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francois lebrun 12 9Hommage posthume à François Lebrun, célèbre historien français, à qui l’on doit la constitution d’une Ecole tunisienne d’histoire occidentale, par l’un de ses disciples en Tunisie.

Par Hassen  El Annabi*

François Lebrun s’est éteint, le 2 décembre dernier, à l’âge de 90 ans. Consacrant ses recherches à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle), il avait participé, activement, à la formation de générations d’historiens en Europe et ailleurs.

C’est, à la fois, en tant qu’éminent historien et comme fidèle collaborateur avec l’Université tunisienne que nous voulons rendre hommage à sa mémoire.

Originaire de Nantes (en France), né, cependant, à Sedan (Lorraine) où son père, officier de cavalerie, est alors en poste, le jeune François doit regagner le berceau nantais lorsque son père prend sa retraite.

C’est là qu’il fait ses études et passe avec succès le Capes puis l’agrégation d’histoire.

Formé à l’Ecole des Annales de Lucien Febvre et Marc Bloch, il ne tarde pas à dévoiler sa filiation à la démographie historique et à la psychologie historique (histoire des mentalités).

Aussi le jeune agrégé s’intéresse-t-il, dès son premier poste au lycée d’Angers, à tous ceux que la recherche historique avait jusqu’alors ignorés, à savoir le peuple silencieux des villes et des campagnes angevines. Sa thèse sur ‘‘Les hommes et la mort en Anjou aux 17e et 18e siècles’’, publiée en 1971, fait date.

En effet, cette histoire sociale de la mort fait ressortir la lutte pour la vie, l’attitude devant la maladie et la mort chez les humbles. Ce travail illustre aussi les capacités d’un historien qui a réussi à faire converger tous les progrès récemment acquis, aussi bien de la démographie historique que de l’histoire du climat, l’histoire médicale et celle des prix, pour renouveler les approches.

Son intérêt pour les évolutions collectives ne faiblira pas: attitudes et conduites ordinaires, religieuses et parareligieuses marqueront son œuvre.

Aussi, sa thèse est-elle prolongée par une courte mais lumineuse synthèse sur ‘‘La vie conjugale sous l’Ancien Régime’’ (éd. A. Colin, 1975). D’autres recherches aussi novatrices suivront(1).

Spécialiste de réputation internationale dans les domaines de l’histoire des structures et solidarités familiales, des superstitions, de la maladie et de la santé, de la mort, de la foi et des pratiques religieuses du plus grand nombre, François Lebrun œuvre aussi pour une science partagée par le plus grand nombre.

Pour ce faire, il intègre, dès 1989, le comité de rédaction de la revue mensuelle «L’Histoire» et participe, activement, à la composition d’ouvrages usuels universitaires et de manuels d’histoire-géographie pour lycéens, en adoptant une écriture limpide et un style simple.

Homme discret, d’une réelle modestie et mu par un altruisme indéfectible, il n’hésite pas à répondre à l’appel de l’historien français Charles Frostin, alors en poste à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Tunis et de feu Béchir Tlili (illustre historien affilié à la même institution), pour encadrer de jeunes chercheurs tunisiens dans le domaine de l’histoire française.

On lui doit la constitution d’une Ecole tunisienne d’histoire occidentale, qui n’a pas encore son équivalent dans le monde arabe et dont feu Mohamed Grissa(2), Fayçal El Ghoul(3), Hassen EL Annabi(4) et Rachida Tlili-Seallaouti(5) sont les dignes représentants.

François Lebrun porte également main forte à l’Université de Sfax en y assurant une série de cours et de conférences et en contribuant à l’alimentation de la bibliothèque de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines en ouvrages et publications universitaires.

En définitive, l’œuvre de François Lebrun (que son fils, le cinéaste Pierre-François Lebrun, a bien résumé dans un film intitulé ‘‘A la recherche du temps vécu’’) illustre bien l’engagement serein et efficace de l’intellectuel pour le service du plus grand nombre loin des prétentions idéologiques.

* Professeur d’histoire moderne. Université de Tunis.

Note :

1- D’autres publications suivront: ‘‘Histoire des catholiques en France’’ (collectif, Privat, 1980), ‘‘Se soigner autrefois. Médecins, saints et sorciers aux 17e et 18e siècles’’ (Temps actuels, 1983), ‘‘Être chrétien en France sous l’Ancien Régime. 1516-1790’’ (Seuil, 1996), ‘‘Croyances et cultures dans la France d’Ancien Régime’’ (Seuil, 2001), ‘‘Histoire de la Méditerranée’’ (avec Jacques Carpentier, Seuil, 2001), ‘‘Louis XIV, le roi de gloire’’ (Gallimard, 2007).

2- ‘‘Pouvoirs et marginaux à Paris sous le règne de Louis XIV. 1661-1715’’ (Tunis, 1980).

3- ‘‘Contribution à l’étude du régime des prisons en France sous le règne de Louis XIV 1670-1717’’ (Tunis, 1987) et ‘‘La police parisienne dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. 1760-1785’’ (2 vol., Tunis 1995. Thèse de doctorat d’Etat).

4- ‘‘Le Parlement de Paris sous le règne personnel de Louis XIV. L’institution, le pouvoir et la société’’ (Tunis, 1989) et ‘‘Être notaire à Paris au temps de Louis XIV. Henri Boutet, ses activités et sa clientèle. 1693-1714’’ (Tunis, 1995. Thèse de doctorat d’Etat primée par l’Institut International d’Histoire du Notariat, siège à Paris).

5- ‘‘Le cahier de doléances de Nancy en 1789’’ (thèse de 3ème cycle soutenue à Tunis en 1992).

 

Illustration: Ph. J. -R. Masson.