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En rompant avec ses alliés de l'UpT, dont le mérite dans l'éviction de la Troïka a été vite oublié, Nida Tounes prépare les alliances douteuses à venir...

Par Hedia Yakhlef

Qui ne sait que la politique est rarement l'œuvre de mains propres et que, pour arriver à ses fins, celui qui la pratique trempera, tôt ou tard, ses doigts dans le marigot le plus fétide pour aller chercher la vase dont il sculptera ses ambitions.

Mécanismes et ressorts d'avant

Dans ce domaine Machiavel est roi et si tu es homme de principe passe ton chemin. Ne te berce pas d'illusions à écouter les fables des lendemains qui chantent et les promesses de jours meilleurs. Les grands slogans des «programmes» ne sont que des paillettes brillantes mais vouées à être, à la première occasion, piétinées.

On nous a gavés depuis trois ans de déclarations pieuses sur le combat à mener contre la pauvreté et la marginalisation, sur la chance à accorder aux jeunes et aux laissés pour compte, sur la nécessaire défense de «la veuve et de l'orphelin» que se doit d'assurer la société post révolutionnaire, en somme, sur la rupture introduite par la «révolution».

Force est de reconnaître aujourd'hui que celle-ci n'a jamais été une rupture mais rien qu'une simple boucle bouclée. Ne voit-on pas se remettre en place les mêmes mécanismes et ressorts qu'avant?

A l'occasion des grandes manœuvres électorales et à l'examen des listes proposées, on constate, chez le parti théoriquement le mieux placé (Nida Tounes), grâce au travail des militants de base qui ont bravé risques et dangers quand il y avait bataille, que l'issue était incertaine et que le doute planait, la même toile se reconfigurer, et le même dispositif de prise de pouvoir se reconstituer.

Les notables du portefeuille

Effarant et scandaleux est en effet ce retour massif des hommes d'affaires «aux affaires» comme si il n'y avait que cette engeance pour présider à l'avenir de ce pays et le faire redémarrer.

Les notables du portefeuille, on nous le dit avec arrogance, sont désormais dans la partie et bientôt les maîtres du pays. Dans le marché politique tout s'achète et se vend, pourquoi les élections seraient-elles à l'abri surtout quand les partis ont besoin d'argentiers pour faire tourner la machine et voir leur succès garanti?

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Union pour la Tunisie: une belle promesse trahie... 

Nida Tounès est l'exemple même de ce règne de la ploutocratie annoncée, oui l'exemple parfait de ce que serait «une société gouvernée par les plus fortunés»; ceux d'hier d'ailleurs qui reviennent aujourd'hui. Une cohorte hommes d'affaires pour les listes! On est bien loin de la classe moyenne séduite, il est vrai, mais à la première échéance, c'est-à-dire aujourd'hui, abandonnée. C'est un puissant lobby qu'on intronise et consacre aux dépens des autres catégories sociales payées, de retour, en mépris. Fonctionnaires, employés, artisans, professeurs, ouvriers, artistes... vous ne valez pas tripette devant les gros sous mobilisés et pour vos services rendus vous serez en monnaie de singe «remerciés»!

Mettez les fortunes à la tête de la haute instance légiférante et ne vous étonnez pas de voir le pays dirigé comme une «affaire» privée ne répondant qu'aux seuls intérêts de rentabilité!!! La Tunisie gérée comme un complexe hôtelier, une équipe de foot ou un supermarché.

Nida Tounès ou les affaires généralisées !!! On vous l'aura dit !!! Et tant pis pour les alouettes qui se laissent encore prendre aux miroirs qu'on leur tend !!! On a avalé la pilule de la gérontocratie enrobée d'expérience et de sagesse, les «têtes pointues» de Nida pensent qu'on n'aura pas de mal à avaler le gros cachet de la ploutocratie en sus!!! Certains ne manqueront pas de nous reprocher cette attaque «malvenue et perfide» contre une catégorie sociale «injustement stigmatisée» et n'hésiteront pas à nous traiter de «relaps» à porter une pointe aussi aiguë contre le «choix» du parti; deux dimensions sur lesquelles nous nous devons de nous arrêter.

Qui peut nier, dans la vie économique d'un pays, le rôle qui revient à des hommes de volonté et de capacités d'entreprendre, d'investir, de créer, de fructifier et de récolter?

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Le "grand amour" entre Béji caïd Essebsi et l'homme d'affaires Moncef Sellami, qui défendra les couleurs de Nida Tounes à Sfax.

Pignon sur rue et pognon

Légitime et même nécessaire, l'entreprise est vecteur de prospérité, de développement et de socialisation tant le travail qu'elle pourvoit est le moteur de la cohésion d'une société. Mais cela suffit-il à entériner cette hégémonie que les hommes d'affaires sont en passe d'établir sur la vie politique du pays?

On est en droit de se poser cette question surtout qu'on ne s'est jamais interrogé sérieusement sur la formation de cette catégorie sociale préférant les réponses toutes faites et les fables à dormir debout comme celle du grand loup noir et des moutons tout blancs!

Deux mots : corruption et économie de clan ont permis de mettre sous l'étouffoir un vrai débat qui nous aurait donné l'occasion de comprendre la généalogie de cette «classe» et la domination qu'elle exerce aujourd'hui et plus encore demain sur nos vies.

Y a-t-il eu dans ce pays, on peut remonter aux années 60, de vrais patrons d'«industrie» et un vrai «capitalisme entrepreneurial» justifiant cet exorbitant coefficient d'accumulation des richesses que tout un chacun peut constater dans ce pays!?

Palais, domaines, voitures, train de vie... autant de signes qui témoignent plutôt d'un «capitalisme» de prédateurs et de prébendiers: espèces qui se sont développées par cercles concentriques autour d'un noyau trop connu et visible pour être utilisé aujourd'hui comme arbre masquant la forêt et explication aux esprits pressés.

Oui, tout le monde en convient, pendant des décennies une «accumulation radiculaire» s'est constituée en Tunisie. Le clan familial a, en effet, plongé profondément sa racine dans le tissu économique du pays, captant scandaleusement les richesses, mais cela suffit-il pour autant à s'aveugler sur l'autre accumulation faite par «marcottage» et «en capillarité»?

Tout ce «beau monde» des affaires bénéficiant de la corruption, des facilités bancaires, des prêts sans garanties, des modalités lâches de paiement et de la fiscalité arrangée que leur permettait le clan «condescendant»!! Voilà le secret de cette précipitation sur les listes électorales : s'emparer des leviers de décisions et de commandes pour que personne n'aille chercher plus avant dans les mystères de ces fortunes troubles parfois un peu trop rapidement bâties. Mais aussi empêcher, politiquement, tout regard en arrière, toute velléité de regarder et faire en sorte que les affaires continuent de prospérer dans le présent.

Il se trouve que certains partis, Nida Tounes peut être en tête, sont disposés à jouer le jeu et à fermer les yeux!!! Pignon sur rue et pognon, notables et bancables pensent-ils, sont la clé de voûte des élections !!! Est-ce trahir de ne pas cautionner ce choix?

Pour ne pas nous laisser enfermer dans des voies périlleuses et des orientations que nous risquons de regretter plus tard, osons spéculer sur le mobile réel qui a scellé cette décision contestable de la direction.

UpT-Bardo

Le rôle de l'Union pour la Tunisie dans le succès du sit-in du Bardo oublié.

Les «cailloux dans la chaussure»

Mettons-nous à la bonne distance, prenons un peu de recul pour examiner le motif secret de la trame qu'on nous tend. Quoi lire dans cette défection à deux temps? D'abord d'avec nos alliés de l'Union pour la Tunisie (UpT) dont le mérite patent dans l'éviction de la Troïka a été vite oublié, ensuite d'avec les composantes autres que destourienne dont on s'est longtemps enorgueilli et qu'on marginalise à la veille des élections.

Mon hypothèse est que le parti tente de s'affranchir des tutelles qui pourraient limiter ses manœuvres après les élections. Nida Tounes croit qu'en s'ôtant ces «cailloux dans la chaussure» que constituent ses compagnons de gauche, syndicalistes, intellectuels et indépendants, et en s'alliant uniquement avec les nantis des dynasties et de la finance pour qui le seul credo est l'intérêt sonnant et trébuchant sans état d'âme, ni couleurs ni odeurs, «neutre» comme l'argent, il se donne les coudées franches pour les futures alliances «appelées par le résultat des urnes» et les futurs arrangements.

L'interface de cette porosité entre deux projets politiques censés opposés est ce «personnel affairiste» sans scrupule passé d'un côté ou de l'autre, selon les opportunités, à l'exemple de celui-ci, premier de cordée de Nida à Sousse pressenti, un moment, tête de liste chez Ghannouchi, chez Afek, ou de celle-là, fille de son père, adoubée deuxième par le grand sachem, qui participait allègrement il y a peu à un séminaire d'hommes d'affaires sous l'égide d'Ennahdha!

Des supputations ! Certes mais c'est le motif que je vois dans la trame de la tapisserie qu'on nous déroule et devant laquelle nous nous retrouverons gros Jean comme devant comme lors des précédentes élections.

A résultat serré entre Nida et Ennahdha, certains pensent qu'un accord d'alliance se fera au nom de ce qu'on nous persuadera être l'intérêt suprême de la nation et on nous fera la «pédagogie» du réalisme, des défis à relever, de l'état piteux de l'économie, des dangers qui guettent et on nous vendra peut-être même la reconduction, avec quelques retouches, du gouvernement garant de la continuité et de la poursuite de l'effort entrepris.

Y aurait-il là une logique d'actions insensée et révoltante qui prévaut dans l'état d'esprit actuel du parti; qu'on me persuade du contraire et au diable si je ne m'en dédis!

Illustration: Béji et Hafedh Caïd Essebsi.

 

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