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Le réalisme politique exige que le vote en faveur de Béji Caïd Essebsi, dimanche prochain, soit massif et dénué de toute arrière-pensée et de tout préalable fictif.

Par Kawther Hayder*

J'aimerais contribuer modestement avec les points suivants au débat en cours à propos du 2e tour de l'élection présidentielle, prévue dimanche 21 décembre 2014.

En principe les partis (et d'autres institutions) déclarent leur choix d'un candidat, orientent mais ne dictent pas la conduite à tenir aux citoyens fussent-ils leurs adhérents. Le vote citoyen responsable est libre et autodéterminé par définition même avec le choix actuel restreint.

Nous avons deux candidats dont l'un Moncef Marzouki est celui d'Enahdha, mouvement obscur responsable d'avoir mené pendant trois ans le pays au bord du gouffre. Le fait est là. Aussi, les citoyens désireux d'éviter un retour aux abysses ont pour seule possibilité le vote en faveur de Béji Caïd Essebsi (BCE), un acteur politique du passé, certes, mais ayant à son crédit un actif appréciable depuis la chute de la dictature. C'est un choix obligé, celui de la dernière chance. En ceci consiste le premier pas décisif à franchir dimanche prochain.

Le trouble et le flou

Or, le débat autour de cette élection présidentielle se complique et prend une nouvelle tournure à propos de la composition du futur gouvernement que devra diriger Nidaa Tounès en tenant nécessairement compte, s'il mise sur la durée, du rapport de force au sein de la nouvelle Assemblée des représentants du peuple (ARP). Le paysage politique actuel post-élections législatives a été remanié en partie grâce aux efforts soutenus de Nidaa pour contrer la poussée hégémonique et triomphaliste d'Ennahdha. Pourtant, ce nouveau paysage garde malgré tout un air de déjà-vu.

Comment peut-on anticiper la question de la formation du gouvernement comme préalable lorsque nous ne sommes pas encore en mesure de garantir l'élection de BCE avec une avance confortable sur son adversaire? La transition vers la reconstruction du pays exige une collaboration harmonieuse entre présidence et gouvernement. A y regarder de plus près, l'éventualité pour BCE de perdre ces élections obligerait de fait le futur gouvernement à composer avec Ennahdha sous la double menace de voir ce gouvernement mort-né et d'une dissolution pure et simple de la nouvelle ARP.

Evidemment, Ennahdha chassé par la porte l'ARP s'il revient par la fenêtre (Présidence), ou par le truchement de sièges au gouvernement ou encore à la suite d'une hypothétique dissolution de l'ARP et par de nouvelles élections parlementaires, cela ne réjouit personne parmi les forces populaires qui ont contribué à dégager Ennahdha du gouvernement sans pourtant réussir à l'évincer du pouvoir du même coup. Là encore, se reporter au rapport de force et au niveau d'organisation des forces populaires pour mieux comprendre les enjeux et non forcer sur nos desirata.

Une situation délicate à double volet : d'une part, il est nécessaire de garantir le succès de BCE à la présidence. C'est l'urgence et la priorité de l'heure. D'autre part, même dans ces conditions favorables, Nidaa n'a toujours pas les coudées franches à l'ARP suite au choix des électeurs et électrices, reflet de l'état actuel du rapport des forces politiques en présence et le niveau d'organisation des forces populaires.

Dans ces conditions et vu sous cet angle, annoncer un vote conditionnel en faveur de BCE, exigeant au préalable de ce dernier un engagement formel à ne pas composer avec Ennahdha au sein du futur gouvernement avant le vote du dimanche, relève d'une sorte d'ultimatum de fiction de la part de gens bien intentionnés mais dépourvus de réalisme politique.

Rendez-vous manqués

Quelle que puisse être la composition du futur gouvernement, le véritable problème de l'heure, bien réel, le pas décisif c'est de barrer la route à l'élection de Moncef Marzouki. Nous sommes bien d'accord.

De ce fait, en toute cohérence et congruence, le vote en faveur de BCE devrait être franc, massif et inconditionnel. L'abstention ou le vote blanc ne feraient qu'anticiper la catastrophe si à la suite de ce chantage BCE venait soit à perdre soit à réussir avec une marge trop mince. Ainsi, les abstentionnistes par dépit et aigreur, les partisans du vote blanc auront par défaut favorisé Moncef Marzouki alors qu'ils déclarent lui barrer la route et du même coup ils auront jeté Nidaa dans les bras d'Ennahdha – ce qu'ils prétendent vouloir éviter. Voici donc un coup d'épée dans l'eau !

Nous n'en serions pas arrivés à spéculer de la sorte si les partis politiques et mouvements sociaux mobilisés au Bardo engagés aux côtés d'une majorité de la population dans l'opération Errahil (Départ) s'étaient montrés conséquents et soudés non seulement de façon conjoncturelle au sein du Front du salut national (FSN) mais bien dans une optique stratégique pour sauver la patrie en danger, et ce sur le long terme, en passant d'abord par les élections (législatives/présidentielle) et au-delà dans un engagement sacré pour une décade au moins. Car il s'agit non seulement de sauver la patrie en danger imminent mais encore de relever les manches loin des salons de la capitale pour éliminer les menaces fascistes et pour reconstruire la patrie. La désarticulation du FSN est une faute historique très grave qui montre que les partis politiques associés pour un jour sont en fait des gens du passé empêtrés dans de vieilles querelles, dépourvus de vision. Ils ont ainsi contribué à démobiliser une partie de l'électorat, les jeunes en particulier. Ils ont finalement montré leur carence et leur limite à focaliser sur le présent et l'avenir.

Perspectives

Aussi, le réalisme exige-t-il que le vote en faveur de BCE soit massif dimanche prochain et dénué de toute arrière-pensée et de tout préalable fictif.

La tâche de longue haleine à entreprendre dès à présent consisterait à réactiver le FSN, à essayer par plusieurs voies d'unir mouvements sociaux et forces politiques progressistes en tant que forces patriotiques vives du pays, particulièrement celles des jeunes et des femmes regroupés au sein de leurs organisations propres pour entreprendre jour après jour sur le terrain et tous ensemble le plan programmatique et à long terme sous-tendu par les objectifs fondamentaux de notre héroïque Intifadha : «Choghl, hourria, karama watania» (Emploi, liberté et dignité nationale».

* Citoyenne.

Illustration: De gauche à droite, Slim Riahi,  Béji Caïd Essebsi, Yassine Brahim, Kamel Morjane et Taieb Baccouche: les vainqueurs ensemble.

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