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De la nécessité d'harmoniser les politiques économiques passées, présentes et futures de la Tunisie avec les préconisations «souverainistes» de la nouvelle Constitution.

Par Ahmed Ben Mustapha*

Depuis son investiture, le gouvernement Jomaa a consacré l'essentiel de son activité à la mise en œuvre de la feuille de route ainsi qu'au dossier sécuritaire et à la relance économique, en se basant essentiellement sur la dynamisation des relations de coopération internationale de la Tunisie.

Dans le même contexte, il a œuvré à relancer le dialogue politique et économique ainsi que les accords avec nos partenaires stratégiques, notamment les Etats-Unis, l'Union européenne (UE) et les institutions financières internationales afin de trouver les financements et les crédits nécessaires au bouclage du budget de 2014 et colmater les déficits grandissants des finances publiques.

Mais il ne faut pas perdre de vue que ce gouvernement s'était engagé à privilégier l'achèvement de la transition démocratique et le redressement économique avant la fin de l'année en cours, et ce dans le respect des dispositions de la nouvelle Constitution.

Rôle économique accru de l'Etat

Or, la constitution accorde une importance accrue au rôle de l'Etat et du secteur public dans la gestion des affaires et des ressources économiques ainsi que dans la réorientation de la politique et des choix économiques en faveur des catégories sociales marginalisées et des régions défavorisées.

Ce faisant, les constituants ont imprimé une orientation nouvelle à la politique économique en rupture avec les choix de l'ancien régime basés sur le désengagement de l'Etat au profit du secteur privé et l'insertion de la Tunisie dans l'économie du marché.

Mais il convient de se demander dans quelle mesure il sera possible à la Tunisie de concevoir et de mettre en œuvre de nouveaux choix plus conformes aux exigences de la Constitution dans le domaine économique sans remettre en cause certaines options fondamentales de la politique étrangère initiées sous l'ancien régime et notamment les accords de partenariat et de libre échange avec l'UE.

Bien entendu, une telle option est actuellement irréaliste et inconcevable, compte tenu du volume des intérêts liant la Tunisie à l'UE, qui d'ailleurs se sont consolidés par la récente adoption du plan d'action.

Cet article se propose de démontrer que le conseil constitutionnel nous a doté d'une Constitution qui a l'ambition de mettre en place un nouveau mode de société et un nouveau système de développement économique basé sur la réhabilitation du rôle économique de l'Etat, alors que la Tunisie n'a pas les moyens effectifs de mettre en œuvre les politiques appropriées susceptibles de faire respecter cette option fondamentale.

Dispositions économiques de la constitution

En effet, il ne faut pas perdre de vue que les nouveaux engagements extérieurs pris et les crédits contractés ainsi que les politiques économiques du nouveau gouvernement s'inscrivent en parfaite continuité avec celles des gouvernements provisoires précédents; lesquels n'ont fait qu'avaliser les choix politiques et économiques de l'ancien régime qui, à mon sens, ne tiennent aucun compte des nouvelles priorités économiques de la Tunisie telles que formulées par la Constitution.
Mais, il convient au préalable de rappeler les principales dispositions politico- économiques de la Constitution afin de mesurer dans quelle mesure elles sont respectées par les choix mis en œuvre par le gouvernement.

L'article 3 de la Constitution dispose que le peuple tunisien est le détenteur de la souveraineté nationale et la source des pouvoirs qu'il exerce à travers ses représentants élus ou par voie de référendum. Or, certaines décisions d'ordre stratégique prises par l'actuel ou par les précédents gouvernements sont susceptibles d'avoir des implications touchant à la souveraineté nationale économique et devraient de ce fait être suspendues ou différées jusqu'aux prochaines élections afin d'être réexaminées par les nouvelles institutions issues de la volonté du peuple. Au nombre de ces décisions, il convient de citer notamment l'adoption du plan d'action Tunisie-UE.

Ainsi, et selon l'article 5, la Tunisie fait partie du Maghreb arabe et œuvre à la réalisation de son union et prend toutes les mesures pour la concrétiser. Or la Tunisie vient de lier son sort à l'UE par la signature du plan d'action pour un partenariat privilégié qui exprime la volonté partagée «d'accéder à nouveau palier d'intégration avec l'UE qui soit le plus élevé possible», s'inscrivant «dans une dynamique de rapprochement qui dépasse les frontières du libre-échange» aboutissant à l'horizon 2017 à une intégration économique quasi-totale de la Tunisie dans l'espace européen.

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Les choix économiques du gouvernement respectent-ils vraiment ceux de la constitution?

Discordances entre Constitution et le plan d'action

Certes, cette intégration obéira à une démarche progressive, mais elle semble en discordance avec certains fondamentaux de la politique étrangère tunisienne, telles que réaffirmées par la constitution, à savoir la priorité accordée à l'ancrage politique et économique de la Tunisie à son environnement maghrébin et arabo-islamique.

S'agissant des mécanismes prévus pour cette intégration à l'Europe, ils sont définis avec précision tant sur les plans politique et sécuritaire qu'économiques. Il est, ainsi, prévu d'instituer une coopération approfondie basée sur un dialogue et une coopération politique et stratégique portant notamment sur la prévention des conflits, la gestion des crises et une coopération accrue en ce qui concerne la sécurité, la justice, et la gestion des frontières et l'immigration non organisé. A ce propos, la Tunisie a d'ores et déjà signé, en mars 2014, l'accord de partenariat sur la mobilité.

Sur le plan économique, le plan d'action parachève l'insertion de la Tunisie dans l'économie de marché initiée par l'accord d'association de 1995 et ce par son «intégration économique et sociale élargie avec l'Union européenne afin d'édifier un espace économique commun incluant les aspects économiques sociaux et humains».

Cette intégration se fera par la conclusion d'un «accord de libre échange complet et approfondi» par lequel la Tunisie s'engage à étendre la zone de libre-échange – actuellement limitée aux produits industriels – à tous les autres secteurs économiques notamment les services et les produits agricoles.

Le plan d'action privilégie le secteur privé

En fait cet accord, qui mérite une analyse approfondie, constitue un choix politique et économique fondamental impliquant une intégration de la Tunisie dans l'espace européen et dans l'économie de marché à travers la privatisation et l'ouverture de tous les secteurs de l'économie, associée à une libéralisation totale du commerce des biens industriels, agricoles, et des services, ainsi que l'établissement des investissements privés. Il prévoit aussi l'harmonisation du cadre législatif tunisien avec l'acquis communautaire européen. En outre, il est prévu une intégration progressive des marchés tunisiens de l'électricité et du gaz au marché européen de l'énergie.

Ce faisant, cette intégration impliquera le désengagement accru de l'Etat et du secteur public tunisiens de toute fonction économique alors que la Constitution dévolue à l'Etat tunisien des responsabilités majeures dans la reconstruction économique et la réorientation des priorités de la future politique économique et sociale de la Tunisie.

La Constitution et le rôle économique de l'Etat

En effet, les articles 8 à 15 de la Constitution définissent les contours d'un nouveau mode de développement axé sur la réhabilitation du rôle de l'Etat dans la réalisation de la justice sociale, de l'équilibre entre les régions, de l'exploitation rationnelle des richesses nationales et de la discrimination positive en faveur des régions défavorisées.

L'Etat est également tenu d'intégrer la jeunesse dans la construction de la nation et veiller à élargir et généraliser la participation des jeunes à l'essor économique, social, culturel et politique.

Et afin de pouvoir assumer ces responsabilités, l'Etat doit mettre en place les mécanismes à même de lui garantir les ressources nécessaires générées par le paiement de l'impôt et la lutte contre l'évasion et la fraude fiscale. En outre, il veille à la bonne gestion des deniers publics, des ressources naturelles et des richesses nationales pour les dépenser selon les priorités de l'économie nationale tout en œuvrant à lutter contre la corruption et contre toute atteinte à la souveraineté nationale.

D'ailleurs, la souveraineté nationale sur les ressources naturelles et les richesses nationales est réaffirmée avec force par les articles 12 et 13 de la Constitution qui confient à l'Etat l'exercice au nom du peuple tunisien et de la souveraineté nationale sur ces ressources et leur bonne gestion au profit des objectifs nationaux de développement, sous le contrôle du pouvoir législatif issu des élections.

Ainsi le problème de l'inadéquation entre la nouvelle constitution et les politiques passées, présentes et futures de la Tunisie se trouve à nouveau posé et il serait vain de prétendre le résoudre en l'ignorant car il risque de se poser avec une vigueur sans cesse renouvelée non seulement au gouvernement actuel mais à toute la classe politique ainsi qu'aux médias et au prochain régime issu des élections.

J'estime personnellement que cette problématique est incontournable et qu'elle devrait être résolue en priorité en faveur d'une harmonisation de la politique tunisienne dans tous les domaines avec la nouvelle Constitution, en expliquant à l'opinion publique et au peuple Tunisien les enjeux d'un tel choix et les sacrifices qui en découlent.

En effet, la reconduction par les gouvernements successifs depuis la révolution des mêmes politiques économiques et de la même politique étrangère de l'ancien régime a abouti à une impasse ne faisant qu'exacerber davantage les problèmes structurels auxquels la Tunisie est confrontée tout en nous faisant perdre un temps précieux.

En somme, il est temps d'établir les bilans nécessaires et de concevoir – dans le cadre du dialogue national et en concertation avec nos partenaires stratégiques – les politiques appropriées conformes à la Constitution et susceptibles de permettre à notre pays de répondre aux aspirations de son peuple et de favoriser les conditions propices à un véritable décollage économique et à une nouvelle renaissance de la Tunisie post révolution.

* Diplomate et ambassadeur.

 

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