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Plus de 1,1 milliard de dinars! Voilà ce que revendique Ennahdha pour ses militants au moment où le chômage est endémique, où l'économie est asphyxiée, où le pouvoir d'achat s'est évaporé, et où les nouvelles taxes déplument le pauvre citoyen...

Par Tarak Arfaoui

Encore une fois, en cette fin d'année 2013, l'indécence pieuse d'Ennahdha et de ses militants s'est inévitablement étalée au grand jour, pour ne pas dire à l'aube d'un certain 30 décembre 2013, où les députés de ce mouvement à l'Assemblée nationale constituante (ANC), tel un animal féroce mais gravement blessé, gesticulant avant de rendre l'âme, finit par gerber ce qu'il a de plus répugnant au fond de ses tripes, à savoir un concentré de voracité, de machiavélisme, d'hypocrisie et de haine pour la Tunisie et son peuple .

Une assemblée à moitié vide au milieu de la nuit

Plus de mille milliards de nos millimes (1,1 milliard de dinars)! Voilà ce que revendique Ennahdha pour ses militants et subsidiaires au moment où le chômage est endémique, où l'économie est asphyxiée, où le pouvoir d'achat s'est évaporé, où les nouvelles taxes de toutes sortes déplument le pauvre citoyen. Plus de mille milliards à dépenser sur le budget de l'Etat de 2014 alors qu'on a toutes les peines à en boucler le financement.

La présentation du projet de loi portant création du fonds Al-Karama (dignité) et de son adoption en toute hâte à une heure du matin, profitant de l'absence d'une grande frange des élus de l'opposition étrangement démobilisés, n'était pas, en-soi, une grosse surprise pour les observateurs avertis. Déjà, au cours de la même année 2013, Ennahdha a joué le même coup à l'ANC, minuit passée, pour faire passer un projet de loi bassement matérialiste, présenté par l'un de ses mentors, Habib Khedher, revalorisant les indemnités des députés devant une assemblée à moitié vide au milieu de la nuit.

Pour Ennahdha ce projet de loi portant création du fonds de la Dignité, très controversé aussi bien dans la forme que dans le fond, était du pain béni pour ses militants, une des dernières cartes à abattre avant de quitter le pouvoir et à faire passer coûte-que-coûte pour recueillir enfin le jackpot après avoir réussi à engranger une retraite confortable a vie pour ses députés.

Le militantisme mercantile des islamistes

Sans passer en conseil des ministres ou en commission parlementaire, sans véritable discussion en séance plénière, sans tenir compte de l'avis des ministres de la Justice et des Droits de l'homme, sans attendre le projet de loi de la justice transitionnelle, sans demander l'avis du ministre des Finances qui avait d'autre chats à fouetter pour boucler le désastreux budget de l'Etat et qui n'en revenait pas d'avoir été ainsi floué, il était absolument urgent pour Ennahdha de faire avaler cette couleuvre aux Tunisiens qui va coûter plus de mille milliards de millimes pour le contribuable .

Cette nouvelle notion de militantisme mercantile introduite par les islamistes a vraiment de quoi laisser pantois. Voilà, dans leur vision, le fruit juteux de tout combat politique : l'argent.

Voilà ce qu'on doit inculquer à notre jeunesse, à savoir que le militantisme se paye grassement en monnaies sonnantes et trébuchantes, devenant par là un véritable mercenariat .

Voilà que le contribuable tunisien doit désormais payer pour les états d'âme, les convictions et les engagements politiques ou partisans de certains de ses concitoyens qu'il n'a nullement mandatés pour défendre ses intérêts.

Est il moralement permis de récompenser matériellement des individus qui ont racketté et vitriolé leurs concitoyens ou attentés à leurs vies par des actions terroristes sous couvert de militantisme?

Dans la logique des choses, qui va s'opposer, par exemple, à ce que Abou Iyadh, le chef des jihadistes tunisiens, soit un jour indemnisé, entre autres par ses victimes, vu son passé de grand militant islamiste?

L'avidité et l'imbécilité de l'esprit intégriste

En fait, le militantisme a-t-il des limites morales ou temporelles? Tous les opposants politiques à Ben Ali et, avant lui, à Bourguiba, méritent-ils d'être tous indemnisés? Les Yousséfistes, les Nassériens, les Baathistes, les Perspectivistes, les parents des martyrs du combat pour l'indépendance et autres Israélites expulsés du pays en 1967 ont-ils jamais demandé quelques réparations matérielles?

Et tant qu'on y est, pourquoi ne pas indemniser alors les tribus des Hammama et des Frachiche, qui se sont insurgés contre les Turcs et le pouvoir dictatorial des beys husseinites au 18e siècle, ou encore les descendants de Jugurtha qui se sont opposés à l'impérialisme romain?

Cette histoire de fonds de réparation aux anciens détenus politiques islamistes est symptomatique du fond du gouffre moral et politique qu'on a atteint actuellement en Tunisie et je persiste à croire que cette révolution tunisienne s'est révélée plutôt une véritable révulsion mettant à nu la puérilité et l'extrême médiocrité des élites gouvernantes de ce pays.

L'avidité, l'hypocrisie et l'imbécilité de l'esprit intégriste n'ont décidément pas de limites. Einstein avait bien raison de dire: «Je connais deux choses infinies, l'univers et la bêtise humaine, quoi que pour l'univers j'ai encore quelques doutes».

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