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Au-delà des promesses des candidats aux élections, retrouver la Tunisie de 2010, sans autoritarisme ni corruption, est déjà une grande ambition pour les 5 années à venir.

Par Mehdi Jendoubi*

Les candidats à la gestion des affaires publiques parachèvent leurs dissertations, désignées abusivement comme programmes électoraux. Je les lirai attentivement, mais je ne voterai pas sur programmes. Voici mes raisons.

Retrouver les performances de la Tunisie de 2010 est déjà un programme ambitieux en terme de taux de chômage, d'entrées touristiques, de recettes d'exportation, de collecte des ordures et de traitement des déchets de construction, aujourd'hui abandonnés un peu partout, de gestion des routes et des espaces protégés, comme les sites archéologiques ou écologiques.

Je ne parlerai pas des chiens errants installés dans mon quartier pour la première fois depuis 25 ans que j'y réside, ni des couvercles en fonte des canalisations publiques, systématiquement volés.

Mais c'est revenir à l'ancien régime, diront avec indignation et amertume beaucoup de gens de bonne volonté. Evidemment, mais la performance sera d'obtenir ces résultats sans dictature et sans corruption, et cela n'est pas un exercice simple.

La Tunisie vit depuis plus de 3 ans un vaste mouvement de renouvellement de son élite dirigeante jamais connu depuis l'indépendance, ce qui d'ailleurs explique le nombre élevé d'aspirants à la gestion des affaires publiques, qu'il s'agisse des candidats aux élections législatives ou à la présidentielle. Une grande partie de cette élite a été largement exclue de toute responsabilité depuis plusieurs décennies, comment pourra-t-elle disposer de l'expérience dans la gestion du pouvoir et l'accès aux données de base nécessaires à la conception de programmes adaptés aux besoins et tenant compte des moyens disponibles.

La plupart des programmes présentés par les candidats aux élections sont de simples vœux pieux. Ce n'est pas de leur faute, c'est le prix collectif du pouvoir personnel, que nous payons.

Dans dix ans, les choses auront changé, des milliers de citoyens auront été associés à la gestion publique par le biais des municipalités et des conseils régionaux et des milliers de cadres de toutes obédiences auront de hautes responsabilités dans les délégations, les gouvernorats et les cabinets ministériels, et ils auront la connaissance, l'expérience et les données pour concevoir des programmes politiques associant ambition et réalisme.

D'ailleurs l'accès de la troïka au pouvoir a de fait engagé ce processus puisque ceux qui étaient dans les prisons et en exil ont été pour la première fois confrontés aux difficultés de l'exercice du pouvoir. De retour dans leurs partis, ils y apporteront sûrement une touche de réalisme et de compétence.

Les objectifs sérieux et ambitieux que nous retrouvons formulés dans plusieurs déclarations politiques tels que la lutte contre le chômage, la réhabilitation économique des régions de l'intérieur, la lutte contre la misère appelée pudiquement pauvreté touchant environ 15% de la population sont des objectifs a long terme et l'expression magique de changement de «modèle de développement» est une œuvre complexe de plusieurs décennies. Les partis qui auront la naïveté d'en faire des programmes politiques pour les 5 prochaines années seront vite confrontés à leur impuissance et ridiculisés. Et n'oublions pas le temps qui passe vite.

Le personnel politique n'étant pas actuellement habilité à proposer des programmes qui ne soient pas de simples desiderata, qui le fera donc à sa place?

La Tunisie est riche de milliers de cadres de haut niveau dans tous les secteurs. Ils peuplent les administrations, les entreprises publiques, les banques, les universités, les organisations nationales et les associations. Ils connaissent mieux que quiconque leurs secteurs respectifs et ils seront fatalement les acteurs concernés par toute réforme qu'ils sauront faire réussir ou bloquer. Ils sont incontournables dans les deux cas. Réussirons-nous à leur redonner la parole et à les associer au vaste projet de diagnostic de la situation, d'analyse et de propositions d'actions, dans la tradition du plan de développement national, initiée en Tunisie par Ahmed Ben Salah et abandonnée déjà avant la révolution, lorsque les objectifs de développement ont été transformés en programmes présidentiels, dans une dérive de personnalisation extrême du pouvoir et de confusion entre propagande factice et mal-développement. Nous avons tous encore en tête les fameux points des programmes présidentiels du régime déchu.

Retrouver la Tunisie de 2010, sans autoritarisme ni corruption, se donner les moyens et le temps de concevoir un vaste plan pour les 3 prochaines décennies permettant de clarifier le chemin à parcourir collectivement et les moyens à mobiliser, en plus de la saine gestion des affaires courantes de l'Etat, est déjà une grande ambition pour les 5 prochaines années. A ceux qui me promettront plus, j'oppose mon scepticisme citoyen.

* Journaliste formateur.

 

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