sit in bardo 8 8Plutôt que de diviser, les forces politiques en place doivent travailler à cimenter toutes les franges de société tunisienne, toutes les forces vives de la société pour que nous puissions sortir grandis et vainqueurs de ce goulet d'étranglement.

Par Tarak Khezami*

 

Les va-nu-pieds, les laissés-pour-compte et tous les déshérités des régions intérieures de la Tunisie étaient à mille lieues de penser que le mouvement insurrectionnel qu'ils avaient impulsé entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011 allait les enfoncer davantage dans la misère et aggraver considérablement leur situation socio-économique.

Ils étaient à mille lieues de penser que les cris d'orfraies qu'ils ont poussés à cause du désespoir engendré par une corruption endémique et des inégalités socio-économiques et d'accès à la richesse criantes allaient tomber dans les oreilles d'un sourd.

Ils étaient à mille lieues de penser que leurs protestations véhémentes allaient, surtout, être mises à profit à des fins bassement idéologiques par un quarteron de politiciens qui n'ont pas fait la révolution et qui ne l'ont même pas vu venir.

Ils étaient à mille lieues de penser que le bateau du changement et de l'espoir qu'ils ont construit de leurs propres mains allait connaître tellement d'embardées qu'il allait finir quelques mois plus tard par perdre le nord et naviguer à la dérive, décevant ainsi les grands espoirs placés en lui.

Dangereuses embardées

Les embardées que le bateau de la révolution tunisienne a connues sont si dangereuses et si pernicieuses que le port d'attache sur lequel il a mis le cap dès après les élections du 23 octobre 2011, et qui symbolise la démocratie, nous paraît, aujourd'hui, comme un sommet inatteignable.

Nous-vous en laissons juge: depuis le début de la révolution et alors même que le peuple se débat dans des problèmes économiques graves, certains de nos gouvernants rêvaient à jeter les bases d'un califat (le sixième du nom) en Tunisie, à introduire la charia dans la nouvelle constitution, à célébrer en grande pompe les noces de la religion et de la politique... Nous en passons et des meilleures.

Certains autres de nos gouvernants se sont longtemps demandé si la femme était l'égale de l'homme ou juste une simple partenaire. Ils se sont demandé, par ailleurs, si l'islam politique était l'une des meilleures solutions pour sortir du goulet d'étranglement que connaît le pays depuis le déclenchement de la révolution...

D'autres encore ont insidieusement ouverts des débats le moins que l'on puisse dire moyenâgeux, à tout le moins pour une grande partie du peuple tunisien qui est instruite et surdiplômée, sur la polygamie, l'excision, le port du niqab ou voile intégral... Tout cela pour faire diversion, et comme qui dirait, pour détourner l'attention de la grande masse du peuple tunisien des vrais problèmes qui la préoccupent et qui ont provoqué son soulèvement un certain 17 décembre 2010...

En somme, des débats superfétatoires et des questions insidieuses tranchées depuis longtemps en Tunisie. Ce fut une véritable perte sèche dans cette période transitoire et pour le peuple et pour le pays.

Qui en sont les responsables? La majorité silencieuse, déjà considérablement grevée, est-elle toujours condamnée à payer la facture de l'impéritie des gouvernants? Ne nous y trompons pas, c'est bien de cela qu'il s'agit : l'impéritie des gouvernants.

De l'impéritie des gouvernants

Cette tare est-elle le triste partage des peuples du tiers-monde dont les politiciens se gobergent, se sucrent et sont capables de se livrer une guerre sans merci pour un simple strapontin en faisant fi de la souffrance de leurs concitoyens?

Le processus révolutionnaire en Tunisie en a été victime à plusieurs reprises. Nous n'en voulons pour preuve que le dernier assassinat politique, celui du député Mohamed Brahmi, qui a vite fait de plonger le pays dans une énorme crise politique entre d'un côté ceux qui exigent la dissolution de l'Assemblée nationale constituante (ANC) et du gouvernement incapables, selon eux, de gérer le pays et, de l'autre côté, ceux qui défendent bec et ongles la légitimité des urnes dont le gouvernement de la Troïka est investi.

Tous les problèmes, qui sont à l'origine du sit-in du Bardo devant l'ANC, ont été maintes fois signalés par les médias mais aucun homme politique n'a daigné les écouter.

Voilà ce que c'est, messieurs les gouvernants de la Tunisie post révolutionnaire, que de diviser sournoisement le pays entre croyants et mécréants.

Voilà ce que c'est que de politiser les mosquées et de fermer les yeux sur les prêches incendiaires et les discours violents qui s'y tiennent.

Voilà ce que c'est que de distiller sournoisement des mots qui incitent à la violence dans le discours de certains de vos hommes politiques à la noix dans l'impunité la plus totale.

Voilà ce que c'est que de composer avec des cagots rétrogrades qui se sont autoproclamés vicaires de Dieu sur terre et qui ne sont que les pauvres sbires de pétro-monarques tout aussi cagots qu'envieux.

Voilà ce que c'est que de composer avec des terroristes et des repris de justice qui se sont autoproclamés protecteurs de la révolution.

Voilà ce que c'est que de ne pas appliquer la loi, seule et unique garant qui nous permette de vivre sous le même toit avec nos multiples différences et avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Voilà ce que c'est que d'atermoyer et de lanterner à l'ANC au lieu de faire diligence pour sauver le pays et rasséréner les citoyens.

Solutions pour une sortie de crise

Pour sortir vite de cette crise gravissime surtout pour l'économie du pays, qui est déjà à l'article de la mort de l'aveu même de la présidente du patronat tunisien (Utica), il faut que le gouvernement enlève vite ses boules Quies et écoutent les doléances de l'opposition.

Il est impérieux que celle-ci fasse preuve de souplesse en faisant des concessions même dans la douleur pour le bien suprême de notre pays.

S'asseoir autour d'une même table pour essayer de recentrer le débat sur les questions essentielles en l'occurrence: réduire cette période transitoire qui s'étire et qui lamine dangereusement l'économie du pays; s'attacher à combattre le chômage en s'attaquant frontalement à l'hydre du terrorisme et de l'insécurité rampante... Sans sécurité en effet point d'investissements, point de touristes, point de croissance économique, point de création de richesse... Nul besoin d'être un grand clerc en matière économique pour le comprendre. Est-il besoin de rappeler que les inégalités sociales, régionales et d'accès à la richesse étaient au cœur du soulèvement populaire en Tunisie? Est-il besoin de rappeler par ailleurs que le ministère du Tourisme en Tunisie est un ministère régalien au même titre que celui du pétrole dans les pays du Golfe?

Nos gouvernants se doivent de comprendre aussi que le dialogue, quand il n'exclut personne et quand il est fait sur de bonnes bases, est notre seule et unique planche de salut. Cette planche de salut nous permettra à coup sûr de garder cette fois-ci le même cap et de ne pas faire d'autres embardées malgré les vents ennemis de la contre-révolution et des esprits envieux qui ne veulent pas que la Tunisie réussisse sa transition démocratique et soit véritablement une exception dans le monde arabe et parmi les pays du printemps arabe.

Le besoin est tout aussi impérieux que les uns et les autres comprennent que la révolution est un long processus qui nécessite un travail laborieux et un effort de tous les instants.

C'est, répétons-le à satiété, un long chemin semé d'embûches. Les grands peuples ont su les éviter intelligemment pour ne pas faire le jeu des forces rétrogrades qui tirent vers le bas et des contre-révolutionnaires qui cherchent par tous les moyens à faire échec à la révolution et au processus révolutionnaire. Les problèmes qu'ils ont rencontrés n'ont fait que les fédérer davantage et attiser la flamme révolutionnaire qu'ils portent en eux.

Plutôt que de diviser, les forces politiques en place doivent travailler à cimenter toutes les franges de société tunisienne, toutes les forces vives de la société pour que nous puissions sortir grandis et vainqueurs de ce goulet d'étranglement.

* Citoyen tunisien.