Mehdi-Jomaa-Mahdi-attendu-Banniere

Au train où vont les choses, il est clair qu'à vouloir ménager la chèvre et le choux, la méthode Coué du Premier ministre ne fera qu'engendrer des couacs.

Par Tarak Arfaoui

La nomination de Mehdi Jomaa à la primature ministérielle a suscité beaucoup d'espoir chez les Tunisiens qui voudraient voir leur pays sortir de l'impasse politique dans laquelle il se trouve. Presque 3 mois après sa prise de fonction et au vu du faible rythme imprimé par M. Jomaa pour satisfaire les exigences de la feuille de route du Dialogue national, en vertu de laquelle il a été nommé, un sentiment de désenchantement est perceptible dans l'opinion publique qui commence à douter que le chef du gouvernement provisoire n'est peut-être pas le Messie ou le «Mehdi»* attendu pour réaliser les réformes drastiques qu'exige cette période cruciale que traverse la Tunisie.

Doucement le matin et pas trop fort le soir

Certes, personne ne doute de l'intégrité de M. Jomaa, de sa neutralité politique ou de ses compétences reconnues par tous; mais force est de constater que les qualités professionnelles du personnage, ajoutées à sa discrétion, sa bonhomie et son look BCBG ne semblent pas être au diapason des exigences politiques de cette période transitoire.

Apparemment, la démarche préconisée par le Premier ministre, faite de discours mielleux, de langue de bois, de petits pas faits doucement le matin et pas trop fort le soir, de décisions timides et bien étudiées pour ne pas froisser certains partenaires politiques, de bienveillance à l'égard des agitateurs et récalcitrants, ne semble pas être la méthode idoine.

La lenteur des prises de décision est inquiétante et un premier bilan de bientôt 3 mois de gouvernance montre clairement que M. Jomaa a peu ou prou satisfait les exigences de la feuille de route. A part quelques remaniements dans le corps des gouverneurs et certains postes administratifs, tout reste à faire. Les Ligues de protection de la révolution (LPR), ces milices violentes qui empoisonnent la vie politique et sociale, restent toujours actives, les mosquées – ou beaucoup d'entre elles – toujours sous le joug des salafistes.

En attendant des décisions fiscales radicales

Sur le plan civique, l'insalubrité a envahi tous les espaces publics et jamais de mémoire de Tunisien les villes n'ont été aussi sales et l'environnement aussi hideux. Les dépassements administratifs et les constructions anarchiques ont atteint les limites du tolérable. Sur le plan économique et social, les grèves, qui ont grevé l'économie du pays, vont crescendo du fait de l'absence d'un deal social rigoureux avec la centrale syndicale. A défaut d'un «plan Marshal» de relance de l'économie et de décisions fiscales radicales, on est encore au stade des tournées «caritatives» qui n'ont apporté aucun dividende palpable ni au Moyen-Orient ni aux Etats-Unis.

Le pays a besoin de prise en charge énergique, de décisions rapides et radicales et d'un langage politique ferme et sans ambages pour secouer la léthargie des partenaires économiques et sociaux et de la société civile et les mettre devant leur responsabilité historique. Or, au train où vont les choses, il est clair que la méthode Coué du Premier ministre ne fera qu'engendrer des couacs et qu'en continuant à se déplacer sur ce terrain miné sans démineurs efficaces, en essayant de ménager la chèvre et le choux, M. Jomaa serait très loin d'être le messie tant attendu pour faire sortir le pays de l'ornière.

 

* Dans la tradition de l'islam chiite, El-Mahdi est une «personne guidée par Dieu» et «qui montre le chemin». Le «Mahdi Mountadhar» ou «guide attendu» ou «khalifat Allah» («Roi élu par Dieu») est le «sauveur» attendu des musulmans qui devrait apparaître à la fin des temps tel qu'annoncé par certains hadiths.
Petit détail intéressant: Mahdia, ville natale de Mehdi Jomaa, était historiquement le fief du chiisme en Afrique du Nord.

 

Articles du même auteur dans Kapitalis:

Qui pourra encore raisonner Marzouki, le provisoire volage?

Ennahdha malade de la Tunisie

Mehdi Jomaa est-il l'homme d'Ennahdha ou... le cheval de Troie de l'opposition?