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La démocratie n'a pas été «sauvée» par l'armée en Égypte. Au contraire, le régime du général Al Sissi fait reculer l'Égypte à ses vieilles pratiques sombres et autoritaires d'avant 2011.

Par Yvan Cliche*

Le nombre déplorable et insensé de morts qu'il y a eu mercredi en Égypte s'ajoute aux centaines de personnes qui ont perdu la vie depuis le déclenchement du Printemps arabe.

Telle la «chronique d'un massacre annoncé», les dirigeants de ce pays avaient proclamé, à l'avance, qu'ils allaient faire place nette des manifestations (sit-in) organisées par les Frères musulmans, en l'appui au président Mohamed Morsi, destitué en juillet par l'armée.

Un règlement de compte

Des morts, donc, avec leurs parents, leur famille, leurs amis: des êtres chers à plusieurs, maintenant à jamais disparus. Des manchettes pour nous, de la souffrance qui prendra du temps à cicatriser pour les gens en cause.

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Aucun vrai démocrate ne saurait justifier des massacres de civils.

Ces morts causés en toute impunité, cette violence gratuite, cette forte agitation qui perdure en Égypte depuis la fin du régime Moubarak en mars 2011: ce n'est pas le scénario angélique que la plupart espéraient suite au déclenchement du Printemps arabe.

Avec l'écroulement de la dictature tunisienne, le premier régime arabe à tomber, plusieurs s'étaient mis à entrevoir, un peu comme après la chute du Mur de Berlin en 1989 pour les pays d'Europe de l'Est, l'avènement d'un monde nouveau, où la démocratie, le respect des minorités, la primauté du droit, la liberté de parole et de pensée, s'implanteraient tout naturellement dans un monde arabe caractérisé par des régimes oppressifs.

Malheureusement, ce n'est pas ce qui se passe en ce moment: en Égypte notamment, nous avons plutôt droit à un règlement de compte entre les deux composantes politiques qui comptent, soit les islamistes et l'armée. Aucune n'est une force démocratique.

Les Frères musulmans, une association qui existe depuis presque 100 ans, ont déçu tout le monde durant leur seule année de pouvoir avec leurs manœuvres non démocratiques, leur agenda trop axé sur leur idéologie islamiste, au demeurant utopiste et combien irrespectueuse des millions de chrétiens qui habitent ce pays.

Les pratiques autoritaires d'avant 2011

Quant à l'armée, on se rappelle maintenant davantage depuis les massacres de mercredi qu'elle a été le principal soutien du président Moubarak, qui s'est éternisé au pouvoir pendant 30 ans, et dont le départ était la principale revendication des manifestants en mars 2011. Elle vient de restaurer l'état d'urgence dans la moitié du pays, ce qui lui permettra, comme sous Moubarak, d'emprisonner des gens, des années durant, sans justification. Elle a aussi une mainmise sur plusieurs activités économiques, sur lesquelles on sait bien peu de choses. Bref, ce n'est pas avec de telles forces politiques qu'une saine démocratie naitra dans le plus important pays du monde arabe.

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Une nouvelle dictature militaire se met en place...

Pris dans la tourmente, les États-Unis ne peuvent plus arguer, comme ils l'ont fait quelques jours après que l'armée ait écarté le président élu Morsi, que la démocratie a été «sauvée» en Égypte. Il est clair maintenant que les Américains doivent se distancer considérablement de régime du général Al Sissi, qui fait reculer l'Égypte à ses vieilles pratiques sombres et autoritaires d'avant 2011.

* Canadien, l'auteur a vécu en Tunisie entre 2007 et août 2011, et a aussi voyagé en Égypte.