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En Afrique, l'Etat doit être «développementaliste», c'est-à-dire assumer des responsabilités de régulation, d'infrastructure et de gouvernance.

Par Aram Belhadj*

L'Afrique continue toujours de servir comme variable d'ajustement pour l'économie mondiale : matières premières bon marché, main d'œuvre abondante à bas prix, marché de demande énorme pour les biens et services étrangers, etc.

Cela ne veut pas dire que l'Afrique n'avance pas. Au contraire, les taux de croissance enregistrés dans le continent sont parmi les plus élevés de la planète et l'amélioration des politiques économiques s'est quand même soldée par une stabilité macroéconomique sans précédent.

Ayant la chance de croiser et d'écouter le prix Nobel d'économie, professeur de Columbia University et président de l'IEA (International Economic Association), Joseph Stiglitz, ce billet essayera d'exposer le point de vue de cette personnalité éminente à propos de l'Afrique et la relation du continent noir avec la dernière crise financière et économique.

Des questions brûlantes

Il est à remarquer de prime à bord que la crise financière et économique est venue poser des doutes sur la capacité du continent à préserver les acquis jusqu'ici réalisés. En même temps, elle a montré que les opportunités qui se présentent à l'Afrique restent importantes, pour peu qu'un énorme travail de gouvernance politique et de transformation économique soit fait.

Les questions brûlantes qui nécessitent une réflexion assez profonde de la part de la classe politique et des intellectuels africains (et non africains) sont les suivantes : quelles leçons l'Afrique peut-elle tirer de la dernière crise? Subira-t-elle une crise systémique plus sérieuse que celle de 2010? Aura-t-elle les atouts nécessaires pour contrer les effets d'une telle crise? Quel est le rôle qui incombe aux intellectuels africains pour garantir une croissance soutenable et équitable dans le continent noir? etc.

Les leçons de la crise

La dernière crise a montré que la confiance dans les mécanismes de marché ne doit plus être de rigueur. En effet, «l'idéologie libérale», telle qu'adoptée par le consensus de Washington, a confirmé que les hypothèses d'un désengagement total de l'Etat et de l'existence d'un marché parfait qui s'autorégule étaient erronées. Par conséquent, il est indispensable de redéfinir le rôle de l'Etat ou encore de trouver un partage optimal des tâches entre l'Etat et le marché. A cet égard, en Afrique, l'Etat doit être «développementaliste» dans le sens où il doit assumer ses responsabilités de régulation, d'infrastructure et de gouvernance, etc.[1]

Joseph-Stiglitz-et-Aram-Belhadj

Joseph Stiglitz et Aram Belhadj.

D'autre part, la crise a fait valoir que, dans un monde ouvert, elle prend un caractère dynamique. Plus particulièrement, l'intégration ou l'interconnexion des marchés fait que la contagion est plus facile d'une économie à une autre et que, par conséquent, il faut trouver les moyens de se prémunir. A cet effet, l'Afrique doit diversifier son économie via un processus de transformation approprié et une politique d'industrialisation délibérée plutôt que de se contenter d'être un continent à vocation agricole.

Enfin, la crise a mis en lumière la question de cohérence des politiques économiques. Plus spécifiquement, l'absence d'une volonté de protéger l'économie contre les éventuels débordements de la finance globalisée et l'attachement à appliquer aveuglément les souscriptions imposées par les institutions internationales doivent être écartées.

Dans cette optique, l'Afrique doit rompre avec les fausses doctrines afin de mener à bien des politiques économiques rationnelles mettant au premier rang l'intérêt économique suprême du continent. En particulier, il est conseillé par exemple de ne pas se concentrer sur un ciblage d'inflation de la part des banques centrales et d'intégrer par conséquent l'activité, l'emploi, le développement... dans leurs fonctions «objectifs»[2], d'engager des mesures de contrôle des capitaux et de mettre en œuvre des politiques de change plus appropriées, etc.

Le rôle de l'élite

Stiglitz reconnaît que la crise n'est guère derrière nous et que le monde pourra replonger dans une autre crise plus profonde. La principale raison étant que les efforts consentis pour extirper l'origine de la dernière crise sont de loin suffisants. En même temps, il considère que l'espoir demeure présent. En effet, l'Afrique, par exemple, pourra espérer autant de choses si elle s'efforce d'accélérer l'application de la thérapie susmentionnée: stabilité macroéconomique, réformes structurelles, transformation économique et gouvernance politique.

En même temps, l'élite africaine doit reconnaître la lourdeur de la responsabilité qui lui incombe. En particulier, les économistes doivent occuper le devant de la scène en jouant un rôle éminent dans la prédiction des crises (en ex-ante) et dans la proposition des solutions courageuses et réalistes pour le continent (en ex-post).

Dans le même cadre, les recherches académiques et scientifiques ne doivent pas passer à côté de la plaque et doivent concerner en priorité les domaines suivants : l'urbanisation, les inégalités et la démographie.

En clair, ces recherches doivent être motivées afin de permettre à l'Afrique de maintenir une croissance remarquable et équitablement répartie.

Notes:
[1] Le Botswana et l'Ethiopie sont des exemples révélateurs.
[2] L'acharnement de Stiglitz contre le ciblage d'inflation suscite la curiosité surtout si l'on sait que dans ce genre de régime, la stabilité monétaire est garantie. De plus, la flexibilité du taux de change qu'implique un tel régime permet de contrer les chocs réels. D'autre part, Stiglitz semble ignorer totalement le rôle des politiques budgétaires et fiscales en tant qu'instruments de stabilisation macroéconomique.
Fondamentalement, il est admis que le ciblage d'inflation est bénéfique à condition qu'il soit flexible. Cette flexibilité prend place si la banque centrale fixe un intervalle cible plutôt qu'un point d'inflation, si elle vise un objectif d'inflation sur le moyen terme plutôt que sur le court terme, si elle cible une inflation sous-jacente (inflation calculée sur la base d'un panier excluant les biens et services les plus volatils) plutôt qu'un taux général et, enfin, si elle renforce la coopération et la coordination avec le gouvernement.

* Enseignant- chercheur, FSEGN, Tunisie.

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