Rached-Ghannouchi-Beji-Caid-Essebsi-Banniere 

Pourquoi trouve-t-on normal que Nidaa Tounes invite Ennahdha à partager le pouvoir sous prétexte qu'il détient la seconde place au parlement par le nombre de sièges.

Par Rachid Barnat

Les Français admettraient-ils que les socialistes qu'ils ont élus pour gouverner la France s'allient à l'UMP sous prétexte que c'est le parti qui a le plus de sièges au parlement après le leur, et les fassent entrer dans le gouvernement?

Que deviendrait alors la démocratie si socialistes et UMPistes sont au pouvoir en même temps et que plus personne ne peut évaluer, critiquer et juger leur gestion collective?

Il est indispensable que l'équipe qui dirige soit soumise en permanence à la critique de celle qui ne gouverne pas!

C'est comme cela que la démocratie se construit: une opposition qui critique et une équipe qui gouverne et assume ses responsabilités dont elle doit rendre compte au peuple via ses élus dans l'opposition. Et par le jeu des alternances, le peuple choisit l'équipe qui le fait progresser.

Un mariage contre nature

Alors pourquoi trouve-t-on normal que Nidaa Tounes invite Ennahdha à partager le pouvoir sous prétexte qu'il détient la seconde place au parlement par le nombre de sièges?

Beaucoup de responsables politiques de Nidaa Tounes essaient de nous passer la pilule de ce mariage contre nature pour satisfaire une fois de plus Rached Ghannouchi, président du parti islamiste, qui découvre subitement les vertus de la gouvernance collégiale pour vanter et vendre à nouveau ce concept aux Tunisiens, comme il leur a vendu le «consensus», le «dialogue national», «tayouch» (coexistence)... lui qui a exercé durant 3 ans un pouvoir absolu, ses coéquipiers Tartour (Moncef Marzouki, NDLR) & Groggy du perchoir (Mustapha Ben Jaâfar, NDLR) n'étant là que pour la galerie. Quoique le Congrès pour la république (CpR) ne soit qu'Ennahdha Bis. Lui qui, en tant que parti ayant obtenu le plus de sièges (98 sièges) à la constituante de 2011, n'a pas daigné céder une parcelle de son pouvoir aux partis de l'opposition, leur préférant deux partis pseudo démocrates... fantoches, reprenant une pratique de Ben Ali que les Tunisiens croyaient révolue. Voilà qu'il découvre que la Tunisie a besoin d'un «salut public»... lui qui a ignoré, jusqu'à la mépriser, l'opposition !

Alors que cache le discours des «Frères musulman nahdhaouis» qui vous vantent la nécessité d'une gouvernance collégiale par les partis les plus importants? Cette proposition veut tout simplement empêcher tout projet d'aboutir, de prolonger les palabres ... et surtout d'échapper à toute critique ou à tout jugement pour ceux qui se sont rendus coupables de crimes et d'assassinats. Avec la certitude pour les «Frères» de l'impunité pour leur gestion catastrophique du pays et l'espoir de s'installer et de normaliser leur situation, le temps pour eux de se remettre des échecs de leur gestion calamiteuse, que ce soit en Egypte ou en Tunisie.

Malheureusement pour les Tunisiens, les «Frères» ont de la chance : ils ont une opposition encore naïve qui se persuade qu'ils finiront bien par admettre et accepter le jeu démocratique. Illusion!

Il n'y a qu'à voir ce que fait leur frère Erdogan en Turquie depuis 2002.

Car c'est sur la durée que misent les «Frères» pour s'implanter dans le paysage politique en s'appuyant sur une société qu'ils «islamiseront» en profondeur. Ce que fait le FIS, branche algérienne des Frères musulmans, en Algérie.

Tout au plus, Nidaa Tounes peut-il concéder quelques postes honorifiques au parlement à son adversaire Ennahdha, comme cela peut arriver dans les veilles démocraties où les assemblées parlementaires concèdent quelques vice-présidences à l'opposition et souvent la présidence de la Commission des Finances. Cette première vice-présidence est surtout honorifique mais ne dispose d'aucun pouvoir réel. Ce qui est le cas, par exemple, à l'Assemblée nationale française.

Par ailleurs, le groupe islamiste ayant électoralement la deuxième place, il n'est donc pas anormal qu'il ait une fonction à l'Assemblée. L'élection d'Abdelfatah Mourou, y compris avec les voix de Nidaa Tounes, ne signifie en rien un accord de gouvernement de Nidaa Tounes avec Ennahdha. Car, en aucun cas Nidaa Tounes ne doit associer Ennahdha au gouvernement du pays, au risque de diluer les responsabilités entre les deux formations et de désorienter les citoyens et les détourner de la politique !

Pour un contrat de majorité entre les partis progressistes

Ce qui va être plus important, c'est la façon dont Béji Caïd Essebsi va pouvoir obtenir une majorité dans cette assemblée sur ses projets, avec le risque qu'elle soit très difficile a gérer et que les majorités soient très instables.

La seule solution c'est que Béji Caïd Essebsi ait la capacité, au moment où il va désigner le gouvernement, de faire une sorte de contrat de majorité avec les partis qui voudront bien s'entendre pour gouverner, mais pour donner du sens à son gouvernement encore faut-il qu'il choisisse ses alliés parmi les progressistes pour se conformer à son discours électoral dans lequel il appelait les Tunisiens à choisir entre deux conceptions civilisationnelles diamétralement opposées.

Le silence assourdissant de Hamma Hammami est le moins que l'on puisse dire étonnant. S'il ne saisit pas l'opportunité de s'allier à Nidaa Tounes pour faire progresser le pays sans être dans le tout ou rien, il porterait une très grave responsabilité devant l'histoire.

Car si Béji Caïd Essebsi n'obtient pas une majorité chez les progressistes, il n'aura alors pas le choix; et devra accepter l'aide intéressée des islamistes. Et alors, le Front populaire en assumera la responsabilité !

Une fois de plus la démocratie tunisienne marche sur la tête !

A moins que sous pression extérieure (Etats Unis et Union européenne), on veuille en faire un laboratoire pour expérimenter une nouvelle forme de démocratie réservée au monde dit «arabo musulman» où deux forces politiques aux conceptions civilisationnelles antinomiques doivent gouverner ensemble!

Pendant toute la campagne électorale, les Nahdhaouis ont mis en avant la possibilité d'un retour de la dictature d'un parti en décriant le «taghaoual» (volonté de domination). Ont-ils si peu confiance dans la constitution qu'ils ont mis deux ans à rédiger et qu'ils qualifient de la meilleure au monde?

Chacun sait très bien que, compte tenu de la composition de l'Assemblée, que cela n'est plus possible mais ce qu'il faut craindre par contre, c'est que si les deux grands partis s'allient d'une manière ou d'une autre, il y ait là un vrai risque de dictature qui ne dirait pas son nom. Si ces deux partis détiennent le pouvoir ensemble, qui pourra les critiquer? Ce fut le cas lors de la troïka formée par les partis ayant le plus de sièges à la constituante et dominée par Ennahdha. Qui pourra alors lutter contre les dérives? Ce sera le silence dans les rangs et donc une dictature molle.

Est-ce cela que les Tunisiens veulent?

Blog de l'auteur. 

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