de positions sur les questions de sécurité sont apparues au grand jour au sein du pouvoir, en particulier à propos de la gestion opérationnelle de l'attaque contre le site gazier de Tiguentourine. En d'autres termes, l'absence d'engagement a été le résultat de positionnements contradictoires et d'intérêts divergents au cœur même du régime, symptomatiques de la multiplicité des lieux de pouvoirs et de l'opacité des processus de décision.

Bien que toujours confrontée à un terrorisme dit «résiduel»(1) (1.285 attaques entre 2001 et 2013, contre 51 en 2013), comme en témoigne le kidnapping et le meurtre de Hervé Gourdel en Kabylie en septembre 2014 par «Jound Al-Khalifa», une cellule auto-proclamé affiliée à l'Etat islamique (Daêch), l'Algérie n'hésite pas aujourd'hui à se présenter comme un «exportateur de sécurité et de stabilité»(2) et à rassurer ses voisins sur sa capacité à fournir des solutions politiques aux crises régionales. Cette nouvelle posture coïncide avec le retour d'une diplomatie algérienne proactive et offensive soucieuse de s'affirmer dans plusieurs dossiers sensibles et complexes.

Paradoxalement, c'est la réélection controversée de Abdelaziz Bouteflika en avril 2014 qui marque un tournant significatif dans les orientations diplomatiques et de défense de l'Algérie :

- Le remaniement ministériel de septembre 2013 a vu la nomination d'un nouveau ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, diplomate de carrière et ancien ambassadeur à Washington. Ayant une longue expérience des affaires et des crises africaines puisqu'il a été l'envoyé spécial de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) pour le Libéria entre 2003 et 2007, puis commissaire à la paix et à la sécurité de l'Union africaine de 2008 à 2013, il représente un atout qui permet à l'Algérie de mieux se positionner sur le continent. En outre, il possède des connexions aux Etats-Unis et en France. Dès sa nomination, M. Lamamra a plaidé en faveur d'une solution multilatérale négociée au Mali.

- L'accroissement continu des dépenses de défense depuis 2011 reste la priorité des priorités pour parachever la modernisation et la professionnalisation des forces armées, remplacer les équipements russes obsolètes, et renforcer les programmes de formation opérationnelle adaptés aux nouvelles menaces.

Ce processus de modernisation s'est accompagné d'une restructuration sans précédent des services de renseignement dont plusieurs départements et prérogatives sont passés sous l'autorité de l'armée et de la Présidence, d'une augmentation du budget de défense (+10 % en 2015) et d'une refonte de la carte militaire territoriale.

Autant de mesures qui confirment le renforcement des capacités, en particulier dans le contre-terrorisme et la sécurisation des frontières.

- L'Algérie qui s'est engagée dans plusieurs initiatives de sécurité et partenariats militaires avec ses voisins et d'autres pays, cherche à mettre en place des alliances fortes devant se concrétiser dans des plans conjoints d'alerte contre les groupes armés et les milices opérant en Libye, en Tunisie, au Mali et au Moyen-Orient.

La déclaration de R. Lamamra depuis Washington (septembre 2014) montre combien la diplomatie algérienne est aujourd'hui soucieuse de recouvrer un rôle central dans les affaires régionales: «La Libye et le Mali, où règnent le terrorisme et l'instabilité, sont au centre de notre action diplomatique immédiate, et nous nous engageons à apporter notre contribution à des solutions au-delà de nos frontières»(3).

Le Mali, un premier test

Le Sahel étant traditionnellement son arrière-cour, l'Algérie a participé à toutes les négociations relatives à la question du Nord-Mali depuis les années 90. Pourtant, durant les deux dernières années, l'influence algérienne y a nettement reculé. Sa discrétion et son inaction diplomatiques ont interrogé ses voisins du sud.

A l'époque où les islamistes jihadistes occupaient le nord-Mali, la Cedeao, la France et les pays sahéliens restaient perplexes quant à une contribution algérienne à un processus de négociations avec les groupes armés, en particulier avec Ansar Al-Dine, dont le leader Iyad Ag Ghali était proche des services de renseignement algériens.

En effet, en 2012, l'Algérie maintenait des contacts avec un large éventail d'acteurs, dont Ansar Al-Dine et le Mujao, et semblait favoriser l'accès aux informations plutôt que de définir une stratégie clairement formulée pour sortir de l'impasse.

L'Algérie fut accusée de passivité. En utilisant Iyad ag-Ghaly comme intermédiaire au nord-Mali, l'Algérie prétendait promouvoir une politique étrangère personnalisée pour tenter de retrouver son leadership après plusieurs décennies de déclin diplomatique. Cependant, plusieurs revers de fortune vinrent contrarier la stratégie algérienne qui s'avéra peu judicieuse au regard du double jeu mené par le personnage: l'agenda d'Iyad Ag-Ghali révéla d'autres ambitions politiques lorsqu'il rompit son accord avec le MNLA, et qu'il fut clair qu'il avait projeté de coordonner ses actions avec Abdelmalek Droukdel (un des émirs d'AQMI), au Mali en particulier, et au Sahel en général.(4)

Le réveil de la politique régionale algérienne et l'activisme du ministre des Affaires étrangères ont redonné confiance à Paris et Bamako dans la capacité d'Alger de mener à bien le dialogue inter-malien. Les opérations Serval et Barkhane, financièrement coûteuses pour la France, ont incité Paris à demander une participation plus active des partenaires régionaux, afin de sauvegarder les gains opérationnels et politiques de ces deux interventions militaires.

Paris avait déjà bénéficié de la collaboration d'Alger durant son offensive contre les islamistes armés dans l'Adrar des Ifoghas, et les deux pays continuent ponctuellement de coordonner leurs actions: ouverture de l'espace aérien aux avions de chasse français (ce qui n'est pas une première: en décembre 2009, l'Algérie avait autorisé des avions américains à survoler son territoire pour y effectuer des reconnaissances de la zone frontalière avec le Mali et la Mauritanie, notamment dans la région de Tindouf), mobilisation des troupes algériennes à la frontière avec le Mali en appui aux forces françaises, livraisons de carburant aux troupes françaises. En mai 2014, douze terroristes poursuivis par l'armée française aux confins maliens, ont été éliminés par les forces de sécurité algériennes à Taoudert, près de Tinzaouatine.

Le rôle central de l'Algérie dans la crise malienne avait été réaffirmé par Ibrahim Boubakar Keita lors de sa visite à Alger en janvier 2014, et réitéré lors des 2e et 3e sessions du Comité Stratégique bilatéral algéro-malien(5) en avril et mai de la même année. Le Mali s'inquiétait en particulier de la situation d'exception de Kidal dont la sécurité alimentaire et l'économie reposent entièrement sur le commerce légal et illégal avec le sud algérien.

En outre, toute crise au nord-Mali a toujours été considérée par Alger comme porteuse d'une potentielle déstabilisation du sud algérien où vivent plusieurs milliers de réfugiés maliens, dont certains naturalisés algériens y sont définitivement établis.

Les pourparlers en cours à Alger font face à de nombreuses difficultés, dues aux divisions et à la méfiance entre groupes rebelles. Le dernier né, baptisé Groupe d'auto-défense des Imghad (Gaita), qui se présente comme un interlocuteur légitime, a d'abord été rejeté par le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), le Haut conseil pour l'unité de l'Azawad (HCUA) et le Mouvement arabe de l'Azawad (MAA).

Le HCUA, fortement implanté à Kidal, qui fut proche des islamistes de Ansar Al-Dine, risque de poser des problèmes dans la mesure où deux de ses membres sont des élus du parti présidentiel. Dans ce contexte, le processus de décentralisation prévu dans la nouvelle carte administrative du Mali, pourrait offrir un pouvoir étendu à un mouvement qui pourrait alors librement appliquer la charia(6) . Pour les médiateurs algériens, la question est de savoir si ce mouvement est toujours en cheville avec Iyad ag-Ghali (qui a entre-temps prêté allégeance à AQMI), ou s'il est un recycleur des hommes de Ansar Al-Dine.

Si les négociations inter-maliennes connaissaient une issue positive et viable, Alger pourrait alors capitaliser sur ce succès pour confirmer son rôle indispensable de faiseur de paix dans la région et re-légitimer son action diplomatique dans d'autres crises régionales, en particulier en Libye.

La doctrine de défense rattrapée par le principe de réalité?

Depuis le lancement de l'opération Serval et le déploiement de Barkhane en juillet 2014, l'Algérie est sous la pression des pays occidentaux, dont la France qui envisageait il y a encore peu l'appui d'Alger pour venir à bout des foyers islamistes en Libye.

Le rapprochement entre Paris et Alger durant l'opération Serval a pu laisser croire à la France que l'Algérie accueillerait favorablement une initiative française de plus en Afrique du Nord et au Sahel. La France souhaitait prendre le pouls de l'Algérie et savoir quelle aurait pu être sa contribution à une action militaire potentielle en Libye, comme l'illustrent la visite du chef d'état-major français en Algérie en septembre 2014, et celle du ministre français de la défense quelques mois plus tôt.

Certes, au sein des cercles diplomatiques et militaires algériens, un certain clivage générationnel existe: les plus âgés penchant pour une approche défensive continuent de penser qu'il faut s'en tenir au principe constitutionnel de non-interférence (et de non-intervention militaire) dans les affaires intérieures des pays voisins, tandis que les jeunes prônent une adaptation de cette doctrine aux réalités actuelles et au cas par cas.

Ce débat purement interne n'a pas (encore) mené à une remise en question de l'approche défensive classique, ce qui explique la préférence officielle de l'Algérie pour la résolution politique des crises régionales.

Pour autant, rappelons que par le passé l'Algérie a mené plusieurs actions militaires hors de ses frontières: deux fois durant la bataille d'Amgala (Sahara occidental) en janvier et février 1976 contre les troupes marocaines; en Egypte en 1973 durant la guerre du Kipour; en décembre 2012 lorsque environ 200 hommes des Forces spéciales étaient stationnés au nord-Mali juste avant que les groupes djihadistes n'occupent ce territoire(7).

Plus récemment, deux opérations algériennes montrent que les ajustements de la doctrine sont possibles si la volonté politique existe et que la menace est considérée comme sérieuse:

− En mai 2014, 3.500 parachutistes et un contingent logistique de 1.500 hommes ont été envoyés en Libye, en coordination avec les Marines américains et les Forces spéciales françaises basées au Niger. Les objectifs de cette mission étaient d'éliminer les membres d'AQMI présents dans les villes de Nalout et Zintan, sources des transferts d'armes vers la Tunisie et l'Algérie, et de détruire les infrastructures et les camps d'entraînement jihadistes situés dans la région de Sebha dans le sud-libyen.

L'Algérie qui n'a jamais officiellement reconnu cette action ne souhaitait certainement pas faire état de la collaboration de l'Armée nationale populaire (ANP) avec l'ancien colonisateur et les Etats-Unis auprès de son opinion publique qui aurait vu d'un mauvais œil une collusion active de son armée avec des forces étrangères dans les affaires de la région.

− En août 2014, une opération conjointe impliquant 8.000 hommes côté algérien, soutenus par 6.000 hommes côté tunisien, s'est déroulée dans les monts Chaambi. Les troupes algériennes ont traversé la frontière tunisienne pour frapper les groupes terroristes sévissant dans cette zone-refuge. La mission avalisée par l'accord de sécurité algéro-tunisien signé dans le cadre de la stratégie de contre-terrorisme établie en 2013, autorise les forces algériennes à pénétrer sur le territoire de son voisin. L'accord bilatéral prévoit également la formation et l'entraînement des forces tunisiennes par l'armée algérienne(8).

La Libye : un révélateur d'intérêts politiques contradictoires

Les deux opérations algériennes en Libye et en Tunisie ont été trop rapidement interprétées par la France comme une inflexion de la doctrine algérienne, d'autant qu'elles coïncidaient avec l'appel de certains représentants libyens à une coalition internationale contre les milices islamistes.

Tentant de convaincre les pays européens et maghrébins du bien fondé d'une coalition internationale pour intervenir militairement en Libye, la France s'est cependant heurtée à une fin de non recevoir de la part du Dialogue 5+5 réuni à Madrid en septembre 2014, qui a condamné unanimement la proposition française et plaidé pour une solution politique.

A l'inverse, lors du Forum sur la Paix et la sécurité réuni à Dakar en décembre, le président tchadien insistait sur la responsabilité des Occidentaux dans la crise libyenne: «Nous ont-ils consulté lorsqu'ils ont attaqué la Libye, ou qu'ils ont divisé le Soudan? (...) La solution en Libye n'est pas entre nos mains. Elle est entre celles de l'Otan qui a créé ce désordre (...) Il fallait accompagner la Libye après la chute de Mouammar Gaddhafi. La situation actuelle en est la conséquence»(9). Le président nigérien en visite à Alger fin janvier 2015, peu confiant dans une médiation politique, en appelait lui aussi à une «une intervention internationale (...) indispensable à la réconciliation de tous les Libyens, y compris gaddhafistes»(10).

De son côté, Ramtane Lamara continuait de réaffirmer la préférence de son pays pour un dialogue national inclusif et une réconciliation en Libye. Allant même jusqu'à faire de certains partis islamistes maghrébins ses alliés pour isoler les milices extrémistes, l'Algérie avait déjà engagé des discussions avec deux figures importantes du mouvement des Frères musulmans: Abdelhakim Belhadj (ancien commandant du Groupe islamiste de combat libyen et ancien chef du Conseil militaire de Tripoli), et Rached Ghannouchi, chef du Parti tunisien Ennahdha qui avait rencontré Abdelaziz Bouteflika au mois d'août 2014.

En appuyant une initiative politique destinée à stopper les combats entre milices rivales, Alger cherche à endiguer les transferts d'armes libyennes dans la région du Sahara-Sahel, et à réactiver les Accords de Ghadamès signés en 2013 entre l'Algérie, la Tunisie et la Libye, mais qui n'ont jamais pu être mis en œuvre dans la mesure où les frontières libyennes sont contrôlées par certaines milices islamistes ou par des réseaux locaux de trafiquants.

L'affaire libyenne reste complexe et l'Algérie le sait. Elle se heurte à d'énormes difficultés pour rassembler les parties autour de la table des négociations. Les pourparlers prévus pour la fin du mois de septembre 2014 sur le modèle des négociations inter-maliennes menées à Alger, ont été reportés sine die. Parmi ceux qui étaient disposés à engager un dialogue, il y a les représentants du gouvernement et du parlement de Tobrouk (reconnus par les Européens et les Américains), ainsi qu'une délégation du Congrès général national (Ahmed Qadhaf Al-Damm, ancien coordinateur des relations égypto-libyennes durant l'ère Kadhafi, le général Khalifa Haftar, commandant l'opération Dignité, et le général Ali Kana, ancien officier supérieur du régime de Kadhafi). Parmi les opposants, on trouve des chefs proches de Ansar Al-Charia, une organisation appartenant à la coalition du Conseil des révolutionnaires de Benghazi (instigateur du califat de Benghazi). Ces derniers considèrent que le général Khalifa Haftar n'a aucune légitimité interne. Enfin, Alger refuse d'exclure les anciens kadhafistes. Cette position qui se veut raisonnable reste pour l'instant intenable, les deux gouvernements n'ayant pas réussi à s'entendre (malgré le cessez-le-feu proclamé mi-janvier), et les combats entre milices armées rivales ayant entre-temps redoublé d'intensité.

Le soutien supposé de l'Algérie à l'opération Dignité menée par le général Haftar au mois de mai 2014 (qui n'a jamais été confirmé par les autorités algériennes) peut être le fait d'un certain pragmatisme de la part d'Alger pour limiter l'implication opérationnelle de l'Algérie dans les affaires libyennes. Haftar avait clamé haut et fort qu'il était résolument favorable à des frappes algériennes et égyptiennes. Mais pour Alger, toute aide directe au général libyen dépendait d'abord de sa capacité à être un élément de stabilité plutôt qu'un acteur de déstabilisation.

Une alliance potentielle avec le président égyptien était également à l'ordre du jour durant l'été 2014. Abdel Fatah Al-Sissi qui s'est rendu à Alger au mois de juin pour sa première visite d'Etat à l'étranger, avait appelé à coordonner les efforts des deux pays pour lutter contre le militantisme islamiste.

L'Algérie, qui reste le principal fournisseur de l'Egypte en gaz naturel (rendant ainsi les intérêts économiques inextricables entre les deux pays), demeure très prudente face à l'activisme anti-islamiste dont l'Egypte fait preuve. Cette prudence s'est muée en méfiance après les frappes aériennes menées en Libye par les Emirats Arabes Unis avec le soutien du Caire et le risque de déflagration que cette action a fait courir à toute la région.

Alger envisage cependant de poursuivre un certain degré de coopération avec l'Egypte à travers le Haut comité conjoint algéro-égyptien qui a été ressuscité après cinq ans d'inactivité. Il est vrai que toute convergence entre Alger et le Caire pourrait indubitablement représenter un élément-clé de sécurité pour l'ensemble du Maghreb. Mais le jeu du Caire en Libye et ses manœuvres en faveur de l'option militaire ont éveillé la méfiance des autorités algériennes à l'égard d'un allié toujours plus farouchement hostile à un règlement politique de la crise libyenne(11).

Conclusion

Les suites de l'opération Serval associées à la détérioration rapide de la situation en Libye, ont crée un contexte volatile qui pourrait obliger Alger à s'engager dans une stratégie anti-terroriste nouvelle en Afrique du Nord comme au Sahara-Sahel.

Rétive à la militarisation du Sahel par la France et les Etats-Unis, l'Algérie continue d'invoquer la solution politique aux crises saharo-sahéliennes.

Face à une situation régionale qui se complexifie de jour en jour, la nouvelle diplomatie algérienne est dictée par des motivations tactiques: éviter des conséquences stratégiques encore plus problématiques, voire irréversibles, pour elle-même et ses voisins.

Reste à savoir si cette diplomatie va s'accompagner d'un virage dans la doctrine de défense et conduire l'Algérie à une collaboration opérationnelle plus active dans la région avec ses partenaires régionaux et occidentaux?

Bien qu'elle se présente comme un «exportateur de stabilité», l'Algérie n'en continue pas moins de donner la priorité à sa sécurité intérieure. En effet, au début des années 2000, la politique algérienne d'endiguement du terrorisme consistant à repousser vers le sud et au-delà de ses frontières méridionales l'ex-GSPC, a eu pour conséquence durable l'implantation de Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et, plus tard, d'autres groupes radicaux. L'attaque contre le site gazier de Tiguentourine (In Amenas) en janvier 2013, et les attentats contre des casernes de gendarmerie à Tamanrasset (30 juin 2010 et mars 2012) siège de la 6e région militaire, et à Ouargla (juin 2012), siège de la 4e région militaire, ont démontré une forte capacité opérationnelle des terroristes dans des zones pourtant hautement militarisées(12). Dix jours après In Amenas, c'était au tour du gazoduc de la région de Bouira (à 125 kilomètres au sud-est d'Alger) qui achemine le gaz du champ de Hassi R'Mel, d'être la cible d'une nouvelle action des islamistes armés(13).

Ces événements ont montré qu'Alger n'avait pas pris la mesure de la gravité de la menace et révélaient des défaillances dans la surveillance du territoire, au Sahara en général, et sur les sites stratégiques en particulier, qui sont le cœur de son économie et le gage de sa survie. Ce n'est qu'en 2014 que, tirant les leçons de l'attaque d'In Amenas, une 7e région militaire a été créée, dont le quartier général est établi à Illizi, à une centaine de kilomètres de la frontière libyenne, afin de mettre en place un maillage plus fin du territoire saharien.

La stratégie de refoulement des groupes terroristes vers une zone pourtant stratégique, qui escomptait se débarrasser définitivement de l'islamisme violent, s'est avérée contre-productive puisqu'elle n'a pas permis à l'Algérie de sécuriser la portion saharienne de son territoire, en particulier ses ressources. Aussi, pour l'instant, il est fort probable que le principe de non-intervention reste un élément central de la posture militaire algérienne.

Suite à la surprise stratégique de Tiguentourine, certains officiels algériens avaient assuré les responsables du Département anti-terrorisme du Pentagone que leur pays conduirait des opérations aux frontières si nécessaire(14). Cela a été fait en Tunisie et en Libye l'année dernière, mais un engagement de grande ampleur des forces armées algériennes dans la région reste exclu.

Mobilisées aux frontières et sur les sites d'extraction, l'ANP et les autres forces de sécurité (environ 130.000 hommes) maintiennent pour l'heure leur conventionnelle posture défensive. La diplomatie se chargeant de traiter les dossiers politiques régionaux et d'ouvrir la voie à de futurs processus de résolution des crises.

 

* Consultante en sécurité internationale et défense pour l'Afrique du Nord-Ouest et le Sahara-Sahel. Ancienne du Collège de Défense de l'Otan (Rome), associée au groupe d'analyse de JFC Conseil.

 

Notes :
1) Terme officiel employé par les autorités algériennes.
2) Terme utilisé par le ministre des Affaires étrangères lors de ses entretiens avec John Kerry à Washington, en septembre 2014. Voir aussi Laurence Aïda Ammour, «Algeria responds to turbulence in the Sahel», Jane's Islamic Affairs, IHS, Londres, 6 novembre 2014.
3) Kaci Haider, «L'Algérie est un pays exportateur de sécurité et de stabilité», Algérie1.com, 19 septembre 2014.
4) Voir Laurence Aïda Ammour, «Algeria's Role in the Sahelian Security Crisis», Stability: International Journal of Security & Development, 2013, 2(2): 28, pp. 1-11.
5) Qui inclut aussi le Niger, le Burkina Faso et le Tchad.
6) Depuis les Accords de Ouagadougou de juin 2013, plusieurs étapes ont été franchies: en janvier et février 2014, des réunions préparatoires ont eu lieu à Alger et Bamako. Après le cessez-le feu signé le 23 mai 2014 à Kidal sous les auspices du Mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz en sa qualité de président de l'Union africaine, le 9 juin, le MNLA, le HCUA et le MAA s'accordent pour signer «La Déclaration d'Alger» destinée à renforcer le processus de réconciliation à travers le dialogue de toutes les parties. Du 1er au 24 juillet 2014, le gouvernement malien et les groupes touareg signent un accord pour une feuille de route incluant l'arrêt des combats dans le nord du Mali. Les négociations qui devaient se tenir en septembre sont reportées suite à l'entrée en scène du groupe d'auto-défense Gaita, créé en août 2014, qui a des liens étroits avec le gouvernement malien et insiste pour être partie prenante des discussions inter-maliennes. Celles-ci reprennent en octobre et portent sur les questions de sécurité dans le nord et les aspects humanitaires de la crise. En 2015, de nouvelles réunions ont lieu à Alger qui n'ont toujours pas abouti à un véritable accord de paix.
7) En mai 2014, suite à la création d'un comité de coordination de défense algéro-malien, le Mali avait octroyé aux forces armées algériennes un droit de poursuite des djihadistes jusqu'à 50 kilomètres au Nord-Mali.
8) A partir de mai 2013, 80 points de contrôle ont été installés sur les 956 kilomètres de frontières communes, 20 zones militaires fermées ont été créées, et 60.000 hommes déployés. La coopération entre les deux pays a été renforcée du fait de l'aggravation de la situation dans cette région, en particulier après la mort de huit soldats tunisiens le 31 juillet 2013.
9) Vincent Duhem, «Paix et sécurité : Idriss Déby Itno se lâche sur la crise libyenne», Jeune Afrique, 17 décembre 2014.
10) Ali Boukhlef, «Le Mali au menu», El Watan, 26 janvier 2015.
11) Voir Laurence Aïda Ammour, «Algeria will seek to restrain Egyptian anti-Islamism », Oxford Analytica Daily Brief, Londres, 16 octobre 2014.
12) Ouargla n'est qu'à 86 kilomètres de l'un des plus grands sites d'exploitation pétrolière, celui de Hassi Messaoud, qui centralise toute la production algérienne de pétrole et d'où partent plusieurs oléoducs vers les terminaux et raffineries situés sur la côte méditerranéenne.
13) Hassi R'mel est le plus grand gisement de gaz naturel d'Algérie et la plaque tournante de son industrie gazière d'où partent le Transmed pour l'Italie via la Tunisie, le Maghreb-Europe via le détroit de Gibraltar, et d'autres gazoducs vers les grandes villes et les terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL) situés de la côte.
14) Ces propos sont à mettre en relation avec la proposition américaine de fournir aux forces algériennes du renseignement obtenu par leurs drones de surveillance afin de faciliter la sécurisation des frontières nationales. En contrepartie, il était demandé à l'Algérie de jouer un rôle plus proactif dans la région afin de limiter autant que possible l'immixtion d'autres acteurs occidentaux dans les affaires sahéliennes.

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