Caid-Essebsi-Marzouki---Presidentielle

Nous avons reçu de Shiran Ben Abderrazak le droit de réponse suivant à l’article ‘‘La Tunisie, Caid Essebsi et les oiseaux de mauvais augure’’ de Fethi El Mekki.

Par Shiran Ben Abderrazak*

 

Un article a été publié dans vos colonnes. Cet article était une attaque ad hominem suite à la publication d’une tribune dans ‘‘Libération’’.

Cette mauvaise réputation

L’auteur de cet article prétendait savoir des choses sur moi, sur ma vie, sur mes motifs d’écrire. Le plus étonnant étant que ce même auteur semble être incapable d’épeler correctement mon nom de famille. Ce qui est d’autant plus étonnant qu’il semble en connaitre un rayon en patronyme. À moins que sa seule spécialité soit les patronymes juifs qu’il se délecte à égrener, en constituant une liste qui expliquerait, selon lui, beaucoup de choses. Il faudrait d’ailleurs que quelqu’un le prévienne que ceci est une pathologie bien connue, mais qui n’a, malheureusement, aucun remède à ce jour.

Ceux qui sont incapables d’atteindre la hauteur nécessaire à leurs ambitions intellectuelles s’attaquent, non pas aux principes qui sont inaccessibles à leurs maigres facultés conceptuelles, mais à ceux qui les portent à bout de bras et les défendent et les défendront au péril de leur vie. Il est effectivement plus facile de s’en prendre à des individus qu’à des idées. Même et surtout si l’on ne sait rien de ces individus. Mais, en vérité, qu’importe d’être sali et trainé dans la boue si c’est parce que l’on défend la justice, la vérité et la liberté. Et puis, la justice tranchera et j’ose espérer qu’elle rétablira la vérité.

L’empire contre attaque

Ainsi donc, ce cher monsieur explique, avec votre bénédiction, à vos lecteurs que je serais un «apprenti-snipers à la solde de qui on sait», «en service commandé» et dont les premiers mots, «au sortir du ventre de (ma) mère», auraient été «mentir, mentir, mentir».

Et quelle est la raison pour laquelle ce cher monsieur se permet de salir publiquement mon honneur, mon nom et ma plume? Parce que j’ai eu l’outrecuidance de participer à la rédaction d’un «pamphlet» contre celui qu’il considère comme «le sauveur national», Béji Caid Essebsi.

Ainsi donc, le simple fait d’écrire et de publier une opinion argumentée mérite d’être mis à mort symboliquement et publiquement. À moins que ce ne soit plutôt parce que l’objet de cette tribune était le candidat à la présidence Béji Caid Essebsi? Ce candidat dont les partisans prétendent pourtant que son accession à la magistrature suprême de État ne changera en rien les libertés civiles acquises de haute lutte.

Étrange manière de rassurer ceux qui s’inquiètent d’un retour à la tyrannie et d’une restriction des libertés que de lyncher ceux qui osent émettre une opinion dissonante.

La Tunisie francophone a choisi son candidat, soit. Mais est ce que cela signifie qu’il faut que nous retournions à des pratiques que l’on espérait révolues? Candidat unique, pensée unique? Est-ce donc cela la démocratie rêvée par les partisans de Caïd Essebsi et de Nidaa Tounes?

Il faudrait peut-être se demander pourquoi la pluralité d’opinion fait si peur à notre société pour que même ses intellectuels la refusent avec autant de véhémence.

L’Age de l’autonomie

Vient un moment où il faut que l’on prenne conscience, en tant que société, que les peurs et les angoisses font de mauvais guides. Seuls les enfants se laissent mener par leurs peurs. Le propre de l’adulte est l’autonomie, la capacité à fonder et à suivre sa propre règle d’action, sa propre règle éthique. Or, aujourd’hui, la Tunisie est en train de suivre sa peur ancestrale, la peur qui nous a menés à la tyrannie plus d’une fois.

Combien de fois faudra-t-il que l’on revive la même histoire pour la comprendre et la dépasser? Combien de fois devrons-nous abandonner notre liberté à de prétendus sauveurs de la nation qui «ne veulent que notre bien»? Combien de fois devrons-nous nous abandonner à ce désir si facile du père qui décide pour nous? Combien de temps nous faudra-t-il donc pour mûrir et grandir?

Alors on me répondra bien facilement et sans aucune réflexion, juste par réflexe pavlovien : «terrorisme» et «crise», ces épouvantails qui sont agités depuis trois ans afin de recouvrir les pensées et les mécanismes intellectuels de la population.

À ceux qui sont persuadés de la véracité de ces réponses, deux questions : croyez vous vraiment que le terrorisme peut-être résolu par la violence d’État alors que les USA viennent de publier un rapport démontrant l’inutilité de la torture pour protéger leur sol de cette menace?

Pensez-vous que la crise économique a pour vocation à être résolue par ces hommes politiques alors que la loi des finances vient d’être votée en moins de 48H et sans aucune analyse de fond?

La réponse à ces deux questions est évidemment négative. Le terrorisme est l’un des outils privilégiés de gouvernance des États modernes, de même que la crise.

L’espoir ébranlé

La Tunisie a été un phare pour le monde depuis son soulèvement en décembre 2010, soulèvement qui était fils du soulèvement de 2008. L’espoir n’existe plus que de manière très ténue sur notre territoire alors que l’Égypte a plongé dans un cauchemar sanglant, que le Yémen a su être dompté, que la Libye n’est plus et que l’Algérie vient de prolonger son coma artificiel.

Allons-nous donc décevoir le monde? Allons-nous abandonner ceux qui veulent espérer qu’un monde différent est possible? Allons-nous redonner la totalité des pouvoirs à un parti composé de nos anciens geôliers ? Allons-nous nous laisser berner aussi facilement? Allons-nous définitivement fermer la porte à la diversité de notre Tunisie au nom de la diversité?

J’ose espérer encore que rien n’est joué, que ce ne sont pas les communicants politiques, qui eux sont bel et bien payés, qui vaincront. J’ose espérer que la bataille pour les consciences, en Tunisie, n’est pas achevée. J’ose espérer que les jeux ne sont pas encore faits.

Courage, cessez de vous laisser guider par la peur, vous êtes capable de cela, il suffit d’oser le vouloir.

* Ecrivain.

** Le titre est de la rédaction.

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