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L'opposition tunisienne raté beaucoup d'occasions pour mettre Ennahdha en difficulté et inverser la vapeur. Le parti islamiste est pourtant lourdement handicapé par ses erreurs du passé et ses bourdes du présent.

Par Meriem Bouchoucha*

Pendant leurs années d'exil fuyant l'oppression dans leurs pays d'origine, et alors que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne combattaient le terrorisme et les forces du mal dans le monde, les islamistes se sont réfugiés dans les démocraties mécréantes.

Les islamistes et la dette impayée

Pendant leurs années d'exil «doré», les islamistes ont pris le temps de tisser des liens d'amitié non cachée avec les think-tanks les plus connus des Etats Unis et de l'Angleterre. N'oublions pas l'hommage rendu par le Chatham House en Angleterre à Rached Ghannouchi, le numéro 1 des Frères musulmans en Tunisie, et Moncef Marzouki, le président provisoire de la république non élu au suffrage universel, mais porté à la présidence par une Assemblée nationale constituante (ANC) qui n'est plus légitime depuis le 23 octobre 2012.

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Hommage du think tank britannique Chatham House à Rached Ghannouchi et Moncef Marzouki: qui berne qui ?

Entre-temps, une vraie usine à fabriquer les prêcheurs («douaat»), surtout, en Arabie Saoudite, allié indéfectible des Etats-Unis, a vu le jour.

Ces formations continues en communication usant du discours religieux a fini par se concrétiser par le lancement de dizaines de chaînes religieuses arabophones, provoquant un véritable cataclysme socio- culturel à l'intérieur des sociétés arabes avec les répercussions dramatiques que nous connaissons.

Il est de notoriété publique que les Etats-Unis ont toujours soutenu les islamistes dits modérés, l'AKP en Turquie, les Frères musulmans en Egypte et Ennahdha en Tunisie. Et ce, directement ou indirectement, à travers ses alliés arabes de toujours. En contrepartie, les islamistes, eux, se sont chargés de deux missions : 1- mener une vague de privatisation sauvage chez eux ; 2- mener la guerre pour eux en Syrie.

Pour ce qui est de la privatisation sauvage, qui consiste à tout vendre, c'est le libéralisme dans son expression la plus inhumaine.

Quant à la guerre par procuration menée par les islamistes pour le compte des Etats-Unis et leurs alliés, c'est le scénario inverse de ce qui s'est passé en Iraq. Il s'agit de recruter des jeunes dans les mosquées dont le transfert se fait à travers la Turquie. Ceux qui y restent seront la dot offerte en contrepartie du financement des différentes campagnes électorales des islamistes et ceux qui en reviennent constitueront la réserve paramilitaire pour la mise en place d'un régime islamiste en bonne et due forme. Sauf que les islamistes n'ont pas réussi à payer leur dette envers les Etats-Unis, étant donné la grande résistance de la Syrie de Bachar...

L'opposition et les occasions ratées

Si la Syrie tombe, la prochaine étape serait l'Algérie, et si cette dernière tombait dans les griffes des Américains, plus personne n'inquièterait les islamistes même s'ils dressaient des potences à tous les coins de rue, comme ce fut le cas en Iran. L'instabilité en Tunisie ne pouvant qu'aider à déstabiliser l'Algérie.

D'un autre côté, la résistance de la Syrie fut autant une occasion en or pour l'opposition tunisienne pour inverser la vapeur, et mettre Ennahdha en difficulté, autant d'occasions ratées, hélas !

La mise à mal des islamistes à cause les problèmes économiques cumulés, de la spirale inflationniste, les scandales répétés, l'intérêt des Etats-Unis focalisé sur la Syrie, trois marées humaines le 6 février, le 27 juillet, le 6 août, le 13 août... n'ont pas su faire peur à la Troïka, coalition au pouvoir dominée par le parti islamiste Ennahdha. Pourquoi?

L'opposition a fait tout ce qu'il ne fallait pas faire pour blanchir Ennahdha.

Commençons par le commencement, au lendemain des élections, a-t-on suffisamment parlé de leurs crimes contre les Tunisiens? Qu'a-t-on fait pour avoir accès à leurs dossiers judiciaires afin de connaitre toute la vérité? Qui leur a dit en face qu'un butin on le récupère chez les ennemis, non chez ses compatriotes? Mieux encore, entre deux faibles critiques les «opposants» trouvaient toujours le moyen de rappeler qu'ils étaient amis, jadis. Et bien, quand on est l'ami d'un terroriste, on est complètement discrédité quand on le taxe de vitrioleur après.

L'opposition a donné de la légitimité à l'ANC qui n'était plus légitime depuis le 23 octobre 2012 en ne réagissant pas à la fin de son mandat: ni gel des activités, ni démission, ni même une décision collective de céder les salaires ou une part des salaires en faveur d'associations par exemple.

L'opposition a même joué le rôle de médiateur pour Ennahdha, elle a calmé la foule en leur faveur maintes fois... spécialement après l'horrible assassinat de Chokri Belaid en acceptant de tracter avec Ghannouchi concernant un deuxième gouvernement de coalition et en ne prenant aucune position sérieuse encore une fois vis-à-vis d'une ANC illégitime depuis le 23 octobre 2012.

Pire encore, l'opposition n'a même pas su défendre sa cause auprès des médias étrangers. De longs articles dans les journaux britanniques à propos de la manifestation de la Kasbah, organisée par Ennahdha, contre de modestes lignes en faveur du sit-in du Bardo, observé par l'opposition. Heureusement qu'une compatriote a écrit un article dans un journal américain pour rééquilibrer la donne.

Et j'en passe...

Les islamistes ont eu du mal à payer leur dette, l'opposition elle n'a pas su tirer profit de leur endettement.

Heureusement que le peuple a été là pour combler le vide laissé par cette opposition. Pourvu qu'il puisse résister encore longtemps, le temps que l'intelligentsia se reprenne et réagisse.

* Chercheur CEPN, CNRS, Université Paris-Nord.