Ghannouchi-Caid-Essebsi-Banniere

La Tunisie ne doit pas être un laboratoire où les Américains et les Européens expérimentent la chimère d'un mariage entre islamisme et démocratie progressiste.

Par Rachid Barnat

Rappelons-nous: en 2011, Moncef Marzouki, préident du Congrès pour la république (CpR) et Mustapha Ben Jaâfar, président d'Ettakatol, juraient tous leurs dieux qu'ils ne feraient jamais d'alliance avec Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, bras tunisien de l'organisation mondiale des Frères musulmans, «ni avant les élections du 23 octobre 2011, ni après», assuraient-ils.

Or, il semble que, sous la pression des Etats-Unis (EU) et de l'Union européenne (UE), ces 2 Judas de la République ont fini par faire alliance avec les Frères musulmans pour former la «troïka» qui a gouverné durant 3 ans le pays avec les résultats que l'on sait !

Un modèle de démocratie à l'usage des Arabes

En 2014, les EU et l'UE voudraient-ils reproduire leur expérience pour prouver que le mariage des Frères musulmans avec les démocrates progressistes reste toujours possible, en faisant pression sur Béji Caïd Essebsi (BCE), président de Nida Tounes, pour qu'il s'allie à Ghannouchi? Puisqu'ils continuent à soutenir les Frères musulmans, alors qu'un grand nombre de Tunisiens les ont rejetés et le leur ont manifesté à maintes reprises (après l'assassinat de Chokri Belaid et celui de Mohamed Brahmi particulièrement), et persistent à «vendre» aux Tunisiens le prétendu «islamisme modéré» et sa «compatibilité avec la démocratie».

Faut-il rappeler aussi les concepts «proposés» à la classe politique tunisienne par les EU et l'UE – pour proroger la légitimité finie des constituants dont celle du président de l'Assemblée nationale constituante (ANC) et celle du président provisoire de la République, qui ont été élus en tant que constituants – sont «consensus», «dialogue national»... faisant de la Tunisie un laboratoire expérimental pour un «nouveau modèle de démocratie à l'usage des pays arabes».

Or voilà que Ghannouchi propose «un président consensuel», visiblement une nouvelle trouvaille de ses «amis» occidentaux, lui qui, durant le pouvoir de la «troïka», a fait preuve d'un pouvoir absolu, refusant tout partage, ne serait-ce qu'avec ses 2 alliés!

Encore une trouvaille pour «une démocratie bancale», de la part de ses «amis» occidentaux pour satisfaire le Qatar qui a beaucoup dépensé dans les «printemps arabes» et dans les guerres déclarées ici ou là, leur fournissant jusque la chair à canon... pour que son poulain Ghannouchi reste au pouvoir, depuis que son autre poulain Mohamed Morsi a été écarté du pouvoir en Egypte.

Mais il faut aller plus loin et se demander sérieusement si cette notion de «président consensuel», ou de consensus, cette autre forme d'unité nationale, est réaliste, utile et donc souhaitable pour la Tunisie.

Comment ne pas être en colère quand on lit et on voit, ça et là, de plus en plus d'informations tendant à nous vendre un accord entre Nida Tounes et Ennahdha, une rencontre entre les deux leaders, une opération arithmétique tendant à démonter l'utilité électorale d'une telle alliance, et une évocation de la gravité de la situation qui nécessiterait cette alliance.

Il faut dire haut et fort que si une telle alliance, sous quelque forme que ce soit, s'opérait, on pourrait dire que la démocratie est morte en Tunisie quel que soit les discours que l'on tiendra.

Les islamistes et le chantage à la violence

Le vote aux législatives, sauf à être aveugle, a dit clairement qu'une grande partie des Tunisiens, en tous cas beaucoup de ceux qui ont soutenu Nida Tounes, ont voulu clairement écarter les islamistes. Si donc on ne tient aucun compte de ce message, comment voulez-vous que ceux-là croient encore à l'utilité du vote? Si d'aventure, une telle alliance survenait, beaucoup de Tunisiens se désintéresseraient totalement de la vie politique de leur pays qui n'aurait de démocratie que la façade.

Non seulement ce serait une violation de la volonté des gens qui ont voté mais ce serait aussi une très grave erreur; et l'idée de consensus que l'on essaie de vendre est une fausse idée, porteuse de tous les dangers pour l'avenir.

Il faut, en effet, aller plus loin et se demander sérieusement si cette notion de «président consensuel» ou «de consensus», présentée comme une exigence de l'«unité nationale», est réaliste, utile pour le pays et donc souhaitable pour la Tunisie.

Écartons d'abord et fermement l'argument qui ressemble fort à un chantage, qui est de dire que faute d'associer les islamistes au pouvoir, la violence risquerait de survenir dans le pays. C'est un argument choquant et que tout Tunisien doit rejeter avec mépris et force. On ne doit pas céder au chantage et rien de sérieux ne se construit sous la menace de violence.

En dehors de ce chantage à la violence, existe-t-il une raison d'aller vers une sorte d'union nationale consensuelle? Je suis sûr que non. La démocratie dont chacun se gargarise exige un dialogue ouvert, ferme, et quelquefois très vif, entre une majorité et une opposition. C'est comme cela que les choses avancent.

C'est de la confrontation des idées et des projets que naît le progrès démocratique. Une gestion consensuelle, et on a déjà vu ce que cela donnait, conduit sinon à la paralysie, du moins à des projets qui n'ont aucune cohérence parce qu'ils veulent donner raison à tout le monde.

Il faut tout de même se convaincre qu'en politique tout n'est pas égal à tout et si l'on veut réellement avancer, il faut une certaine unité de pensée.

Or, et c'est ici que se trouve la raisons absolument essentielle de refuser cette forme de gouvernement de consensus : on a bien affaire, et il faudrait être aveugle pour ne pas le voir, à deux conceptions opposées et inconciliables de l'avenir du pays.

Les électeurs du Nida n'ont pas voté aussi pour Ennahdha

Dans ce consensus qu'ils appellent de leurs vœux, que veulent les islamistes? Ont-ils renoncé à leur projet? Non, bien sûr ! Et ce projet est incompatible avec celui des modernistes. Alors que va-t-on leur donner dans le cadre de ce consensus? Un des grands risques est de leur abandonner, comme l'a fait, à tort, l'Algérie, le domaine sociétal: l'école, les affaires familiales, les mosquées... Car ils parviendront à faire régresser la société tunisienne en une génération : en faisant insidieusement régresser le droit des femmes, en infusant par l'école leur doctrine mortifère, à prendre en main la société... Et ils pourront alors, aux prochaines échéances regagner le pouvoir. Est-ce cela que l'on veut ?

Que les Américains et les Européens poussent à ce consensus est une forme de mépris des peuples arabes; puisque chez eux, il y a toujours dans leur démocratie une majorité et une opposition bien marquée et que l'union nationale n'est réalisée que dans des périodes d'extrême danger.

Or ici le danger est créé par l'une des parties désireuse de ce consensus. Autrement dit: «Je crée le désordre et je demande à être associé à sa réduction» ! Grotesque.

De qui se moque-t-on?

En tous cas la moindre des choses serait que les candidats à la présidence disent clairement leurs pensées et notamment Béji Caïd Essebsi. On ne comprendrait pas cette volonté de rester dans l'ombre et de tromper le peuple tunisien et les électeurs. Déjà le fait que Nida ne prenne aucune position est un signe particulièrement inquiétant.

Si Béji Caïd Essebsi pense qu'il faut faire cette alliance, qu'il ait au moins l'honnêteté de le dire. Dans le cas contraire il trompe le peuple et c'est un très mauvais signe pour l'avenir.

Le plus étonnant est le discours de Ghannouchi et des petits partis qui le courtisent à propos du risque de «taghaouel» (domination), si Nida Tounes détenait tous les pouvoirs: le législatif et l'exécutif avec ses deux têtes! Oubliant que lui-même, Ghannouchi, a détenu tous ces pouvoirs grâce à des présidents notoirement fantoches; et qu'il s'est imposé durant 3 ans aux Tunisiens par un coup d'Etat constitutionnel !!

Et dire que Ghannouchi, ses Frères musulmans nahdhaouis et les partis qui les courtisent osent nous parler de risque de «taghaouel» de la part de Nida Tounes !

Ghannouchi poussant le culot jusqu'à oser appeler à la sanction des «tajaouzet» (dépassements), lui qui en a fait une pratique systématique durant ses 3 années de pouvoir !

Faut-il en rappeler les plus importantes:

- dépassement du mandat électoral pour la constituante, dans sa durée limitée à un an, acceptée par Ghannouchi qui a promis de la respecter. Or il a fait un coup d'Etat constitutionnel pour la prolonger à sa guise ... «quand la Constitution sera adoptée», disait-il narquois!

- dépassement de l'objet du mandat qui stipulait la rédaction de la Constitution, alors que les Nahdhaouis se sont installés comme des législateurs pour s'occuper de tout sauf de la rédaction de la Constitution!

- dans la petite constitution, ou organisation des pouvoirs provisoires, les constituants se sont autoproclamés source de toutes les légitimités, écartant avec mépris le peuple qui est dans toute les démocraties l'unique source de la légitimité !

Il est grotesque et illusoire de vouloir donner une seconde chance à un parti dont le programme est immuable puisqu'il est celui de la confrérie internationale des Frères musulmans... dans lequel la Tunisie compte pour du beurre !

Si les Frères musulmans, qui ont imposé le régime parlementaire, obtenaient la présidence du parlement, ce serait la paralysie assurée pour le prochain gouvernement. Ils ont montré leur mode d'exercice du pouvoir et de la démocratie, quand ils dominaient l'ANC présidée par un président fantoche, bien encadré par sa vice-présidente Maherzia Labidi, une Nahdhaouie franco-tunisienne !

BCE saura-t-il résister à cette ignoble ingérence des Occidentaux, qui méprisent les Tunisiens en cherchant à leur imposer un mariage contre-nature... qu'ils refuseraient dans leurs propres pays? Cèdera-t-il aux menaces des Frères musulmans nahdhaouis? Les progressiste démocrates tunisiens accepteront-ils cette ingérence? Les élections législatives n'auraient été alors qu'une mascarade de plus?

Blog de l'auteur.

 

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