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100.000 élèves ont abandonné l'école au cours de la dernière année scolaire. La Tunisie est à la veille d'une crise sociale sans précédent : délinquance juvénile, criminalité, terrorisme, enfants de la rue, prostitution, contrebande... A qui profite le crime?

Par Basma Krichene*

Le ministère de l'Education vient de nous informer que le nombre d'abandon scolaire pour l'année éducative écoulée a atteint 100.000 élèves. Information dramatique – distillée à dessein en pleine période estivale – qui va avoir des répercussions lourdes sur l'indice de développement humain de la Tunisie et aura sans doute un effet similaire à celui relatif à l'abaissement dramatique de la note souveraine de notre pays par les agences internationales de notation.

On se rappelle que depuis 2011, l'ex-ministre des Affaires sociales, Mohamed Ennaceur, a surpris les Tunisiens en annonçant que près du quart des Tunisiens vivent en-dessous du seuil de la pauvreté, chiffre malheureusement contesté partiellement par son successeur, sans doute pour ne pas prendre les mesures qui s'imposent et pour éviter de mettre la main dans la poche.

Une enquête occultée

L'information divulguée par le ministère de l'Education ne fait que noircir davantage les perspectives socio-économiques du pays. Or, des données similaires fournies par ledit ministère étaient déjà disponibles depuis janvier 2013 mais ne viennent d'être révélées qu'il y a 2 jours seulement.

Pourtant, les résultats préliminaires de l'enquête nationale – financée par l'Unicef – par grappe à indicateurs multiples sur la situation des enfants et des femmes en Tunisie (MICS 4) ont été divulgués – partiellement – dès le 29 janvier 2013 (voir site web de l'Unicef) au cours d'une conférence de presse tenue au ministère du Développement régional et de la Planification.

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Les résultats du rapport de l'Unicef sont évoqués au cours d'une conférence de presse au ministère du Développement régional, le 19 janvier 2013.

A cet effet, la représentante de l'Unicef, Maria Luisa Fornara, n'a pas manqué de souligner que «l'analyse selon les variables géographiques ou socio-économiques démontre de fortes disparités sur certains indicateurs notamment dans la déscolarisation, la malnutrition et la mortalité maternelle et infantile». La représentante de l'Unicef en Tunisie a même rencontré le président provisoire de la république, Moncef Marzouki, en février 2013, et a notamment évoqué le problème de l'abandon scolaire (voir site web de l'Unicef).

Questions cruciales :

- pourquoi a-t-on occulté les résultats de l'enquête et le chiffre alarmant de l'abandon scolaire?

- a-t-en informé les députés de l'Assemblée nationale constituante (ANC) et les partis politiques des résultats de l'enquête et où est passé le rapport sur la situation de l'enfance au titre de 2012?

- quelle est la stratégie du gouvernement pour remédier au problème?

Les réponses à ces questions vont montrer l'ampleur des dysfonctionnements au sommet du gouvernement et éventuellement une certaine complicité de l'Institut national de la statistique (INS) qui continue de nous dire que tout va bien, voire même de L'Unicef, qui se montre trop conciliant.

Le ministère des Affaires de la Femme et de la Famille est actuellement en charge de l'enfance et doit de par la loi préparer chaque année un rapport sur la situation de l'enfance en Tunisie. Ce rapport destiné entre autre aux instances internationales dont l'Unicef est d'habitude publié au courant du mois de janvier mais manifestement ledit ministère ne semble pas pressé de le publier.

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La représentante de l'Unicef, Maria Luisa Fornara,remet le rapport au président provisoire de la république, en février 2013.  

Le ministère de Mme Badi aux abonnés absents 

Le ministère des Affaires de la femme dispose, en fait, d'une direction générale de l'enfance, d'un observatoire de l'enfance, d'une armée de délégués à la protection de l'enfance – une cinquantaine dont la moitié est motorisée – chargée de relever toutes les atteintes touchant aux droits des enfants et toutes les situations de menace ou de violence ou d'agression ou d'exploitation touchant aux enfants et d'y remédier. Mais alors que les données du ministère de l'Education et de l'INS indiquent qu'il y a 100.000 cas d'abandon scolaires dont 10.000 élèves relevant uniquement de l'enseignement primaire sensé être obligatoire, les statistiques présentées par le ministère de la Femme sur son site web indiquent que l'ensemble des signalements reçus ne dépassent pas les 6.000 cas en 2012 toutes menaces confondues – y compris abandon scolaire, viol, exploitation économique, harcèlement sexuel...).

C'est dire à quel point le dispositif des délégués est défaillant et semble constituer une menace pour l'enfance, sans que l'actuelle ministre ne parvienne à s'en apercevoir deux ans après sa nomination.

A cet effet, le simple suivi avec les directeurs d'établissements scolaires aurait permis d'améliorer d'une manière consistante l'information sur les menaces pesant sur les enfants sauf si on opte pour le moindre effort.

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Marzouki avec la ministre en charge de l'enfance Sihem Badi: la politique politicienne passe avant les problèmes de l'enfance qui peuvent attendre.

Sachant que l'Etat Tunisien est signataire de la Convention internationale des Droits de l'Enfant depuis un quart de siècle et qu'il s'est engagé à «prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en œuvre les droits – éducation, santé... – reconnus dans ladite Convention», force est de signaler que l'actuel gouvernement n'a pris aucune mesure pour désamorcer une véritable bombe à retardement qui risque d'exploser à la figure du futur gouvernement.

Cent mille élèves déscolarisés en une année, soit 5% de la population scolarisée – dans un pays où l'enseignement de base est (jusqu'à l'âge de 15 ans) obligatoire – n'augurent rien de bon car sans doute le taux cumulé d'abandon serait de l'ordre de 20% au moins.

On est sans doute à la veille d'une crise sociale sans précédent et la rupture est proche tant on a tardé à prendre les mesures qui s'imposent à temps. Délinquance juvénile, criminalité, terrorisme, enfants de la rue, prostitution, contrebande... ne sont que le fruit de notre incompétence, insouciance et des calculs politiques mesquins.

* Educatrice.