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Lettre ouverte d’une mère de martyr aux présidents provisoires d’une république qui a échoué à laver le sang de ses martyrs et à leur rendre justice.

Par Leila Toubel*

 

Non, vous ne savez pas ce que c’est que d’enterrer celui qu’on a mis au monde avec des youyous, celui qu’on a chéri, choyé, dorloté et aimé pendant des années…

Vous ne savez pas ce que c’est que d’errer des jours et des jours dans le cimetière, de raconter un conte de fée à une tombe et de faire un câlin à une pierre…

Vous ne savez pas ce que c’est que de voir la chambre de son enfant vide, ses papiers encore éparpillés, sa chaise autour de la table inhabitée et ses vêtements sentant le parfum du sang…

Vous ne savez pas que le soleil ne s’est plus levé, que le ciel n’est plus bleu, que les oiseaux ne chantent plus et que les nuits sont hantées par le son des balles et les images des corps inertes…

Vous n’en savez rien messieurs les présidents… Pourtant, je vous ai vus, pendant vos compagnes électorales; vous avez frappé sur la misère et la noirceur de ma porte… avec vos visages qui font semblant, vos mots balbutiés, vos promesses hypocrites, vos discours insipides et votre argent pourri…

Comme au casino, il fallait jouer une carte gagnante… mais mon enfant n’est pas sorti dans la rue pour jouer; mon enfant a revendiqué son droit au travail, à la liberté, à la dignité, mais une balle l’a tué… le savez-vous messieurs les présidents?

Aujourd’hui, mon enfant, dont la vie a été abrégée, n’est peut-être pas votre priorité; vous êtes très occupés avec votre nouveau statut de roi, très occupés à partager le gâteau... Pour qui le chocolat? Pour qui les fruits secs? Pour qui la cerise sur le gâteau?

Vous êtes très occupés à faire des coalitions, à rédiger des lois qui vous ressemblent… à nommer un gouvernement…

Messieurs les présidents, le nom de mon fils cherche une ligne dans l’ordre du jour de vos réunions, à quand son tour? Est-ce qu’il sera le suivant, ou le suivant du suivant?

Mon fils est mort, messieurs les présidents… Les hommages sont bien beaux et indispensables pour la photo et les médias… et l’argent.

Messieurs les présidents, ramenez vos financiers pour calculer combien coûte un millilitre de sang… et les larmes et le deuil éternel combien ils coûtent…

Mon enfant est mort pour son pays, comprenez enfin que ça n’a pas de prix…

Mon enfant est mort, messieurs les présidents… qui l’a tué ? Ou est-ce que vos intérêts avec l’Arabie Saoudite sont plus importants…

Messieurs les présidents, si vous n’êtes pas capables de me montrer le visage de celui qui a tué mon enfant, alors rendez-moi mon enfant. Les martyrs ne meurent jamais, le 17 décembre et le 14 janvier ne mourront jamais. Que vivent les martyrs en chacun de nous, que vive la révolution en chacun de nous.

* Auteure et comédienne.