Jeunes-banniere

On devrait s'atteler à une politique participative avec les jeunes, qui refusent d'être instrumentalisés et exigent qu'on entende sérieusement leurs demandes.

Par Hedia Yakhlef*

«Dis, qu'as-tu fait... de ta jeunesse?» Qui ne connaît cette interrogation de mélancolie douce formulée par Paul Verlaine? Moi, elle me taraude, chaque jour, mais toujours loin de mon miroir et du reflet narcissique de mon regard porté sur ce que j'ai été.

Ma jeunesse à moi a coulé, apaisante, comme un fleuve tranquille. Née avec les promesses de l'indépendance, j'ai embarqué, comme toute une génération, à bord du navire Nation battant pavillon rouge vif, par belle étoile et croissant clair.

Le gouvernail alors encore ferme, la voile féconde et le cap bien net, malgré quelques remous, on avançait avec pour horizon le progrès, la modernité, la promotion sociale et l'espoir rassurant d'une vie meilleure.

De l'Etat protecteur à l'Etat négligent

Ambitieux et éclairé, l'Etat était protecteur et prodigue. Dans les coins les plus reculés on voyait éclore l'ambition de l'éducation et du développement : écoles, cantines, soins, bourses... dans le souci conjoint du corps et de l'esprit et dans un large mouvement de mobilité sociale qui a, malheureusement, vu, peu à peu, sa roue ralentir pour ne pas dire totalement se bloquer.

Les temps ont, en effet, changé. La jeunesse qui m'interroge aujourd'hui dans les yeux de mon fils, dans les yeux de mes élèves et étudiants, dans les yeux juvéniles ou presque adultes des 15-28 ans que je rencontre sur le terrain est une jeunesse autre que celle que j'ai, de mon temps, fréquentée.

Cette jeunesse, quand elle s'adresse à nous pour nous demander (pour me demander) : «Dis, qu'as-tu fait de (pour) ta jeunesse?», elle nous interpelle sur le sens de notre responsabilité. Elle apostrophe les aînés, plus particulièrement les plus engagés, les politiques, sur ce qu'ils ont fait du legs reçu.

«Dis, qu'as-tu fait de ta jeunesse?» vient nous rappeler en effet, que la jeunesse est un don que les sociétés reçoivent et qu'elle doivent préserver et transmettre comme un témoin dans la course effrénée de la vie ou comme cette flamme d'énergie et de force que chaque génération est tenue de passer à celle qui la suit.

Des vents mauvais ont soufflé et soufflent encore aujourd'hui. La barque chavire et la jeunesse est emportée à vau-l'eau. Echec, déscolarisation, chômage, immigration sauvage et à risques, embrigadement meurtrier, suicides, toxicomanie... La liste est longue quand on s'avise de recenser les trop nombreux traits de cette «misère en milieu» jeune qui font que, progressivement, la matière vive de notre pays perde son sentiment d'appartenance à la communauté. Avec amertume la jeunesse vit le délitement du lien social et la blessure de la «trahison».

Là où elle a cru qu'on lui était redevable du sang versé, de la libération et de la dignité retrouvée elle constate avec indifférence, révolte retenue sinon écoeurement qu'on la paie en monnaie de singe.

«Des mots... Des mots... Des mots».

Les politiques de tous bords ont soûlé la jeunesse de discours soporifiques et de promesses chimériques leur miroitant des lendemains meilleurs sans que rien ne change réellement. Cet écart entre le verbe et l'action ne fait qu'accentuer la méfiance des jeunes et leur désaffection par rapport au politique qu'ils ne voient plus que comme manipulation et récupération. Leur faible enthousiasme pour les élections en est la plus évidente preuve.

La jeunesse nous dit clairement son refus d'être instrumentalisée, utilisée comme hochet symbolique sur une liste ou en complément de programme. Elle a désormais des exigences et elle entend qu'on réponde sérieusement à ses demandes par des propositions concrètes dans lesquelles elle serait partie prenante et par des programmes co-construits.

Partant de ce constat, il nous semble aujourd'hui capital de lancer une initiative de nature à replacer la jeunesse au cœur de l'action politique, non pas en la récupérant mais en lui donnant les instruments de sa propre expertise sur les problèmes qui la concernent.

Nous croyons qu'il y a une légitimité à favoriser la création d'un Conseil national de la jeunesse, une structure pour les jeunes et par les jeunes qui libérerait et autonomiserait leur parole, qui restaurerait l'authenticité de leur discours, qui construirait leurs propres représentations et qui élaborerait des programmes d'actions dont ils seraient les porteurs.

Si on croit sincèrement au potentiel de la jeunesse, à ses capacités de créations et d'innovation, à sa force de changement et de transformation rien ne devrait gêner la mise en place de ce dispositif. Nous le voyons se décliner en trois instances : un observatoire pour le diagnostic et la prospective, un centre d'études et de documentation et un réseau d'ateliers de formation, instances où les jeunes seront acteurs, producteurs, coordinateurs et gestionnaires.

Il y a là les prémices d'une proposition qu'il revient aux jeunes, dans la logique même de ce que nous venons de suggérer, d'examiner plus en détail, de développer et de structurer de la manière qui leur semble la mieux correspondre à leur esprit.

Nidaa Tounes devrait s'atteler, sans tarder, à cette politique participative avec les jeunes et lui donner toutes ses chances d'exister en assurant à l'amorce, ses conditions de réussite et en l'articulant, pour plus d'efficacité, aux programmes de certains organismes internationaux tels que l'Unesco et sa stratégie opérationnelle pour la jeunesse.

Beau geste de la main de la force de l'âge tendue aux forces vives de la patrie.

* Enseignante.

 

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