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Comparaison entre les parcours, programmes et promesses des deux candidats au 2e tour de la présidentielle, dimanche 21 décembre 2014.

Par Mohamed Salah Kasmi*

Pour beaucoup d'électeurs, le choix va de soi. Mais certains se posent encore la question : «Je ne sais pas vers qui ira mon bulletin de vote», disent-ils.

Pour faciliter le choix des indécis au second tour de l'élection présidentielle, nous proposons succinctement un regard croisé sur le parcours, la stratégie et le programme des deux candidats.

Parcours politiques, faits et méfaits

Il convient de rappeler que Béji Caïd Essebsi, fondateur et président de Nidaa Tounes, et grand favori du 2e tour, a pris ses distances avec le régime de Ben Ali bien avant son adversaire Moncef Marzouki. Il a été en tête au 1er tour de ce scrutin. Une majorité des électeurs l'a choisi pour ses compétences, sa parfaite connaissance des dossiers et des rouages de l'Etat acquise en tant que ministre de l'Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères sous Habib Bourguiba, président de la Chambre des députés sous Ben Ali de 1990 à 1991 et Premier ministre après la révolution de février à octobre 2011. C'est lui qui a organisé les premières élections libres, pluralistes et transparentes du 23 octobre 2011, avant de céder le pouvoir démocratiquement aux vainqueurs, les islamistes d'Ennahdha.

M. Marzouki, fondateur et président d'honneur du Congrès pour la république (CpR), s'est allié aux islamistes d'Ennahdha au sein de la Troïka, la coalition gouvernementale qui a gouverné le pays entre décembre 2011 et janvier 2014 et dont le bilan a été calamiteux : montée du terrorisme, instabilité politique, aggravation de la crise économique, déficits tout azimuth...

Candidat à la présidentielle, il s'est hissé au second tour grâce au vote des islamistes et s'est distingué par ses positions en faveur des thèses salafistes telles que le port du niqab (voile islamique intégral) et son soutien aux responsables des Ligues de protection de la révolution (LPR), milices violentes dissoutes par jugement judiciaire. Il s'affiche avec eux ainsi qu'avec ceux qui prônent la charia et le califat, et les reçoit même au palais de la République.

L'équipe de Caïd Essebsi est composée d'intellectuels, d'hommes de lettres et de savoir, d'experts et de spécialistes dans tous les domaines. Celle de Marzouki est constituée de personnes sans expérience politique et ignorant les rouages de l'Etat et de l'Administration. La plupart étant issus de la mouvance islamiste, sinon d'Ennahdha même, on ne les a jamais entendus défendre les petites filles voilées à leur insu dans les jardins d'enfants dites islamiques ouvertes illégalement, ni les droits des femmes lorsqu'il était question d'imposer la «complémentarité» au lieu de «l'égalité» entre hommes et femmes dans le texte de la constitution, ni encore la liberté des journalistes et des artistes poursuivis en justice pour leurs opinions...

Pire encore : on a vu M. Marzouki monter sur ses grands chevaux pour stigmatiser «l'atteinte au sacré» (sic!) reprochée par des agitateurs islamistes à quelques artistes irrévérencieux, lors de l'affaire de l'exposition du Palais Abdellia à La Marsa.

Visions, programmes et priorités

Le programme de M. Caïd Essebsi met en avant la lutte contre le terrorisme, la pauvreté et l'inégalité. Ses priorités sont la sécurité, la restauration du prestige de l'Etat, l'emploi, les jeunes, le développement régional et la justice sociale.

Les défis que le candidat de Nidaa Tounès compte relever concernent le désenclavement des régions défavorisées, le rétablissement de la justice, la réforme de l'éducation, la croissance économique, le rétablissement du pouvoir d'achat, la consolidation de la République civile et démocratique et le renforcement du rayonnement extérieur de la Tunisie.

Dans son programme, Marzouki insiste sur l'équilibre entre les pouvoirs et la lutte contre la pauvreté. Il ne cesse de diaboliser Nidaa Tounès en se présentant avec un référent islamiste. Il brosse le portrait d'une Tunisie coupée en deux (le nord égoïste et le sud abandonné, les «azlems» de l'ancien régime et les révolutionnaires, etc.) et essaye de créer un fossé de tension entre les Tunisiens qui n'acceptent pas la banalisation de l'intolérance et de la haine.

Or, on le sait, on ne construit pas une nation sur de tels sentiments. Notre pays veut rester solidaire et uni. Il ne veut pas emprunter la voie de la Syrie et la Libye. Il désire demeurer un îlot de paix et de démocratie dans un paysage régional troublé par les guerres.

Promesses tenues et alliances douteuses

Lorsqu'il a été investi en tant que Premier ministre en février 2011, M. Caïd Essebsi a réussi à mener à terme et avec succès la première étape de la transition démocratique jusqu'à l'élection de l'Assemblée nationale constituante (ANC). Homme intègre et de conviction, il a respecté les règles de la démocratie en remettant le pouvoir entre les mains des vainqueurs du scrutin du 23 octobre 2011.

M. Marzouki a fait des promesses aux démocrates et progressistes en matière des droits de l'homme. Mais, il a joué une carte dangereuse en se liguant avec les imams ultraconservateurs, les milices des LPR et les salafistes partisans du jihad, et pas seulement en Syrie et en Irak.

Il a, en outre, saboté la justice transitionnelle en publiant le ''Livre noir'' pour régler ses vieux comptes et écorné, par ses décisions à l'emporte-pièce , l'image de la diplomatie tunisienne, longtemps saluée pour sa neutralité bienveillante, sa pondération et son attachement aux règles de la coexistence pacifique et du bon voisinage.

Nous avons apporté là quelques informations qui pourraient aider les électeurs à se faire une idée précise du projet politique de chaque candidat. Les indécis pourront comparer et confronter les idées des deux hommes ainsi que leurs programmes pour la Tunisie.

Certes, ces électeurs se forgeront une idée sur le candidat à choisir notamment à partir de ses dimensions humaines, politiques et idéologiques – et pas seulement de ses promesses qui n'engagent que ceux qui y croient –, mais en définitive leur vote devra aller vers le candidat qui rassemble la nation et non vers celui qui la divise.

* Ecrivain, administrateur général à la retraite, ancien professeur de droit social et de GRH, auteur du livre ''Tunisie : l'islam local face à l'islam importé'' (éd. L'Harmattan, Paris, octobre 2014).

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