Ghannouchi-Caid-Essebsi-Banniere

Béji Caïd Essebsi et Nidaa Tounes semblent avoir tranché: ils ne s'allieront pas avec Ennahdha, un parti qui pratique systématiquement la duplicité et le double langage.

Par Rachid Barnat

Ceux qui ont voté pour Nidaa Tounes aux législatives et Béji Caïd Essebsi (BCE) au 1er tour de la présidentielle n'accepteront jamais qu'ils s'allient ou coopèrent avec Ennahdha. Cela aurait provoqué une crise grave. Aussi BCE s'est-il empressé de les rassurer, dans son entretien, samedi 29 novembre 2014, avec Nessma TV.

Le cap est désormais clair

Si avant les élections, BCE avait eu l'intention d'associer Ennahdha au pouvoir, il est clair qu'il revient sur cette idée depuis qu'il a constaté la duplicité de Rached Ghannouchi, président du parti islamiste, qui affirmait la neutralité de son parti à la présidentielle, alors que ses lieutenants et son parti soutenaient effectivement la candidature de Moncef Marzouki... parasitant ainsi le 1er tour de ce scrutin.

On ne peut, en effet, s'allier avec un parti qui pratique le double langage, qui cache ses intentions véritables et qui, dès lors, ne donne aucune assurance, alors qu'il faut plus de sérieux et de responsabilité pour prétendre diriger un pays.

Tant mieux que BCE se tourne vers les démocrates progressistes, pour travailler avec ceux qui regardent vers l'avenir et non avec ceux qui regardent en arrière, parce qu'ils n'ont pas fini de digérer leur histoire, au point de vouloir sacrifier la Tunisie pour assouvir leur désir de vengeance, faisant des Tunisiens les otages de leurs ressentiments.

Souhaitons aussi que, dans le dialogue de Nidaa Tounes avec le Front Populaire, chacun se décidera en fonction de l'essentiel, à savoir la préservation du caractère progressiste de la Tunisie.

Il faut que le Front populaire ait une position responsable qui tienne compte de la réalité du pays et que Nidaa Tounes accepte d'intégrer dans son programme un réel volet social. Car le social est absolument indispensable pour la réussite à moyen et à long termes du nouveau pouvoir, qui doit améliorer la situation dans les régions défavorisées, vivier où se recrutent les extrémistes religieux.

Désormais, le cap semble donc clair. BCE rappelle aux Tunisiens qu'il leur faut trancher entre deux conceptions civilisationnelles diamétralement opposées, et choisir la direction qu'ils veulent prendre pour leur avenir et celui de leurs enfants:

- aller de l'avant avec ceux qui veulent ancrer la Tunisie dans la modernité, en votant pour BCE, ou;

- revenir en arrière avec ceux qui veulent la faire régresser en choisissant Marzouki et la «troïka» dont il a fait partie et qui le soutient avec les salafistes, les jihadistes et les milices LPR.

C'est ainsi que fonctionnent, d'ailleurs, les démocraties: en cas d'absence de majorité, il est normal que le parti arrivé en tête des élections cherche des alliances parmi ceux avec qui il partage les valeurs essentielles.

C'est, d'ailleurs, ce que les Tunisiens, dans leur majorité, réclamaient depuis le début; et avec plus d'insistance depuis la rencontre entre Ghannouchi et BCE à Paris, en septembre 2013, craignant que celui-ci cède au chant de sirène des Frères musulmans, comme le firent Mustapha Ben Jaâfar et Moncef Marzouki. Quoique ce dernier n'était qu'un crypto-islamiste, comme le découvriront à leurs dépens ses électeurs... et dont le parti, le Congrès pour la république (CpR), n'est qu'un nid de Nahdhaouis, une sorte d'Ennahdha Bis, manipulé par des Frères musulmans notoires, tels Imed Daimi, Slim Hmidane, Abdelwaheb Maatar et d'autres.

Rompre avec l'ambiguïté qui sied à Ennahdha

Le seul argument sous-tendant la proposition d'alliance avec Ennahdha était que les islamistes existent et qu'ils représentent une force dont il faut tenir compte. C'est là un argument sans portée. Qu'aurions-nous accepté de ce parti? Sa conception rétrograde des droits des femmes, son instrumentalisation de la religion et sa manière de faire de la politique dans les mosquées?

Tant qu'Ennahdha continuera de prétendre fonder son action sur la religion, il faudra le combattre. D'ailleurs qu'auraient pu proposer les Nahdhaouis comme programme autre que celui de l'organisation internationale des Frères musulmans? Il n'y a qu'à voir ce que fait leur «frère» Recep Tayip Erdogan en Turquie, le modèle de Ghannouchi.

Depuis leur prise de pouvoir en Turquie, les Frères musulmans n'ont cessé de s'attaquer à la doctrine laïque qui fonde l'Etat turc. N'essaie-il pas de saper, par petites touches successives, les fondements même de la république? N'envisage-t-il pas de supprimer la laïcité de la constitution... et la remplacer par la chariâ?

Si, jusque-là, le processus démocratique en Tunisie a marché sur la tête, c'est parce qu'il était impulsé par les Frères musulmans nahdhaouis, qui ne croient nullement en la démocratie, même s'ils ont réussi à mener leurs opposants par le bout du nez en leur faisant accepter des concepts oiseux comme «consensus», «dialogue national», «coexistence entre les partis» («taâyouch»), «gouvernement d'union national»...

Il n'y a qu'à voir l'organisation des élections et le fait d'avoir fait passer les législatives avant la présidentielle. Ce qui est une «bidaâ» (hérésie), pour reprendre un terme utilisé hypocritement par les Wahhabites, pour dissuader les croyants de toutes pratiques autres que celles prescrites par le wahhabisme en Arabie. Alors que, dans toutes les démocraties, la présidentielle précède toujours les législatives.

Toutes les démocraties fonctionnent de façon claire: il y a un parti (ou plusieurs) au pouvoir et une opposition composée des partis minoritaires. Ce qui a le mérite de la clarté du cap pour le pays et pour les électeurs, celui ou ceux qui gouvernent assumant entièrement la responsabilité de leurs choix d'orientation.

L'ambiguïté en politique est source de désintéressement des peuples vis-à-vis de la politique... et seuls les hommes d'Etat qui défendent un vrai projet sont suivis. D'une certaine manière c'est l'ambiguïté qui explique, en partie, l'abstentionnisme de certains.

Blog de l'auteur. 

 

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