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Il ne reste plus que 7 semaines avant le silence électoral, mais aucun débat socioéconomique n'a été lancé autour des grandes orientations prônées par les différents compétiteurs.

Par Mohamed Chawki Abid*

La constitution tunisienne adoptée en début d'année prévoit un régime politique dominé par le parlement et où le président dispose de prérogatives limitées. Les élections législatives auront lieu du 26 octobre alors que les deux tours de la présidentielle se dérouleront courant novembre-décembre.

Ce scrutin devrait pérenniser les institutions pour la première fois depuis janvier 2011, le pays ayant été déstabilisé par les assassinats politiques et les attaques terroristes attribuées à la mouvance jihadiste. Toutefois, les renseignements étrangers font état de «menaces terroristes» pesant sur le bon déroulement des élections.

D'après les sondages, le parti islamiste Ennahdha et le parti Nidaa Tounes sont les favoris des élections. Ces mêmes sondages semblent amener d'autres partis non moins respectables à agir avec beaucoup de triomphalisme, croyant à un positionnement confortable. Ne sont-ils pas face à des présomptions, des illusions, ou des mirages?

Physionomie préliminaire des listes candidates:

D'après l'Instance des élections (Isie), le nombre total des listes électorales pour les 33 circonscriptions a atteint 1.500 listes (contre 1.517 au titre des élections du 23 octobre 2011), comprenant 15.652 candidats, soit 910 listes de partis, 158 de coalitions et 472 listes indépendantes. Parmi les 1.500 listes électorales, on compte 1.382 de l'intérieur et 118 à l'étranger.

L'Isie a déjà commencé à examiner les dossiers de candidature, avant de publier les listes préliminaires et d'ouvrir la voie aux recours éventuels, sachant que les listes définitives seront annoncées avant le 25 septembre.

Il y a lieu de souligner que le plus grand nombre de listes candidates a été enregistré dans la circonscription de Gafsa (81 listes) et le moins élevé à Kébili (33 listes). A l'étranger, la circonscription de France 2 (Marseille) a recueilli le plus grand nombre de listes (24) alors qu'en Allemagne seules 15 listes se sont présentées.

L'examen de la ventilation des listes laisse présager un éparpillement fâcheux des voix eu égard au nombre trop élevé de listes par circonscription. En effet, dès que le rang de la liste dépasse le nombre de sièges à pourvoir (de 4 à 10), cette liste est mathématiquement exclue (nonobstant l'opportunité du plus grand reste). Et comme toute circonscription recueille au moins 10 listes concurrentes, voire beaucoup plus, l'écrasante majorité des listes seront hors course, dont celles des petits partis ou indépendantes.

La dispersion des voix profitera vraisemblablement à la Troïka sortante qui réussit à entretenir un électorat fidèle par le biais de l'exercice du pouvoir exécutif et législatif jusqu'à la dernière minute de la compagne électorale.

En effet, les apparitions populistes régulières sur les écrans des trois présidents de la Troïka (Carthage + Bardo et Montplaisir-Kasba) galvanisent ses militants et excitent ses sympathisants, quand bien même son bilan de gouvernance soit abominable, voire plus catastrophique que celui de la dictature d'avant janvier 2011.

Par conséquent, et en l'absence de prestations réalistes et de dialogues convaincants du côté de l'opposition, l'électorat ordinaire se laissera impressionner par les discours prometteurs et les propos mielleux des leaders de la Troïka, et finira par choisir celui qu'il a l'habitude de voir aux commandes du pays.

 Ben-Jaafar-Marzouki-Ghannouchi

La dispersion des voix profitera vraisemblablement à la Troïka sortante, malgré son bilan calamiteux. 

C'est pour cette raison que, en dehors de l'électorat dense d'Ennahdha (30% en moyenne si on se fie aux sondages), le CPR et Ettakatol réussiront chacun à séduire entre 10% et 20% des votants et pourront de ce fait ramasser chacun un siège par circonscription (le faible abstentionnisme de leurs électeurs favorisant cette orientation).

Ainsi, et en l'absence de campagnes impressionnantes et de communications convaincantes, les partis d'opposition classiques risquent de se limiter au faible positionnement réalisé au 23 octobre 2011, à l'exception de Nidaa Tounes qui pourrait arriver au second rang derrière Ennahdha.

Je sais que mon propos déplaira à grand nombre de militants des partis de l'opposition, qui continuent à croire principalement aux résultats des sondages. Honnêtement, je préfère rentrer aujourd'hui en conflit de débat avec mes amis, que de les voir demain enregistrer une déception angoissante et recourir à des heurts musclés dans la rue pour soi-disant contester le résultat des urnes.

Ceci étant, nous attendons de voir la physionomie définitive des listes en lice, de définir les éléments judicieux d'appréciation, et de découvrir les différents programmes devant être incessamment communiqués au public.

Bases d'appréciation des candidatures :

Maintenant que les formalités administratives sont engagées et les propos généralistes sont exposés, les formations candidates sont tenues de présenter leurs programmes à travers les médias et au moment des meetings populaires, afin que les électeurs puissent les challenger, tant sur le plan sécuritaire et sociétal que sur le plan socioéconomique, et ce, avant de se prononcer sur la liste à retenir.

Un des problèmes du fonctionnement démocratique, et des programmes électoraux en particulier, est de considérer le citoyen comme un «expert» apte à juger de l'utilité des mesures proposées par les candidats.

Dans ce cadre, chaque formation politique, candidate aux élections, diffuse un programme électoral suffisamment détaillé, et décliné par thème politique. Le projet est une description des idées, des objectifs, des intentions, des stratégies, des réformes, des actions ou des mesures projetées ou promises par l'organisation politique qu'elle s'engage à mettre en place une fois élue. En outre, le programme permet au groupe candidat de se faire connaître et de présenter les dossiers estimés prioritaires pour le bien commun.

Par ailleurs, pour toute circonscription (région électorale), chaque liste (indépendante, partisane ou de coalition) annexe au programme national une vision régionale spécifique et des propositions concrètes particulières à l'effet de remédier aux carences existantes, d'améliorer la stabilité et la sécurité dans sa région, et de lui assurer un développement social et économique pérenne.

La diffusion des programmes électoraux est effectuée au moyen de différents médias :

- affiches et flyers ;

- réunions politiques ;

- livres et prospectus ;

- presse papier et électronique ;

- radio, télévision ;

- Internet.

Les médias jouent un rôle important de présentation, de décryptage et d'analyse de ces programmes. Bien que peu d'électeurs lisent réellement les programmes des partis politiques, ils sont largement diffusés et partiellement synthétisés à travers les médias de masse.

Vient ensuite le rôle des analystes qui s'activent à évaluer les positions et les propositions des partis, en s'appuyant sur leurs textes validés.

Attentes prioritaires des électeurs :

Depuis le début des préparatifs aux élections législatives et présidentielles, beaucoup de pronostics ont été faits sur la base des clivages politiques et idéologiques de la population. Mais, au fur et à mesure que les échéances approchent, l'on sent que ce ne sont pas les principaux facteurs qui vont influencer la manière dont les Tunisiens vont voter lors des élections parlementaires cruciales prévues pour le 26 octobre prochain.

L'analyse des derniers sondages d'opinions révèle que l'électeur place le souci sécuritaire et les attentes socio-économiques au centre de ses préoccupations.

L'approche des différents axes prioritaires nécessite un diagnostic pluridisciplinaire et appelle des analyses rétrospectives exhaustives. Plusieurs registres sont ouverts et appellent des propositions :

1- veille sécuritaire dans un souci de restauration de la stabilité et de la quiétude ;

2- moralisation de l'appareil judiciaire et amélioration des systèmes de détention ;

3- politique de lutte contre le terrorisme, l'évasion fiscale et le blanchiment d'argent ;

4- modernisation de l'administration, amélioration de la gouvernance et lutte anti-malversation et anti-corruption ;

5- perfectionnement du Service public et redressement des entreprises publiques ;

6- découpage régional dans une perspective d'autonomies budgétaire et décisionnelle partielles ;

7- réforme fiscale dans une perspective d'équité fiscale et de lutte contre la fraude & l'évasion ;

8- démarche graduelle pour la réduction du déficit budgétaires et la maîtrise de la dette publique ;

9- conduite des grands travaux : extension des infrastructures routières, ferroviaires, portuaires, aéroportuaires, etc.;

10- reconsidération de l'indépendance alimentaire et de la politique agricole ;

11- incitation à l'investissement privé dans les régions de l'intérieur et dans les secteurs à haute valeur ajoutée ;

12- encouragement des activités économiques stimulant les exportations et la création d'emplois aux diplômés ;

13- consolidation du tissu industriel et assistance des PMI en difficultés économique & financière ;

14- promotion des activités de mise en valeur des richesses naturelles (artisanat, petits projets...) ;

15- reconfiguration de l'investissement dans le secteur des industries extractives (mines, carrières et hydrocarbures);

16- reconsidération de la politique énergétique : fossile, renouvelable et électrique (transition énergétique) ;

17- refonte stratégique du tourisme national et mise en valeur des sites archéologiques ;

18- perspectives de coopération économique intra-maghrébine (zone de libre échange) ;

19- révision des accords de libre-échange dans un souci de réciprocité dans les échanges commerciaux ;

20- négociation de l'activation des mesures de sauvegarde par souci maîtrise du déficit commercial chronique ;

21- revue des dispositions du projet Aleca par souci de préservation des secteurs fragiles (agriculture, aérien...) ;

22- gestion de la balance des paiements et restructuration des dettes extérieures du pays ;

23- maîtrise de l'inflation et amélioration du pouvoir d'achat du citoyen tunisien ;

24- restauration de l'importante classe moyenne, ayant été fragilisée depuis 4 ans ;

25- réforme du système éducatif, en adéquation avec les approches pédagogiques modernes

26- priorisation et financement de la recherche et innovation technologique ;

27- politique de l'emploi et de la formation professionnelle ;

28- encouragement et diffusion de l'économie sociale et coopérative ;

29- lutte contre la précarité sociale et la disparité régionale ;

30- promotion des logements sociaux et des résidences universitaires ;

31- revue du ciblage du système de compensation des prix de produits de base ;

32- réforme de la retraite et restructuration des caisses de sécurité sociale ;

33- veille à des avancées sociales significatives, notamment en direction des plus démunis (pauvres, handicapés, aînés) ;

34- réforme de la couverture sociale et démocratisation de l'accès aux hôpitaux publics (à multiplier et moderniser) ;

35- consolidation de l'offre médicale, sous l'angle qualitatif, face à une demande croissante, intérieure et étrangère ;

36- rénovation et extension des infrastructures sportives et culturelles ;

37- protection de l'environnement et veille à la propreté des milieux urbains ;

38- préservation des ressources en eau et traitement dynamique du stress hydrique ;

39- promotion de la société du bien-être ;

40- diplomatie et coopération internationale : Maghreb, pays arabes, pays africains, UE, etc.

À ce jour, aucun parti politique n'a pu procéder à une analyse rétrospective de notre société pour :

1) dégager les insuffisances qui la caractérisent dans tous les domaines (sécurité, emploi, pouvoir d'achat, subvention des produits de base, couverture sociale, santé, enseignement, économie, investissement, etc.);

2) établir des mesures correctives et ériger des actions pragmatiques en vue d'y remédier, et

3) mettre en œuvre un programme quinquennal (voire pluriannuel) issu d'études prospectives.

Consistance et décryptage des programmes électoraux :

Alors que nous sommes en pleine campagne électorale, il est regrettable de constater qu'aucun débat socioéconomique ne soit lancé autour des grandes orientations prônées par les différents compétiteurs.

Aucun parti politique en lice n'a dévoilé un axe de son programme et n'a émis un plan de sauvetage concret pour sortir le pays de la crise qu'il traverse depuis plus de 3 ans. Aucun candidat n'a scoopé les erreurs des gouvernants précédents pour les épingler devant l'opinion publique et démontrer qu'ils ne doivent pas être reconduits. Pourtant la troïka a brillé par sa gestion calamiteuse des affaires publiques, et les technocrates en exercice ont fait du surplace. Pourtant, les faux pas et les mauvaises prestations des uns et des autres sont visibles à l'œil nu et ont causé d'énormes préjudices à la nation.

Sur le plan économique, la situation est catastrophique et devait interpeller les principaux compétiteurs en lice. Plusieurs entreprises sont proches de la cessation de paiement et d'autres ont déjà mis leur clé sous le paillasson entrainant des pertes d'emplois.

Sur le plan social, la situation est précaire. Le citoyen se bat contre l'insécurité, l'injustice, le chômage et l'inflation. De nos jours, on voit souvent des Tunisiens s'exprimer ouvertement en souhaitant le retour de la dictature pour en finir avec tout ce cirque mené par nos hommes politiques.

Cependant, les formations politiques actuelles se sont toutes limitées à formuler quelques objectifs totalement flous, du genre :

- assurer la prospérité de toute la nation ;

- veiller à la justice sociale ;

- booster le développement régional ;

- venir en aide les plus démunis...

Seule Ennahdha se démarque de ses compétiteurs en se proclamant fondamentalement «le défenseur de l'islam» et se déclarant porteur d'un «modèle sociétal moralisateur et efficace» (d'après les discours officiels).

Visiblement, la plupart des compétiteurs ont oublié les effets déclencheurs des exaspérations populaires à fin 2010, ainsi que les objectifs unanimement retenus en vue de les réaliser à court et moyen terme, à savoir:

- création d'emplois et réduction du taux de chômage ;

- priorisation de l'investissement dans l'arrière-pays et atténuation de la disparité régionale ;

- restauration de la justice sociale et instauration de l'équité fiscale ;

- combat des malversations et lutte contre le déploiement de la corruption;

- garantie de la souveraineté nationale de l'intégrité territoriale.

Nous demeurons impatients pour découvrir les programmes des principaux mouvements politiques, les analyser par rapport aux attentes populaires et priorités nationales, et parvenir à les challenger entre eux.

La comparaison des programmes s'articulera en premier lieu autour des trois axes fondamentaux suivants:

1- consolider la sécurité et moraliser la justice pour retrouver la quiétude ;

2- redresser l'économie et proposer un nouveau modèle de développement ;

3- recouvrer la justice sociale et lutter contre les discriminations et les disparités.

D'autres critères viendront en seconde position pour permettre de juger du pragmatisme stratégique et du savoir-faire des compétiteurs. Ils tiendront compte des principales attentes des citoyens mentionnés précédemment.

Il ne reste plus que 7 semaines avant d'observer le silence électoral, pour que chacun des principaux partis en lice aligne judicieusement ses diagnostics, idées, promesses et argumentaires, et puisse surtout être convaincant dans la management de sa campagne (meeting, débat avec les électeurs, interview, débat télévisé...).

Aussi, ce timing serait-il suffisamment large pour permettre aux spécialistes de décrypter les programmes des principales formations politiques et de conduire des analyses comparatives pertinentes?

Aussi, ce calendrier serait-il suffisant pour que les électeurs puissent assimiler les subtilités et spécificités des programmes, les classer selon des critères majeurs, et fixer son choix à l'échéance du scrutin?

A défaut, ne serait-il pas tenté de trancher en faveur de celui (ou de ceux) qu'il connait mieux que les autres, en dépit de ses défauts et contreperformances ?

L'exercice n'est pas si simple qu'on pense, et les résultats ne sont pas si évidents qu'on croit.

Soyons donc vigilants.

* Ingénieur économiste.

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