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Dans leurs programmes électoraux, les partis politiques identifient les problèmes du tourisme tunisien, mais leurs propositions pour y remédier restent assez vagues.

Par Moez Kacem*

Plusieurs critiques et remises en cause ne cessent d'accabler le tourisme dans un pays où le soleil et la mer constituent des atouts indéniables pour sa survie. Pour la première fois dans son histoire, ce secteur fait une éclipse prolongée de plusieurs années successives, suscitant plus qu'une interrogation. Est-ce que nous avons pris le bon choix de parier sur le tourisme en tant que pilier de l'économie nationale depuis les années 60? Pourquoi le tourisme tunisien est-il aussi vulnérable? Quelles remèdes peut-on lui prescrire pour qu'il brille de nouveau dans la zone méditerranéenne?

On essayera ici de parcourir les programmes électoraux des partis politiques tunisiens concernant le secteur touristique en vue de déceler les ressemblance et les divergences de leurs approches et de juger du réalisme des solutions qu'ils proposent.

La diversification et après...

Les programmes étudiés sont ceux des partis : Ennahdha, Afek Tounes, Nida Tounes, Al-Jomhouri, Front populaire, Union patriotique libre, Al-Moubadara et Ettakatol. Manifestement, ce choix repose sur la diversité des courants (islamiste, libéral, gauche, centre) ainsi que sur la facilité d'accès au contenu des programmes concernés.

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Le produit balnéaire reste au coeur de l'activité touristique tunisienne.

Le tourisme n'a pas bénéficié du même mérite chez l'ensemble des partis étudiés. En effet, certaines forces politiques comme Afek Tounes, l'UPL et Ennahdha ont présenté un programme d'action détaillé spécifique au tourisme, alors que les autres se sont contentées de présenter quelques points seulement (Nida, Front populaire). Il y a même des forces qui n'en ont évoqué qu'un seul point revêtant un caractère général (Al-Jomhouri), alors qu'Al-Moubadara n'a formulé aucune vision appropriée à ce secteur.

Pour certains partis (Ennahdha, Afek Tounes, l'UPL), le tourisme est considéré comme un secteur stratégique, alors que pour d'autres, il est appréhendé en tant que secteur classique de l'économie nationale.

La majorité des partis ont considéré la diversification comme une stratégie future du tourisme tunisien. Les propositions, à cet égard, sont nombreuses: la création de circuits d'écotourisme et l'aménagement des sites culturels et historiques (Nidas Tounes) ou encore la promotion du tourisme saharien via la création d'un organisme spécialisé basé au sud (Ennahdha), la création des stations thermales dans plusieurs régions (UPL) et le renforcement du tourisme événementiel (Afek Tounes, Nida et UPL).

Il est bon de savoir que la stratégie de diversification n'est pas un choix récent. On a, en effet, commencé à parler de diversification du produit touristique tunisien depuis le début des années 2000. Mais, les principales difficultés ont consisté dans la mise en place de nouveaux produits selon les exigences de la clientèle et les normes internationales. A cet égard, aucun parti n'a présenté de méthodes concrètes de mise en œuvre d'une telle stratégie afin que les nouveaux produits soient commercialisables auprès des TO et agences de voyages (PPP, labellisation internationale, promotion massive et différenciée, éductours...).

La politique de diversification peut apporter des vraies solutions aux inégalités régionales, en créant des produits compatibles avec les atouts de chaque région et en impliquant davantage les populations locales. Une indication, à ce sujet, a été présentée par Al-Jomhouri, mais sans fournir des détails.

La restructuration pour quoi faire?

Seuls Ennahdha et Afek Tounes ont souligné que le secteur a besoin d'une profonde restructuration en rapprochant au mieux les visions et attentes des professionnels de celles des institutionnels. C'est ainsi qu'Afek Tounes a préconisé tout une série d'actions relatives à la réforme de la gouvernance (selon sa propre terminologie). Ces réformes touchent à l'administration de tutelle ainsi qu'au transport aérien. Quant à Ennahdha, il a parlé de partenariat plus solide avec les professionnels.

Le tourisme tunisien souffre, depuis plusieurs années, d'une crise structurelle dont les origines reviennent même à plusieurs intersections dans les attributions et missions revenant à l'ONTT et au ministère du Tourisme. Ces intersections forment un vrai obstacle à la bonne gouvernance du secteur, à l'homogénéité des actions et des décisions voire au développement même de l'activité touristique dans le pays. En effet, l'autonomie du ministère du Tourisme n'a pas été continue dans le temps, et cela depuis l'indépendance. À sa naissance, le tourisme faisait partie des compétences du ministère de l'Economie nationale, ou, certaines années, de celles du ministère du Commerce. Ce n'est que tardivement que le secteur a gagné son autonomie. La création d'instances indépendantes et autonomes avec une composition hybride, comme le Conseil national du tourisme ou l'Observatoire du tourisme, pourra être une bonne piste pouvant aboutir à une politique de restructuration consensuelle du secteur.

Le partenariat entre les professionnels du secteur (principalement la FTAV et la FTH) et les autorités institutionnelles n'a pas été souvent paisible. Des tensions ont caractérisé cette relation qui n'est pas assez clairement définie. Aujourd'hui, on parle de possibilité de boycotter le ministère du Tourisme en s'abstenant de toute participation aux travaux conjoints. Or, le secteur ne peut pas assurer un développement durable sans une vision commune et solidaire entre ces deux parties prenantes.

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L'investissement touristique pique du nez. Comment inciter les investisseurs à se lancer dans un secteur en crise?

La relance de l'investissement touristique

La promotion des investissements a suscité l'intérêt de la quasi-majorité des partis politiques tunisiens avec une attention particulière portée à la révision du code des incitations aux investissements.

Malgré ce consensus, on a trouvé certaines différences dans le concept d'investissement. En effet, le Front populaire relie l'investissement touristique à la productivité. Cette corrélation apparaît du premier coup incompréhensible, dès lors que les investissements seront orientés vers les nouveaux produits (selon la vision de diversification déjà explicitée).

Quant à Ettakattol, il a insisté sur les investissements de rénovation uniquement. De son côté, Nida Tounes a restreint les investissements à la seule création de centres de loisirs dans chaque région; question qui ne paraît pas évidente surtout avec le refus des investisseurs internationaux à investir massivement dans les régions intérieures où la qualité des infrastructures demeure médiocre et où l'environnement continue de se dégrader.

La commercialisation et l'augmentation du nombre des arrivées, ainsi que l'accroissement des recettes touristiques, ont constitué des préoccupations commune entre Nida Tounes, Afek Tounes et Ennahdha.

A ce propos, seul Nida Tounes a présenté un objectif quantifié estimé à 7 milliards de dinars. Sachant que les recettes touristiques se sont élevées à 2.661.4 MDT jusqu'au 30 septembre 2014 et qu'elles ne franchiront probablement pas le seuil de 3.000MDT à la fin de cette année. On pourrait donc juger cet objectif comme irréaliste, surtout que l'open sky, facteur de stimulation d'une incontournable importance, rencontre des difficultés importantes à la signature.

Une image de marque à restaurer

La commercialisation évoque la notion d'image de marque de la Tunisie en tant que destination touristique. A cet effet, Afek Tounes préfère garder l'image actuelle d'une destination balnéaire, tout comme Ettakattol qui appelle à consolider le tourisme tunisien dans sa version actuelle, alors que Nida Tounes propose la construction d'une nouvelle image reposant sur la «civilisation» et la «créativité».

Cette notion n'est pas de la seule compétence des autorités tunisiennes ou des professionnels. Elle est aussi un outil de marketing pour les TO internationaux et c'est eux qui gèrent, en grande partie, le développement de cette image de marque. Alors peut-on les convaincre d'un tel changement? Comment vont-ils pouvoir commercialiser la Tunisie sur des marchés principalement balnéaires sous un label culturel? Ceci apparaît absurde!

Plusieurs partis évoquent le problème d'endettement des hôteliers mais ils ne s'expriment pas sur la loi de l'AMC (Assets Management Compagny) dont l'examen du projet de loi devant la créer a été laissé au prochain parlement. Cette fuite en avant a banalisé cet objectif qui paraît crucial pour le secteur et principalement pour les hôteliers. L'importance de ce problème échappe à plusieurs partis, qui réclament une compréhension exacte de la nature de cet endettement par la réalisation d'audits internes, comme le demande Ettakattol, par exemple. Seul l'UPL évoque une autre manière pour traiter le sujet de l'endettement en passant par les partenariats internationaux et le renforcement des assises financières des établissements hôteliers. Mais est-ce qu'on peut faire supporter à l'Etat la mission de renforcer les assises financières de certaines sociétés privées? Et comment? Encore une fois, la proposition nous paraît déraisonnable!

Les partis politiques ont, dans leur ensemble, identifié les vrais problèmes qui menacent le secteur touristique.

Ces problèmes ont d'ailleurs été largement décrits par les médias au cours des trois dernières années, surtout avec la nomination de 4 ministres successifs depuis la révolution de janvier 2011. Ce qui, soit dit en passant, n'a pas permis d'assurer une continuité favorable à la bonne gouvernance du secteur.

En revanche, les suggestions des partis pour le développement du secteur touristique ont comporté plusieurs lacunes, comme la marginalisation de la formation, l'absence de toute indication se rapportant au développement durable, l'inexistence des solutions possibles aux problèmes du chômage sectoriel ou même la valorisation de certains emplois dans le secteur touristique, l'absence d'une stratégie de long terme, la nécessité de révision des textes juridiques devenant contraignant pour le secteur, l'inexistence d'une mise en place d'un service de gestion des crises et de veille stratégique, et, last but not least, l'absence d'une vision permettant de ramener la destination à l'ère digitale...

* Enseignant universitaire, consultant formateur en tourisme et hôtellerie à la FTC (François Tourisme Consultants – France), Délégué "Tunisie" à l'Association mondiale pour la formation hôtelière et touristique (AMFORHT), membre du laboratoire de recherche ENVIE (FSEG- Nabeul).

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