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Les Tunisiens, façonnés par le réformisme de Bourguiba, doivent se méfier des assauts des monarchies du Golfe et leur volonté d'imposer une mainmise sur leur pays.

Par Rachid Barnat

Lui qui a tourné le dos et à juste titre, aux pétromonarques et à leur obscurantisme... serait choqué et scandalisé par les rapprochement successifs avec les bédouins d'Arabie, entrepris par la troïka et ceux qui lui ont succédée.

Faut-il rappeler que Bourguiba tenait dans un mépris total les monarchies archaïques d'Arabie et du Golfe?

Il rejetait le leadership des Ibn Saoud en matière religieuse que s'est accordé cette tribu auto proclamée gardienne des lieux saints de l'islam! Les Ibn Saoud le lui rendaient bien; puisque le grand mufti d'Arabie a déclaré Habib Bourguiba apostat!

Affirmer l'indépendance de la Tunisie

Rappelez-vous : Bourguiba décalait ou avançait les dates des «aïds» et autres fêtes religieuses, du début du jeûne du mois de ramadan... d'un jour juste pour ne pas paraître «suivre» et obéir aux recommandations de ce grotesque pétromonarque, usurpateur par la force d'un titre qui traditionnellement revient aux Qoraïchites de la tribu du prophète; et ce depuis qu'il a chassé du pouvoir le dernier roi hachémite du Hijaz, issu de cette tribu !

Ce qui démontre le désir d'affirmer l'indépendance de la Tunisie particulièrement de toute tutelle religieuse (Califat....), à l'origine des malheurs du monde dit «arabo musulman»! Tutelle qui maintenait les peuples dans l'obscurantisme... le rendant colonisable!

Et plus particulièrement il voulait garder ses distances avec le roi Ibn Saoud qui, très vite après la dislocation de l'empire ottoman, a cherché à reconstituer le grand Califat en tentant d'étendre son hégémonie sur les pays issus de la division de l'empire ottoman, en leur exportant le système politico-religieux qui lui a permis de prendre le pouvoir en Arabie : le Wahhabisme!

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Bourguiba et le Prince Fayçal: Photo prise à New York en 1946 lorsque Bourguiba s’est rendu pour chercher du soutien auprès des Nations Unies pour obtenir l’indépendance de la Tunisie de la France. (Photo Mohamed Ali Eltaher).

Deux leaders, libérateurs de leur pays du colonialisme, tinrent tête aux Ibn Saoud: Habib Bourguiba et Gamel Abdel Nasser.
Ce qui explique la hargne que mettent les Saoudiens pour détruire ce que Bourguiba avait construit. Ils prennent leur revanche profitant de l'affaiblissement de la Tunisie après 3 années d'amateurisme dont avait fait preuve une troïka incompétente.

Bourguiba, instruit de l'histoire de son pays, a compris très tôt que l'avenir de la Tunisie moderne qu'il voulait construire se fera avec l'Occident et plus particulièrement avec l'Europe. C'est pourquoi il s'est détourné des «Arabes», en voulant créer une nation tunisienne enracinée dans son monde naturel, la Méditerranée, qui a vocation historique et géographique à faire partie de l'Occident.

C'est la raison pour laquelle Bourguiba a tout de suite opté pour l'Occident et pour l'occidentalisation de la Tunisie... elle-même ayant longtemps fait partie de l'empire romain qui a façonné les pays des deux rives de la Mare Nostrum.

Les pièges du «panarabisme» et du «panislamisme»

Bourguiba a rejeté le «panarabisme» et le «panislamisme», deux idéologies mortifères pour la Tunisie, leur préférant le «nationalisme». Et l'Histoire lui a donné raison.

Or, à l'occasion du printemps arabe, deux frères ennemis tentent de mettre sous leur coupe les peuples qui ont dégagé leur tyran, et tentent d'avorter leur révolution, trop dangereuse pour leur trône.

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L'ancien Premier ministre Hamadi Jebali reçu par le roi Abdallah d'Arabie saoudite, le 17 juin 2012, à Riad.

Dans un premier temps, ce fut l'émir du Qatar qui a tenté de mettre la main sur la Tunisie en y plaçant son poulain frère musulman, Rached Ghannouchi. Mais depuis que la confrérie des Frères musulmans est tombée en disgrâce auprès de nombreux pays, dont certains les assimilent à une organisation terroriste (Russie, Canada, Syrie, Jordanie, Egypte, Arabie saoudite... bientôt suivis peut être par le Royaume Uni, le roi Ibn Saoud tente d'occuper le terrain. Il a beau ne pas aimer les Frères musulmans qui utilisent eux aussi la religion pour arriver au pouvoir et qui, tôt ou tard, lui disputeraient le leadership sur le monde sunnite, il n'en demeure pas moins que lui aussi s'emploie diffuse le wahhabisme dont il s'est servi pour arriver au pouvoir et qui lui permet de le conserver!

Si les Ibn Saoud vouent une haine aux Frères musulmans contre lesquels ils sont en guerre par pays interposés (Syrie, Egypte, Libye, Tunisie...), et qu'ils tentent de neutraliser Ghannouchi en Tunisie, il n'en demeure pas moins qu'eux aussi sont exportateurs d'une idéologie rétrogrades : le wahhabisme.

Les Tunisiens ont tort de jubiler de l'éviction probable de l'émir du Qatar du printemps arabe et de ses protégés Frères musulmans par les Ibn Saoud, car ceux-là aussi sont exportateurs d'obscurantisme religieux.

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Mehdi Jomaa reçu par Moqren Ben Abdel Aziz, demi-frère du roi Abdallah, vice-prince héritier d'Arabie saoudite.

Faut-il alors aux Tunisiens choisir entre la peste et le choléra ou n'ont-ils pas intérêt à couper court à toute ingérence de ces deux frères ennemis qui ne veulent qu'une seule chose : faire échec à la révolution tunisienne et réduire à néant tout le travail de Bourguiba? Car ces pétro-monarques pratiquent, contrairement à ce qui est répandu, un type d'import-export d'un genre nouveau: pétrole et pétrodollars contre prosélytisme au wahhabisme, conformément au deal passé avec Mohamed Abdelwahhab, fondateur de cette sinistre obédience obscurantiste.

Comment pensez-vous que des monarques aussi rétrogrades restent-ils en place? Bien évidemment, grâce au wahhabisme et à l'exploitation de la religion pour tenir leur peuple dans la soumission.

Est-ce cela que veulent les Tunisiens? Alors que l'Arabie veuille investir, pourquoi pas mais il faut rester d'une vigilance extrême: les investissements financiers oui mais non au prosélytisme wahhabite qui est un poison mortel.

En un mot, résistons au colonialisme politico-religieux des Ibn Saoud comme celui de son frère ennemi l'émir du Qatar.

 

Illustration: De gauche à droite, Richard Nixon, Habib Bourguiba, Lamine Bey et le Prince Fayçal, à Tunis, en 1956 .

Blog de l'auteur. 

 

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