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2 millions d'élèves rejoignent aujourd'hui les bancs de l'école. 100.000 les ont quittés au cours de l'année scolaire 2012-2013. L'école tunisienne a beaucoup donné, elle a juste besoin d'être réformée.

Par Mohsen Kalboussi*

L'école publique tunisienne mérite tous les hommages, notamment de la part de toutes celles et tous ceux qui ne voient leur libération qu'à travers l'accès aux études. Il est aisé de souligner les imperfections du système scolaire national, conçu comme une «machine à fabriquer des cadres», plutôt que des citoyens sensés contribuer au développement du pays et lui faire remonter la pente lorsqu'il fait face à des situations périlleuses, comme c'est le cas de nos jours.

Cet article se veut une forme de reconnaissance à l'école tunisienne, cette institution qui a sauvé des millions d'enfants du pays d'un avenir sombre, à l'image du destin des couches sociales déshéritées desquelles ils sont issus.

Aux sources de l'enseignement moderne

Il est notoire que l'accès à l'école et au savoir, plus généralement, était réservé aux couches sociales les plus aisées, notamment pendant la période coloniale ou même avant, à l'époque de l'enseignement religieux à la Zitouna. Dans ce dernier cas, et même si des terrains étaient destinés à couvrir les frais d'enseignement des enfants déshérités (terres «habous»), cela ne permettait pas l'accès au plus grand nombre de Tunisiens à l'enseignement de l'époque. Les plus méritants en sortent comme huissiers ou juges, cette dernière fonction ayant visiblement été réservée aux notables.

Les tentatives de modernisation de l'enseignement zeitounien, initiées par Khaireddine Pacha, par la création du collège Sadiki, ont provoqué la colère des dignitaires religieux qui ont vu en la nouvelle institution un concurrent sérieux à leur enseignement, surtout qu'il a été créé dans l'intention d'y enseigner les sciences modernes qui n'étaient pas dispensées à la Zitouna. Toujours est-il qu'à l'époque, la question de la généralisation de l'enseignement et sa massification ne s'était jamais posée.

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L'école tunisienne a toujours servi d'ascenseur social pour les couches déshéritées.

Les récits sur l'état d'acculturation de la population avant l'avènement de la colonisation française sont peu communs. Quelques informations indirectes nous parviennent sur des personnages ayant joué un rôle clé dans certains événements historiques, tel que le soulèvement de 1864 de Ali Ben Ghedhahem. Ce dernier était un lettré qui a visiblement fourni des efforts louables dans l'alphabétisation des membres de sa tribu, lesquels se sont solidarisés avec lui lors de son fameux soulèvement.

L'éducation au coeur du développement

Suite à l'accès du pays à son indépendance politique, le taux d'analphabétisme des Tunisiens dépassait les 80 % et la majorité de la population vivait en milieu rural. Le jeune Etat tunisien a fourni des efforts colossaux dans la construction des écoles pour alphabétiser ses citoyens et former les nouveaux cadres qui auront la charge de diriger le pays et assurer les différentes fonctions dont il a besoin pour son développement.

A l'époque, une partie de la population vivait encore en nomade, ce qui a nécessité sa sédentarisation pour qu'elle puisse accéder aux services minimaux de base (enseignement et santé en particulier). La politique sociale de l'Etat était louable, dans le sens où de nombreux programmes de construction de logements sociaux ont vu le jour et ont permis à un grand nombre de familles d'accéder à un habitat en dur, avec les aisances potentielles de la vie en milieu urbain (accès à l'eau potable, électricité...).

Particulièrement en milieu rural, l'accès à l'école était synonyme (jusqu'aux années 1980) d'une ascension sociale et d'une sortie de l'emprise de la pauvreté, car les politiques sociales de l'Etat étaient essentiellement orientées vers les citadins, et une grande partie des ruraux étaient des laissés-pour-compte, ou considérées comme des réserves de vote pour le parti au pouvoir.

Une des conséquences de ces politiques était l'exode massif de milliers de ruraux vers les périphéries des grandes villes. L'arrêt de ce phénomène ne s'est manifesté que suite à la politique d'électrification, d'amélioration des voies d'accès et d'un minimum de services dans les zones rurales, notamment au milieu des années 1980.

Pour revenir à l'école, l'enseignement dispensé était très sélectif, mais d'une qualité louable. L'accès à l'enseignement supérieur était très limité, et de très faibles franges de jeunes pouvaient y accéder. Le baccalauréat était une barrière infranchissable pour de grandes proportions de candidats. L'accès à l'université était considéré comme une libération entière de toutes les formes de pression subies par les écoliers lors de leur formation au secondaire. C'était aussi la promesse d'un avenir meilleur, puisque les plus méritants sortaient diplômés et accédaient facilement à des postes de responsabilité très enviables.

L'accès à la formation, notamment universitaire, a produit, paradoxalement, et contrairement aux attentes des politiques, des contestataires qui remettaient en question la légitimité du système politique en place.

Depuis le milieu des années 1960, une bonne part des étudiants se rangeait du côté de l'opposition, à tendance socialisante et nationaliste dans les années 1960 et 1970 et islamiste par la suite. Cela a poussé le régime politique en place à s'attaquer aux contenus des programmes enseignés pour produire une nouvelle élite politiquement correcte et incapable de remettre en question ses choix politiques et sociaux. Il en a largement réussi. La preuve étant le défaut d'élites parmi les jeunes d'aujourd'hui et l'incapacité de nombreux jeunes à venir à la rescousse d'un pays qui a tant besoin de leurs apports.

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La société civile au secours des écoles rurales qui manquent de tout. Un effort louable mais insuffisant. 

Sans vouloir retracer l'histoire contemporaine de la Tunisie, disons que l'école a toujours été considérée par les Tunisiens moyens et de condition sociale modeste comme la voie qui leur permettrait d'améliorer leurs conditions de vie et d'accéder à un mieux-être. L'accroissement du nombre de diplômés de l'enseignement supérieur au cours des deux dernières décennies a flétri l'image de l'institution scolaire et déprécié largement la valeur de nos diplômes, surtout que nombreux sortants du système présentaient des signes inquiétants d'incompétence, même en terme de maîtrise des langues...

Un système qui reste à réformer

Il y a lieu de s'arrêter d'abord sur le chiffre des 100.000 enfants qui ont abandonné l'école l'année dernière. Ce chiffre est bien plus qu'alarmant, et touche essentiellement des enfants issus des milieux sociaux défavorisés. Il est d'autant plus grave que si une partie de ces abandons est motivée par des raisons «religieuses», puisqu'on a évoqué le refus d'une catégorie de parents dans une école jugée non conforme à une perception rétrograde de la religiosité...

L'état de nombreuses écoles laisse beaucoup à désirer, surtout que le ministère de l'éducation semble incapable d'assurer leur entretien.

L'appel à la société civile ou à la population locale pour pallier à certaines défaillances en est le témoin. Nous espérons que les interventions arriveront à pallier aux manques constatés.

Nombreuses écoles et leurs équipements ont été vandalisés, et continuent peut-être de l'être, ce qui est fort dommageable, mais les auteurs de ce genre d'acte devraient être sévèrement sanctionnés pour qu'ils servent d'exemple aux autres. L'état des équipements informatiques, notamment dans les écoles primaires, laisse beaucoup à désirer, selon les témoignages de nombreux instituteurs. Il serait donc nécessaire qu'une formule soit adoptée pour que ces équipements soient remis en l'état chaque fois que des défaillances de leur fonctionnement soient signalées, notamment par la formations d'instituteurs sur place, surtout dans des zones reculées où les ordinateurs ne sont pas monnaie courante.

Que des écoles primaires soient dépourvues d'eau potable est très dommageable, et des solutions devraient être apportées pour que cette ressource soit disponible à tous les enfants tunisiens. Cette situation ne doit exister qu'en milieu rural et surtout à l'intérieur du pays. Elle aurait pu être justifiée dans d'autres temps et sous d'autres cieux, mais en Tunisie, elle n'a aucune raison d'être, d'autant plus qu'elle ne peut être ressentie que comme une injustice à l'égard de ces enfants qui ne devraient pas être considérés comme des citoyens de seconde zone.

Enfin, les chantiers de réforme qui tardent à se mettre en place pour que l'école tunisienne soit une fierté de ses enfants, par la révision des programmes et l'amélioration de la qualité des formations dispensées à tous les niveaux. Si tout le monde s'accorde sur cette urgence, nous n'avons pas vu de signes probants d'une tendance à le faire dans des délais raisonnables. Il est de la responsabilité de tous les Tunisiens d'initier ces réformes, pour assurer un meilleur avenir à leurs enfants et garantir à l'école publique l'aura qui lui revient.

L'histoire ne pardonnera pas à tous ceux responsables de cette situation, et surtout à ceux qui prétendent porter des projets d'une nouvelle société, juste et accordant de meilleures chances aux plus vulnérables parmi ses enfants.

Entre-temps, les familles continuent à investir dans la formation de leurs petits, dans l'espoir que de la lumière jaillisse de ces lieux vénérés et desquels des rayons de lumière ont éclairé les parcours de nombreux des Tunisiens dont l'auteur de ces lignes.

A tous ceux qui s'adonnent à la formation de nos enfants, petits et grands, en donnant du meilleur d'eux-mêmes, surtout dans des conditions difficiles, un vibrant hommage est rendu.

* Universitaire.