marche legumes 8 8Face à la crise économique qui persiste, qu'a fait le gouvernement Larayedh, à part répercuter la hausse des prix des céréales sur celui du carburant? Et que prévoie-t-il pour contrôler les frontières et remettre en marche de l'appareil productif?

Par Meriem Bouchoucha

Selon les données du FMI le taux d'inflation est passé en Tunisie de 3,5% en 2011 à 6% en 2013. Selon la même source le taux d'inflation va baisser et se stabiliser autour de 4,5% pour les 5 prochaines années. Mais pourquoi devrons-nous nous attendre à une baisse de ce taux?

Des prêts pour payer... les salaires

La conjoncture mondiale difficile, l'augmentation attendue du prix des céréales, les grandes difficultés économiques de la Zone Euro, principal partenaire de la Tunisie, et la reprise dans les économies avancées plus qu'hypothétiques selon le FMI, sont autant de facteurs d'instabilité. Qu'en est-il alors d'un petit pays comme la Tunisie qui vit la plus grave crise de son histoire post coloniale?

En 2013, l'Etat tunisien a dû emprunter, justement, 1,75 milliards de dollars auprès du FMI pour financer le fonctionnement de l'Etat, c'est donc «un prêt de consommation étatique». Ce qui laisse entendre que le gouvernement, sans ce prêt, peut avoir du mal à payer les salaires des fonctionnaires (1/3 du salariat).

Les salariés de l'Etat pourront être à ce titre les premiers payeurs de ce prêt à travers le gel des embauches, dans un pays qui, rappelons-le, compte aux alentours de 800.000 chômeurs.

Le gouvernement tunisien sera appelé à revoir sa politique de subventions. On peut, à ce titre, objectivement supposer que le gouvernement ne fait que retarder l'échéance de l'augmentation des prix des biens de première nécessité.

En effet, l'augmentation du prix du pain et des produits céréaliers a causé auparavant des «émeutes du pain» en 1984 suite à une demande formulée par le FMI de stabiliser l'économie tunisienne.

C'est peut-être pour cette raison que le prix du carburant, également subventionné, a augmenté malgré la relative stabilité du cours du pétrole, alors que le prix des produits alimentaires est resté stable en dépit de l'augmentation du cours international.

Ceci explique, par ailleurs, les dires d'un représentant de la présidence sur un plateau de télévision qui a déclaré que le prix du carburant a augmenté parce que le prix du blé a augmenté. Il est cependant important de mentionner que le prix des céréales sur les marchés internationaux était annoncé depuis au moins 2012. Or ce gouvernement n'a pris aucune mesure pour y faire face.

De plus, le gouvernement tunisien sera appelé à mettre en place une société de gestion des actifs du secteur touristique, qui saisirait les biens des gros emprunteurs qui du temps de Ben Ali étaient de très mauvais payeurs; faisant du tourisme un secteur responsable dans une large mesure des problèmes du secteur bancaire, et procéderait à leur vente aux enchères afin de rembourser les banques. Des banques qui, selon le gouverneur de la Banque centrale, peuvent être sujettes à une privatisation. Le système bancaire tunisien, déjà «malade», ne peut qu'être en ligne de mire du FMI.

Des fausses solutions pour de vrais problèmes

Ceci intervient alors que le débat atteint son comble sur les annonces de privatisation pouvant toucher des secteurs chers aux Tunisiens comme le phosphate, vu que le bassin minier a été un lieu de lutte ouvrière bien avant l'indépendance. Mais pas seulement. En effet, des négociations portant sur la cinquième liberté ou la privatisation de l'aciérie de Menzel Bourguiba, l'unique usine sidérurgique dans le pays et donc la seule à produire de l'acier liquide et à le transformer en ronds à béton, sont en cours entre le gouvernement tunisien et d'éventuels acheteurs dont on peut aisément deviner la nationalité.

Tout cela dans une conjoncture économique le moins qu'on puisse dire difficile.

En effet, outre le risque de l'augmentation des prix du pain, de l'huile, des carburants, du gaz, de l'électricité, de l'eau, des transports scolaires, du train... et de tous les autres produits subventionnés par l'Etat tunisien.

Le dinar ne cesse de se déprécier ce qui engendre une inflation importée dans un pays où on importe désormais tout.

En réalité, une partie de la production tunisienne est exportée illégalement vers le marché libyen principalement, ce qui cause des pénuries pas forcément anticipées et engendre donc une augmentation des prix des biens manquants, aggravée par le taux de change du dinar glissant par rapport à l'euro, au dollar et à la Livre Sterling...

D'un autre côté, les frontières non contrôlées, tant dans le sens des exportations que dans celui des importations, sont à l'origine de l'installation d'un marché parallèle de manière continue et visible.

Ce marché parallèle, qui va voir sa clientèle s'élargir pour combler la baisse du niveau de vie due à l'augmentation au niveau général des prix, est d'autant plus dangereux que le taux d'inflation est incontrôlable mais surtout que les conditions sécuritaires laissent à désirer.

Ainsi, l'appareil productif déjà en panne ne va pas redémarrer aussitôt et la Banque centrale sera de plus en plus incapable de contrecarrer l'inflation. Bien au contraire, faute de pouvoir redémarrer, l'économie peut avoir besoin de s'endetter encore plus. Or, étant donnée la réputation budgétaire de l'Etat (les deux seuls emprunts réalisés en 2012 n'ont été possibles qu'avec la garantie officielle des trésors américain et japonais), les conditions imposées à la Tunisie par les institutions économiques internationales seront très douloureuses.

Si on se tient à la définition la plus simple de l'hyper inflation, on dira que celle-ci est une inflation extrêmement élevée et échappant à tout contrôle. Elle est due, entre autres, à une émission excessive de monnaie pour combler un manque de moyens de financement. Mais en Tunisie les sources d'inflation sont nombreuses et diverses. La Tunisie semble donc être engagée dans une spirale inflationniste que seule une grande volonté politique et une audace des autorités monétaires pourraient casser.

Face à cette situation qui s'annonce de plus en plus difficile, que prévoit le gouvernement? À part répercuter la hausse des prix des céréales sur le prix du carburant?

Que prévoit le gouvernement pour le contrôle des frontières et pour la remise en marche de l'appareil productif?

Pas grand-chose notre connaissance.

* Chercheur CEPN, CNRS, Université Paris-Nord.