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Le bilan économique des partis de la «troïka», la coalition gouvernementale qui a gouverné la Tunisie en 2012 et 2013, n'est pas des plus reluisants. Analyse...

Par Nedra Boukesra*

Ce bilan a été marqué, pour l'essentiel, par des taux de croissance faibles et revus à la baisse à plusieurs reprises, un creusement des déficits globaux, une dégradation de la notation souveraine et une inflation galopante...

Cependant, des responsables de la coalition créée suite aux élections de 2011, et composée de partis Ennahdha, le Congrès pour la République (CpR) et Ettakatol, continuent à défendre ce bilan.

Pour l'ancien ministre des Finances Elyes Fakhfakh (Ettakatol), la «troïka» a «accompli de nombreuses réalisations économiques, dont l'amélioration du taux de croissance et le recul du chômage».

Son collègue, ancien ministre du Commerce, Abdelwaheb Maatar (CpR) avait refusé, en octobre 2013, devant l'Assemblée nationale constituante (ANC), d'imputer au seul gouvernement de la «troïka», la responsabilité de la «baisse du rendement économique et le blocage de la production». «Le gouvernement n'est pas le seul responsable de cette situation», avait-il déclaré.

Croissance et chômage: des promesses jamais tenues

Durant les deux ans où la «troïka» a gouverné sans partage, adossée à sa majorité à l'ANC, l'économie tunisienne a, effectivement, retrouvé le chemin de la croissance, après la récession enregistrée en 2011, année de la révolution. Le taux de croissance du PIB est passé de -1,9 en 2011 à 3,9% en 2012, puis à 2,3 en 2013.

La croissance réalisée, grâce à une politique expansionniste, s'est accompagnée, selon le rapport de la Banque centrale de Tunisie (BCT) de 2013, d'une progression des services marchands de 4,4% en 2012 et de 4% en 2013 et des services non marchands, de 5,9% en 2012 et de 5,8% en 2013. Cette hausse intervient suite à «une progression importante de la masse salariale liée aux recrutements massifs dans l'administration».

En 2012 et 2013, ces recrutements ont atteint respectivement, 18.000 et 29.000 postes, selon la BCT.

Les recrutements dans l'administration n'ont pas manqué de susciter la polémique, étant donné que les principaux bénéficiaires ont été les militants d'Ennahdha, dans le cadre de la loi facilitant l'emploi dans la fonction publique des bénéficiaires de l'amnistie générale. De nouvelles recrues, dont la qualification et les compétences ne sont pas nécessairement, conformes aux besoins de l'administration.

Les taux de croissance réalisés en 2012 et 2013 demeurent, en outre, inférieurs aux besoins de l'économie tunisienne et surtout en-deçà des promesses faites par les gouvernements successifs issus des élections de 2011.

L'ancien chef du gouvernement provisoire Hamadi Jebali avait promis une croissance de 4,5% en 2013, dans la déclaration du gouvernement sur les projets de budget et de la loi de finances pour l'exercice 2013. Son successeur Ali Larayedh avait promis 4% pour 2014, taux révisé à la baisse maintes fois par le gouvernement actuel.

Pendant les deux ans de règne de la «troïka», le taux de chômage a été ramené à 15,3% en 2013 contre 18,9% en 2011, mais le nombre d'emplois créés (et totalisant, pour 2012 et 2013, 198.000 emplois) demeure loin des 590.000 emplois promis par Ennahdha dans son programme électoral de 2011.

Le chômage continue à faire des ravages, notamment, parmi les diplômés de l'enseignement supérieur (31,9%), selon le dernier rapport de la BCT.

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Sit-in de diplômés chômeurs à Gafsa: rien de nouveau sous le soleil.

Gestion budgétaire: équilibres macroéconomiques sacrifiés

La politique expansionniste suivie par la «troïka» a été mise en œuvre à travers une démarche budgétaire basée sur l'accroissement des dépenses publiques et a eu pour corollaire une hausse du déficit budgétaire, lequel a presque doublé en 2 ans, atteignant 6,2% du PIB en 2013, contre 5,2% en 2012 et 3,3% en 2011.

Ce déficit «n'a pu être contenu que par le déferrement de paiement de dépenses en loi de finances et une faible exécution du budget d'investissement», lit-on dans le rapport de coopération Union européenne-Tunisie 2013.

A cet égard, un autre rapport réalisé par l'organisation patronale (Utica) en 2013, sur la situation économique dans le pays, a estimé que les dépenses d'investissement sont restés stationnaires au niveau déjà atteint en 2010, soit autour de 4 milliards de dinars, en-deçà des besoins des régions intérieures, berceau de la révolution.

Quant au déficit courant, il a augmenté de 7,4% du PIB en 2011 à 8,2% en 2012 et 8,3 en 2013, contre 5,9% promis le chef du gouvernement précédent Ali Larayedh.

Le déficit de la balance commerciale s'est, également, creusé atteignant 11.808 millions de dinars (MD) à la fin de 2013, contre 8.603 MD en 2011.

S'agissant de l'endettement, il a été porté à 45,7% du PIB en 2013, contre 44,5% en 2012 et 44,4% en 2011.

La situation anémique de l'économie tunisienne a, notamment, mis à mal le pouvoir d'achat du citoyen en raison de la hausse des prix. En deux ans, l'inflation s'est envolée, atteignant une moyenne de 5,6% en 2012, puis 6,1% en 2013.

En dépit de ces résultas, Ennahdha, qui a passé 3 ans à la tête du pouvoir législatif et 2 ans à la tête de l'exécutif et dominé la coalition gouvernementale, a une autre appréciation du bilan.

Dans son programme économique pour les prochaines élections du 26 octobre 2014, le parti islamiste estime que «le gouvernement de la coalition a pu sortir l'économie nationale de la récession et la mettre sur le chemin de la relance à travers l'adoption d'une politique expansionniste bien mesurée qui a préservé l'ensemble des équilibre économiques».

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La politique expantionniste de la "troïka" a aggravé l'inflation et réduit le pouvoir d'achat des citoyens.

Budgets malmenés et autosatisfaction

S'agissant de la gestion proprement dite du budget de l'Etat, c'est à coup de loi de finances rectificatives que les gouvernements successifs de la «troïka» ont essayé d'appliquer leurs politiques économiques. Les dispositions de ces lois de finances, souvent adoptées dans la précipitation par l'ANC, et en dépit des avertissements lancés par les organisations économiques et sociales nationales, en premier lieu l'Utica et l'UGTT (notamment pour celui de 2014), n'ont pas manqué de faire des remous.

A cet égard, les redevances sur le transport prévues dans la loi de finances de 2014 préparée et discutée par le gouvernement de la «troïka» avant qu'il ne quitte le pouvoir, ont donné lieu à un large mouvement de protestation.
En janvier dernier, des recettes de finances, des sièges d'établissements publics ainsi que des locaux du parti Ennahdha avaient été saccagés dans certaines régions du pays, notamment au centre-ouest.

L'ANC avait achevé l'examen de la loi de finances 2014 en 5 jours, adoptant, tard dans la nuit du 29 au 30 décembre 2013, à la surprise de tout le monde, y compris le ministre des Finances présent, un article ajouté séance tenante, portant création d'un Fonds de la dignité au profit des victimes de la dictature.

Par ailleurs, la dégradation de la situation de l'économie nationale durant les dernières années n'a pas échappé à la vigilance des institutions financières internationales et aux agences de notation. Ces dernières ont revu à la baisse, à plusieurs reprises, la notation de la Tunisie, particulièrement en 2013, année marquée par la montée du terrorisme avec deux assassinats politiques qui ont visé deux figures de l'opposition Chokri Belaid et Mohamed Brahmi.

La révision répétée de la notation a enfoncé davantage la Tunisie dans la catégorie spéculative et forcé la BCT a réagir. Le 20 décembre 2013, l'Institut d'émission a réduit le nombre des agences évaluant le risque souverain du pays à trois: l'agence américaine Moody's, l'agence européenne Fitch Ratings et la Japonaise R&I, écartant l'agence Standard and Poor's.

Interrogé sur le bilan de son parti, le coordinateur du programme économique d'Ennahdha 2014, Abdessattar Rejeb évoque les efforts déployés pour accomplir la deuxième partie de la transition dans les meilleures conditions. Il réfute toute critique sur la responsabilité de la «troïka» dans la dégradation des équilibres macroéconomiques du pays.

Cette position dénote une volonté des responsables des partis qui ont gouverné d'occulter leur bilan. L'enjeu est grand, il s'agit de regagner la confiance des électeurs, et pour 5 ans cette fois-ci. Une éternité...

* Journaliste.

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