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Et si le nom du prochain chef du gouvernement est déjà fixé par le conseil d'administration de «Tunisia Ltd» dans une short-list d'oiseaux rares?

Par Mohamed Chawki Abid*

Certes, les élections se sont bien déroulées dans des conditions satisfaisantes de transparence et d'indépendance. Cependant, la formation de la coalition régnante n'est pas du ressort des électeurs, encore moins la désignation du patron de l'exécutif.

Le nouveau Pdg de «Tunisia Ltd»

Contrairement à la volonté de la majorité des votants, un compromis occulte est en passe d'être scellé entre les deux principales familles politiques, sous l'égide des mandants off-shore. En outre, et à l'inverse des pronostics donnant favori Taïeb Baccouche, le conseil national de Nidaa Tounès a annoncé que le poste de Premier ministre ne sera pas confié à un leader du parti vainqueur aux législatives.

A présent, il devient de plus en plus clair qu'une scène théâtrale se produit actuellement devant les Tunisiens, dans laquelle on joue le «souci de consensus» pour occulter les diktats extérieurs. Le nom du prochain chef du gouvernement est déjà fixé par le conseil d'administration de «Tunisia Ltd», et il est demandé aux leaders des forces politiques de simuler dans le cadre du «Dialogue national» une concertation multilatérale autour d'une
short-list de candidatures qui fera émerger l'oiseau rare, à l'instar de ce qui s'est passé en novembre-décembre 2013 avec Mehdi Jomâa, le chef du gouvernement sortant.

Il ne faut pas se faire beaucoup d'illusions quant au choix du premier chef de l'exécutif. Tous les indices confirment que le nouveau Pdg de «Tunisia Ltd» sera désigné par son conseil d'administration (club des «Amis de la Tunisie»), dans la mesure où l'économie nationale est à 80% dépendant de l'Union européenne et des compagnies transnationales, d'une part, et que notre endettement extérieur est essentiellement nourri par les promoteurs du consensus de Washington, d'autre part.

Il n'est donc anormal que les IBW (Banque mondiale et Fonds monétaire international) aient leur mot à dire dans la désignation du nouveau chef du gouvernement ou «Mehdi II».

Le cahier des charges

Les réformes annoncées par le FMI depuis juillet 2012, et récapitulées en septembre 2014, devront être actées dès le début de l'année 2015 par le nouvel exécutif «élu» et ce, par souci de légitimité constitutionnelle. Il s'agit de :

1) la réforme de la fonction publique par le dégraissage du mammouth de l'Etat (environ 800.000 fonctionnaires consommant 60% des recettes fiscales, et pesant 40% des dépenses publiques) ;

2) la libéralisation additionnelle du commerce extérieur, moyennant une dévaluation du dinar, la monnaie nationale, une promotion du tourisme et de l'exportation de richesses naturelles brutes, et l'adhésion à l'Accord de libre échange complet et approfondi (Aleca) avec l'Union européenne (UE);

3) la réforme énergétique par la suppression progressive des subventions ainsi que par la libéralisation des investissements dans l'extraction d'hydrocarbures non conventionnels et la production d'électricité à base d'énergies renouvelables;

4) la réforme du secteur bancaire par la recapitalisation des banques publiques, suivie par l'ouverture de leur capital à des investisseurs privés;

5) la réforme des caisses sociales et des retraites par le recul de l'âge de la retraite de 60 à 62 ans, la réduction du montant des pensions, et l'augmentation des cotisations sociales;

6) la réforme fiscale par la simplification et l'harmonisation des textes et l'ajustement des taux (plus de pression sur les particuliers, et moins de charges sur le capital);

7) la réforme du cadre d'investissements dans les intérêts des investissements directs étrangers (IDE), par la promulgation d'un nouveau Code d'investissement, d'un cadre pour le partenariat public-privé (PPP), d'une loi sur la stimulation de la concurrence (simplification des procédures administratives, ouverture du marché tunisien);
8) la réforme du régime de la faillite, par la promulgation d'une loi réglementant les prérogatives et le fonctionnement de l'Asset Management company (AMC);

9) la réforme du Code du travail par une flexibilisation du salariat (réduction des rigidités du marché du travail), une facilitation de la création d'entreprises par les jeunes diplômés et une réforme de la formation professionnelle;

10) la restructuration des entreprises publiques par le dégraissage des fonctionnaires (plans de licenciement) et l'ouverture du capital aux privés (les grands groupes tunisiens ou les grands monopoles étrangers). Les secteurs ciblés par les investisseurs sont: les télécoms, le transport aérien, l'énergie, l'eau, etc.

Ce faisant, le Journal officiel (Jort) diffusera vraisemblablement – au cours du 1er semestre 2015 – un bouquet de lois néo-libérales qui viendront fragiliser la souveraineté nationale, en général, et consolider l'orientation imposée à la Tunisie tant sur les plans politique et sécuritaire, que sur les plans économique et social, en particulier.

Enfin, il y a lieu de souligner que pendant tout le temps perdu dans le vide du pouvoir législatif depuis l'extinction des activités de l'Assemblée nationale constituante (ANC) en août 2014, le gouvernement des «techno-expatriés» profite de cette situation pour contourner le pouvoir législatif en vue de dépasser ses prérogatives et se permettre de légiférer l'autorisation d'exploiter le pétrole tunisien en dépit des mandats de rejet émis par la Commission de l'Energie (Jort du 19/12/2014).

Si le boulot n'est pas bien fait, un nouveau «techno-expat» nous sera imposé.

* Ingénieur économiste.

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