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De nombreux Tunisiens expriment un grand découragement sur les réseaux sociaux et notamment sur Facebook. Pour leur redonner un peu de peps, l'auteur voudrait leur faire lire cette lettre ouverte à Béji Caïd Essebsi.

Par Rachid Barnat

Monsieur le président,

Vous-même et votre parti et tous ceux qui vous supportent allaient mener prochainement, nous l'espérons tous, un combat pour l'alternance politique dans ce pays après des mois et des mois de difficultés, de régression et de doutes.

La première chose que je voudrai faire est de vous féliciter, vous et beaucoup des Tunisiens qui vous ont soutenu pour avoir gardé votre sang froid et, ainsi, avoir évité au pays des désordres et des drames encore plus nombreux et plus graves que ceux que nous avons connus. Je mets tout cela non seulement sur le compte de votre sagesse mais aussi sur celle des Tunisiens qui ont montré que grâce au président Bourguiba ils constituent un peuple sage, instruit et informé.

Mais ce moment est crucial et il va être très difficile car les événements que nous venons de vivre ont mis en évidence la division de ce peuple et ont mis aussi au premier plan beaucoup de problèmes qui, s'ils ne sont pas pris à bras-le-corps et réglés, continueront d'empoisonner la vie de ce pays.

Vous ne pouvez pas vous contenter d'un vote par défaut, d'un vote contre les islamistes et leur gouvernance calamiteuse. Il vous faut proposer un projet à ce pays et à ce peuple.

Ma lettre est donc une modeste tentative de cerner les problèmes qui se posent et de vous inviter à entrer dans l'histoire en continuant et en parachevant l'œuvre politique du président Bourguiba en offrant au peuple tunisien un but.

La première priorité est de rétablir la sécurité dans ce pays car rien ne peut se faire sans sécurité, ni investissement, ni progrès social, ni développement. La période que nous avons vécue a montré deux choses essentielles sur ce point

La première est que la police n'était pas suffisamment républicaine, pas suffisamment respectueuse de l'Etat de droit. Elle doit être fermement reprise en mains après les tentatives d'infiltration qu'elle a connues. Il est possible d'avoir une police à la fois très ferme et républicaine; c'est-à-dire n'obéissant qu'à l'Etat et appliquant ses instructions avec fermeté mais dans le strict respect des lois. Beaucoup existe déjà. Il suffit que cette police soit bien dirigée, qu'elle sache qu'elle sera soutenue et pour cela, elle doit respecter la loi et elle doit être au service des citoyens.

La seconde c'est que malheureusement on a maintenu la justice dans sa culture de sujétion au pouvoir et on a suffisamment constaté le spectacle désolant qu'elle a quelquefois donné. Le pouvoir actuel a instrumentalisé la justice à plusieurs reprises et celle-ci s'est discréditée en se couchant face au pouvoir. Il y a là un domaine essentiel: assurer une réelle indépendance de la Justice dans les textes mais aussi dans sa culture.

Lorsque le socle de la sécurité sera bien établi alors vous devez, me semble-t-il, avoir un projet politique qui soit le prolongement de ce qu'avait fait le président Bourguiba, vous devez remettre l'éducation au premier plan et lui donner les moyens budgétaires nécessaires.

Ben Ali avait détruit en partie l'éducation nationale car il avait favorisé le privé et laissé se développer la corruption même dans ce domaine. Il en est résulté un affaiblissement considérable de l'enseignement public et une régression de la formation. C'est très grave car il n'y aura pas de progrès véritable sans un peuple largement instruit et bien formé. Vous devez faire de l'éducation nationale une priorité, comme le fit feu Habib Bourguiba.

Mais ce qui sera votre apport, c'est le développement dans notre pays de la démocratie et de l'Etat de droit. Je dirai, d'ailleurs, que vous n'avez pas le choix. Les Tunisiens ont compris la démocratie et ont montré, à travers l'action de la société civile, qu'ils n'auraient plus jamais peur, qu'ils ne se tairaient plus, qu'ils veulent participer au développement de leur pays et qu'ils sont mûrs pour le faire.

Il vous faut donc asseoir les institutions démocratiques de ce pays non seulement à l'échelon de l'Etat mais dans toutes les collectivités territoriales. C'est un chantier important mais vital. Vous le devez à cette société civile qui va vous permettre, j'en suis sûr, de l'emporter.

En relation avec cela, il vous faut lutter contre la corruption, hélas encore beaucoup trop présente et que le pouvoir actuel a encore aggravée, faire de cette lutte une exigence et être à cet égard sans merci. Il y va du développement économique et des investissements. Qui peut investir dans un Etat ou le droit est variable en fonction de qui paie?!

Enfin la période qui vient de s'écouler a montré les injustices qui ont divisé la Tunisie au niveau des régions et des hommes. Il vous faudra, sans idéologie inutile mais avec pragmatisme et détermination, œuvrer pour une meilleure justice sociale et entre les territoires.

Vaste challenge que ce programme! Il faut que ces priorités soient au-delà des mots et que votre détermination soit sans faille car le combat sera difficile tant les mauvaises habitudes sont difficiles à perdre. Mais si ce combat est mené, vous aurez, en surcroît, le développement économique qui pourra prospérer dans un pays sûr, juste et qui sera aidé de toutes parts par de nombreux Etats amis qui verront votre succès avec bonheur... d'autant que tous vous apprécient déjà et ont salué votre travail en tant que Premier ministre dans une phase très délicate.

Les Tunisiens, avec la maturité qu'ils ont montrée, sont, j'en suis sûr, prêts à accepter ce programme et à participer chacun à son niveau à sa mise en œuvre; et je crois qu'un tel programme peut aisément réunir tous les partis et tous les hommes politiques qui vous soutiennent. Si vous faites cela, alors, vous entrerez dans l'histoire comme le digne successeur du président Bourguiba et la Tunisie sera, une nouvelle fois, un modèle pour de nombreux pays.

Est-ce le moment de vous demander cela, n'est-ce pas prématuré? Je pense exactement le contraire car je sens dans la société civile une lassitude, la lassitude de toujours s'opposer aux islamistes, de toujours discuter de la légitimité ou non de ce pouvoir, de discuter de la façon d'être musulman; sans avoir un projet positif, un rêve, un objectif sérieux pour l'avenir de ses enfants.

C'est le moment. Chacun sait que les islamistes ont perdu toute crédibilité, qu'ils vont peu à peu disparaître, d'une façon ou d'une autre, du paysage politique. Ils disparaîtront d'autant plus et d'autant plus rapidement que le peuple tunisien adhérera le plus possible à un difficile mais beau projet.

Donnez à votre peuple qui le mérite une belle ambition.