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Ordures-Djerba-Banniere

Lettre ouverte au chef du gouvernement à propos des tonnes d'ordures amoncelées partout dans l'île de Djerba, qui observe aujourd'hui une grève générale de protestation.

Par Naceur Bouabid*

Monsieur le chef du gouvernement,

La crise des déchets à Djerba a fait de l'existence du Djerbien dans son île un enfer indescriptible, et réduit son quotidien à un véritable calvaire insoutenable. Les images transmises à la télévision des tonnes d'ordures amoncelées partout où le regard peut porter, multiformes, à haut degré d'humidité et nauséabondes, ne sont rien devant la vue en permanence de ce spectacle désolant, devant le côtoiement au quotidien de ces foyers de nuisance, devant l'inhalation obligée des odeurs de puanteur et des fumées de détritus brûlés.

Vous n'avez pas jugé utile de faire le déplacement à Djerba pour constater de visu la catastrophe dans toute son ampleur, le mal d'une île dans toute sa gravité, pour lire dans les yeux la désolation d'une population désemparée et désespérée.

Nous comprenons que vous ayez d'autres dossiers à traiter, dont celui inhérent au terrorisme, et que vous n'ayez que faire de la crise des déchets à Djerba, dont vous avez délégué le traitement à d'autres membres de votre gouvernement, mais la santé de vos concitoyens exposés au risque imminent d'une épidémie résultant du séjour prolongé des ordures, et victimes déjà d'allergies et d'infections cutanées n'est rien à vos yeux?

N'est-ce pas du terrorisme qu'une bande de citoyens imposent leur diktat et qu'ils interdisent aux engins de l'Etat l'accès à une décharge contrôlée, soumettant une entière population de 150.000 habitants à un calvaire interminable et angoissant?

Un tel contexte de malaise généralisé, de déception et de désespoir ne constitue-t-il pas une meilleure aubaine pour les pêcheurs dans les eaux troubles de s'infiltrer et de commettre leur forfait?

Depuis la fermeture de la décharge contrôlée de Guellala en avril 2012, cette pauvre population voyait le mal proliférer, la nuisance croître, l'espoir s'amenuiser, mais elle a toujours su mesurer, avec sagesse et bon sens, ses réactions et tempérer les ardeurs.

Les rapports fallacieux qui vous ont été communiqués sur l'attitude peu concordante des intervenants locaux vous ont induit en erreur, et vous ont amené à vous résoudre que la responsabilité de la persistance de la crise incombe aux Djerbiens qui n'ont finalement que ce qu'ils méritent.

Cette population à qui, croyons-nous savoir, vous vous entêtez à faire assumer la responsabilité du fiasco, est en train de payer chèrement le tribut d'une mauvaise gestion de la crise par les gouvernements consécutifs, dont le vôtre. Nous avons vu comment les ministres et secrétaires d'Etat venaient à Djerba, comment se préparaient les réunions et dans quelles conditions elles se déroulaient : une mascarade sans plus, beaucoup d'improvisation, de brouhaha et de confusion.

Ordures-Djerba

Depuis le 17 avril 2012, 137.000 tonnes de déchets produits à Djerba ont été déversées dans la nature.

Cette population, maudite sans raison, a l'impression qu'elle est lâchée, trahie, abandonnée à son triste sort; les Djerbiens s'indignent du sort ingrat réservé à leur île, qui a tout donné sans calcul, qui a contribué remarquablement à la résurgence et l'essor de notre pays depuis les premières heures de l'indépendance, mais au lieu d'avoir droit à plus d'égard et de considérations dans ce grave contexte de crise, voilà qu'elle est ingratement marginalisée et oubliée.

Monsieur le chef du gouvernement, est-ce trop demandé pour une île que d'avoir le droit d'accès à une décharge contrôlée, gérée dans les normes? Ces Djerbiens diabolisés par vos siens n'ont jamais rien demandé par le passé, mais, aujourd'hui, ils ne demandent qu'une chose, et en toute urgence : que toutes ces tonnes d'ordures soient acheminées vers une décharge contrôlée et que la folie des décharges anarchiques soient à jamais bannie.

Depuis le 17 avril 2012, 137.000 tonnes de déchets produits à Djerba ont été déversées dans la nature, dans maints endroits du territoire insulaire, fragiles et vulnérables? N'est-ce pas assez? N'est-ce pas un crime contre la nature et l'environnement, alors que deux décharges contrôlées se trouvent dans les parages? N'est-ce pas trop pour une île, pour son écosystème et pour sa biodiversité?

La société civile se propose de contribuer à l'allègement du volume des déchets, se dit prête à entamer un programme de valorisation des déchets par tri séparatif et compostage et à se mobiliser à cet effet pour davantage de sensibilisation des citoyens, et elle n'attend que ces tonnes d'ordures soient déménagées pour entrer en action, mais il ne revient qu'à l'Etat de s'acquitter d'un tel devoir et qu'à ses représentants de remplir les missions qui leur sont assignées.

Nos enfants ont repris le chemin de l'école à partir de ce lundi, et combien nous aurions aimé qu'ils n'aient plus à côtoyer les amas d'ordures, ni à inhaler les fumées nocives des déchets brûlés. Dans quelques jours se produit à Djerba l'événement artistique ''Djerba Hood'' en présence de grandes personnalités étrangères de la culture et de beaucoup d'artistes de plusieurs pays. A la fin de ce mois, 26, 27 et 28 septembre, sera organisée à Djerba une conférence internationale sur l'insularité en présence d'éminents universitaires représentant différentes îles du monde.

Dans ce contexte de la rentrée scolaire, et à la veille de ces grandes manifestations, je me permets, monsieur le chef du gouvernement, de vous interpeller, d'interpeller votre conscience pour venir au secours d'une île en perdition.

Venez entendre le cri de détresse d'une frange de la population d'un pays que vous gouvernez, voir ce que nous voyons au quotidien, inhaler ce que nous inhalons, bon gré mal gré et à pleins poumons, et supporter ce que nous supportons.
Venez admirer le spectacle nocturne des déchets éparpillés d'un bas-côté à l'autre et des brasiers, barrant carrément la voie de circulation et contraignant les véhicules, dont des bus chargés de touristes à peine arrivés et en route vers leurs hôtels, à rebrousser chemin et à trouver d'autres voies de passage.

La colère de la population est à son comble, et elle n'a plus rien à perdre, après 27 mois d'attente vaine et stérile; les prochains jours ne seront pas de tout repos, et il est à s'attendre à des décisions d'actions d'envergure à la hauteur de l'ampleur de la crise et de l'inefficience de l'apport du gouvernement que vous présidez.

* Président de l'Association pour la sauvegarde de l'île de Djerba.

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