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Marzouki-a-Djerba-Banniere

Réponse d'un militant de la société civile tunisienne à Moncef Marzouki, candidat au 2e tour de présidentielle: «Vous n'êtes pas le candidat nécessaire à la Tunisie».

Par Tarek Ben Hiba*

Monsieur le candidat,

Dans une lettre ouverte adressée hier aux militantes et militants de la société civile tunisienne dont je fais partie, vous nous demandez de ne pas laisser le rapport des forces basculer en faveur d'un parti et d'une personne «unique».

Comment pourrait-il en être ainsi alors que la révolution avec ses 321 martyrs et ses 2.871 blessés a balayé le système du parti unique qui a été dégagé avec son ignoble chef Ben Ali réfugié en pays wahhabite ennemi des libertés?

Comment pourrait-il en être ainsi alors que la révolution a instauré un régime de démocratie et de libertés ?

Comment se pourrait-il qu'une seule personne, en l'occurrence votre adversaire au 2e tour de la présidentielle, Béji Caïd Essebsi, puisse menacer à lui tout seul la démocratie et nos libertés avec?

La société civile seule gardienne de la démocratie

Vous avez raison de citer le rôle essentiel et primordial joué par la société civile tunisienne pour la défense des droits et des libertés, particulièrement dans la défense d'une constitution garante de nos libertés et de nos droits, et ce contre les tenants d'une vision moyenâgeuse, sectaire et attentatoire aux libertés et aux droits des individus, tels que définis par les conventions internationales des droits de l'homme, tenants dont les membres de votre parti le Congrès pour la république (CpR).

Nous nous connaissons car nous avons milité ensemble contre la dictature de Ben Ali, mais nos chemins se sont éloignés depuis que vous avez été élu président provisoire de la République et que vous vous êtes alliés avec des forces politiques qui refusent et combattent la sécularisation de la Tunisie, seule voie capable d'éliminer toutes entraves pour rénover et ancrer définitivement le pays dans la démocratie.

Vos alliés qui vous ont permis d'être présents au 2e tour malgré leurs engagements signés dans les textes du Collectif du 18 octobre 2005 en faveur des libertés et particulièrement les libertés d'opinion et de conscience combattent cette sécularisation par tous les moyens que leur permettent le rapport de force.

Marzouki-a-Msaken-avec-Bechir-Ben-Hassen

Marzouki (ici avec le prédicateur extrémiste Béchir Ben Hassen) est au service d'un projet obscurantiste.

Les menaces et les reculs dont vous parlez ne proviennent pas du parti de Nidaa Tounes et de son candidat Béji Caïd Essebssi. Ils proviennent de vos alliés qui marquent et impriment votre candidature du sceau des gens qui rejettent la sécularisation et refuse la séparation du religieux et du politique. Ils refusent cette évolution assurant l'exercice effectif des libertés et le mode de vie de la majorité des Tunisiens qui, quelles que soient leurs régions, veulent vivre dans la paix, la sécurité la tolérance et les libertés.

Je ne pense pas vous apprendre grand choses, Monsieur le candidat, mais, comme disait un révolutionnaire politique russe, les faits sont têtus, et les faits de vos pratiques politiques durant cette période transitoire qu'à connue la Tunisie en tant que président de la République indique que vous avez fait passer le combat pour la sécularisation derrière vos ambitions personnelles. Car il ne suffit pas de parler de sécularisation pour rassurer les démocrates, mais il s'agit de poser des actes concrets.

Les choix et les positions défendues par votre parti politique, dont sont issus la majorité de vos collaborateurs, lors des débats à la constituante, ainsi que certaines de vos déclarations sont édifiants. Ils sont aux antipodes de la sécularisation.

De plus, et en lien, vos positions diplomatiques sont contestables, elles vous ont lié avec les ennemis moyen-orientaux des révolutions arabes et les partisans de l'intolérance.

En faisant cela vous avez rompu avec votre ligne politique qui a marqué votre combat contre la dictature de Ben Ali.

Il faut voter pour Béji Caïd Essebsi

L'élection présidentielle est une question éminemment politique. Le débat actuel, nécessaire dans toute élection est malheureusement marqué par des propos appelant à la division et à la mise en exergue des particularismes régionaux au détriment de la citoyenneté ouverte et plurielle de ses diversités culturelles.

Mais la campagne a été surtout marquée par des tentatives d'enfumage qui veulent masquer les véritables questions politiques. En fait, la seule question qui importe est : quel projet avec quels alliés? Voulons-nous ou non d'une société véritablement séculière dans le concret et dans les faits et non dans les discours, le temps d'une campagne électorale?

Le véritable rempart contre d'éventuels dérives du nouveau pouvoir (exécutif ou même législatif) contre nos libertés chèrement acquises n'est malheureusement pas votre candidature, mais le long et lancinant engagement de la société civile tunisienne en Tunisie et à l'étranger. C'est à elle, plus que qu'à toute autre force, qu'échoit ce rôle de véritable rempart.

Marzouki-et-Khamis-Mejri

Marzouki (ici avec le prédicateir salafiste jihadiste Khamis Mejri) a ouvert le palais de Carthage à tous les extrémistes religieux.

Quel que soit le vainqueur du 2e tour, nous serons toujours là, y compris dans la rue s'il le faut, pour juguler toute menace quelle qu'elle soit.

Ainsi donc je voterais pour Béji Caïd Essebsi dont le mouvement fait partie du Front de salut national (FSN) qui a défendu concrètement sur le terrain, au Bardo et à Paris, avec les valeureux partis, les libertés, l'honneur des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.

Le sit-in du Bardo a été une réponse joyeuse de masse aux forces rétrogrades et réactionnaires. C'était une réponse politique digne et juste qui a mis fin au gouvernement de la «troïka» et son inaction. Il a permis d'imposer les compromis nécessaires pour la nouvelle constitution contre certains ennemis des libertés et contre les atermoiements et les renoncements des autres.

J'ajoute que l'appartenance du président de la République au même parti majoritaire au parlement et du Premier ministre n'est pas une menace. Au contraire, c'est la cohabitation entre deux personnalités à la présidence de la République et au premier ministère qui sera source de disfonctionnement et de perte d'énergie. Le pouvoir exécutif n'a rien à gagner d'une division.

Il ne s'agit pas de se tromper de combat, celui de dimanche prochain concerne les élections présidentielles et non autres choses. Oui il faut voter en ce jour historique attendu par des milliers de militants démocrates depuis des dizaines d'années. Oui il faut voter et ne pas s'abstenir pour le candidat Béji Caïd Essebsi qui s'est clairement prononcé pour la sécularisation et contre les forces obscurantistes, tunisiennes, arabes ou régionales.

Et le lundi d'après les élections, il faudra reprendre la lutte avec tout le monde, jeunes et vieux, femmes et hommes, pour garantir les acquis de la révolution, la justice transitionnelle, imposer de nouveaux choix économiques et sociaux au profit des jeunes qui nous ont permis de vivre ces nouvelles libertés et qui ont été abandonnés par les forces politiques ayant gouverné la Tunisie depuis 2011.

Les élections présidentielles ne pourront pas apporter satisfaction à toutes les questions.

Seule une nouvelle force, plurielle et s'appuyant sur les acquis des expériences de tous les progressistes, les démocrates et les écologistes, où qu'ils soient dans les fronts, partis, organisations, députés, syndicats et associations, en Tunisie et à l'étranger, où vivent plus de 11% du peuple, pourra imposer les nouvelles orientations économiques et sociales dans un Etat séculier qui ne fait pas de différence entre les Tunisiens.

Seule cette nouvelle force qui devra avoir vocation de rassembler et de rester unie bouleversera le paysage politique.

*Militant, démocrate et progressistes de l'immigration et des droits de l'Homme.

** Le titre et les intertitres sont de la rédaction.

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