Jeunes-banniere

Si 8% des jeunes sont allés voter aux législatives et présidentielle, c'est parce qu'ils ne se reconnaissent pas dans les gérontocrates qui leur ont volé leur révolution.

Par Tarak Khezami

Qui n'entend qu'un son de cloche ne peut à l'évidence porter un regard lucide sur les événements de son temps. Les jeunes, qui, pour mémoire, étaient et sont encore le fer de lance de la Révolution, n'ont guère été écoutés, leurs idées n'ont guère porté parce qu'ils ont toujours été traités comme une quantité négligeable. Aussi commencent-ils à se désintéresser de la politique. Relaps ou pas relaps, le fait est que seulement 8% des jeunes, à en croire certains instituts de sondage, sont allés voter.

Myopie politique et œillères idéologiques

Tout le monde en parle. D'aucuns s'en étonnent. D'autres s'en scandalisent même. Chacun y va de son commentaire et de son explication. Mais tous feignent de ne pas avoir une explication plausible à cette désaffection rampante alors même que la réponse est simple et saute aux yeux.

Moi qui suis jeune et qui, de par mon métier, coudoie quotidiennement les jeunes, vous prie de croire chers politiciens de tous poils que votre myopie politique et vos œillères idéologiques vous empêchent de capter leur attention, de leur plaire en leur donnant un nouvel espoir. Les décisions que vous avez prises jusqu'ici sont le contre-pied des décisions qu'ils vous ont demandé de prendre pendant ces quatre premières années de dynamique révolutionnaire. Nous vous en laissons juges.

La voyoucratie qu'ils ont chassée a fait place, à leur grande surprise, à une gérontocratie tout aussi ridicule que dangereuse. Ainsi, de vieux débris qui ne parlent pas anglais et qui ne sont pas à l'aise avec les technologies de la communication et de l'information ont le toupet de leur parler d'avenir tout en continuant tranquillement à exalter un passé révolu qu'ils vénèrent beaucoup et dont ils sont prisonniers.

Ainsi, ils peuvent discourir pendant des heures et des heures sur la diplomatie et sur le rôle prépondérant que la Tunisie jouait avant dans les années on ne sait plus combien!!! où savoir lire et écrire tout en étant pistonné ou bien-né pouvait mener très loin!!!

Sachez messieurs que cette époque est bien révolue et que les jeunes cadres tunisiens d'à présent, s'ils ne maîtrisent pas la langue anglaise et l'outil informatique, ils sont considérés comme des analphabètes. Le mot est peut-être choquant pour vous mais c'est la vérité, on vous le promet.

Les hommes politiques de l'ancien régime roulaient dans de grosses cylindrées et vivaient sur un grand pied. Ils se déplaçaient avec des cortèges impressionnants d'ectoplasmes, de vils courtisans et de berlines énergivores avec une noria de voitures de police et plein de badauds des deux côtés de la chaussée. C'est cela même, aux yeux des jeunes que je côtoie tous les jours, le quart-monde et le tiers-monde incarnés et entre lesquels notre pays continue malheureusement à osciller. Cela est d'autant plus malheureux que c'est le pauvre contribuable déjà suffisamment grevé qui paye.

Certains des sbires de l'ancien régime se font aujourd'hui passer sans vergogne pour des démocrates à tous crins alors même qu'ils ont soutenu la dictature et fermé les yeux sur les abus des années durant juste pour garder la maison de fonction, la grosse cylindrée de fonction et les bons d'essence qui vont avec. Quel toupet ! C'est malheureux mais c'est la vérité.

Les jeunes dont je vous parle sont tellement écœurés par ces drôles de loustics qui portent le costume qu'ils rechignent presque tous aujourd'hui à porter la cravate. Celle-ci est devenue, à les en croire, le symbole même de la langue de bois, de la médiocrité et du carriérisme de bas étage.

Un système voyou renaissant de ses cendres

Vous serez malvenus de leur parler de l'autorité de l'Etat qu'il faut rétablir entre autres par une mise correcte. A leurs yeux, et je ne peux que leur donner raison, pour que l'Etat soit respecté, il faut que celui-ci soit respectable au peuple.

Vous serez malvenus de leur parler d'égalité sociale et de citoyenneté alors même qu'ils voient, impuissants,

l'iniquité du système d'imposition qui fait que les riches, d'année en année, s'enrichissent davantage et les pauvres s'appauvrissent davantage. Ces mêmes riches qui continuent à profiter du même système voyou mis en place par l'ancien régime et détruit en partie mais en partie seulement par les jeunes. Et le voilà aujourd'hui qui renaît de ses cendres à travers tous ces requins qui sentent le soufre, qui gravitent autour des politiciens et qui ont tous hâte de voir les affaires reprendre...

Comment voulez-vous qu'un jeune qui a fait des études onéreuses et pondéreuses respecte l'Etat quand il voit tous ces hommes d'affaires véreux qui brassent des milliards de nos millimes par mois payer moins d'impôts qu'un cadre qui gagne 900 dinars par mois.

Ce même jeune a envie de se pendre quand il voit que ce même homme d'affaires véreux profite mieux que quiconque de la caisse de compensation, censée aider les pauvres et les classes moyennes inférieures...

Ces inégalités criantes ont divisé la Tunisie en deux: une Tunisie pour les riches et une autre pour les pauvres.

Ainsi, il y a une école pour les pauvres et une pour les riche; un hôpital pour les pauvre et une clinique pour les riches; une justice pour les pauvres et une justice pour les riches...

Et vous venez, messieurs, tous les soirs sur les plateaux de télévision, la margoulette enfarinée, lui demander de voter pour vous pour changer vite la donne alors qu'il voit que vous êtes complètement réfractaires au changement et que vous mentez comme un arracheur de dents.

Les jeunes l'ont compris depuis longtemps: l'autorité de l'Etat c'est la justice. Elle n'a rien a voir avec l'autorité et encore moins avec l'autoritarisme.

Alors les vieux prenez-en de la graine et bougez-vous vite en prenant des mesures énergiques dont l'Etat a grandement besoin. Ne nous confirmez pas dans notre conviction : on ne peut pas faire du neuf avec du vieux !

Nous vous invitons à y opposer un cinglant démenti !

* Citoyen.

 

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