manif bardo 8 3 2Les violences auxquelles nous assistons depuis plus d'un an suscitent en nous non pas la peur, mais l'inquiétude et la détermination de mobiliser nos énergies pour faire face aux dangers qui menacent notre pays.

Par Rashid Sherif*

Compatriotes, avec tous mes respects, ôtez-moi d'un doute: se peut-il que nous soyons pris en otage par un groupe de terroristes fondamentalistes pseudo-religieux qui sévissent dans notre chère patrie depuis l'avènement d'un pouvoir complaisant largement dominé par une Confrérie avec un fil à la patte?

Vous me diriez, les apparences ne vont pas dans ce sens car on peut observer les gens dans les rues vaquer à leurs affaires habituelles du matin au soir; de surcroit, en cette saison estivale à la fois ramadanesque, la plupart des festivals font le plein, les cafés sont pris d'assaut durant toute la soirée et les vacanciers ne boudent point leur plaisir.

Une agression en annonce une autre!

Je voudrais tout de même faire la part des choses: bientôt 6 mois déjà, Chokri Belaid, martyr de la patrie, avait été assassiné à bout portant un matin d'hiver devant sa maison. Les meurtriers et leurs mandataires ne semblent ni courir ni se cacher. Peu de temps auparavant, à Tataouine, le militant de Nida Tounes, Lotfi Nagdh, fut lynché à mort en plein jour par les adeptes des Ligues de protection de révolution qui trouvent des complices accourus à leur rescousse sur les bancs à droite de l'hémicycle d'une Assemblée nationale constituante (ANC) s'éternisant dans une oisiveté bien grasse.

Tout près de nous, un nouveau martyr de la patrie, le député de l'opposition Mohamed Brahmi, fut assassiné, son corps criblé de 14 balles devant sa maison en plein midi et en présence de ses enfants, sur le mode identique que celui perpétré par les hommes de main contre Chokri Belaid, détail en sus de la même arme selon la police.

Le sang de Mohamed Brahmi à peine desséché, 8 hommes de l'élite de notre armée furent criblés de balles et certains même égorgés, le 29 juillet, au pied du mont Chaambi, à Kasserine.

Le lendemain, dans une banlieue de Tunis, une bombe a explosé par contrôle à distance guettant le passage d'une ronde de la gendarmerie.

Vendredi, à quelques heures d'intervalles, des apprentis terroristes ont vu les bombes artisanales qu'ils fabriquaient leur exploser à la figure: l'un a dû se faire amputer plusieurs doigts et l'autre est mort sur le coup.

Un statut-quo intenable

Or, d'aucuns cherchent à minimiser et même banaliser ces crimes. L'ensemble de ces faits récents se déroule selon une escalade programmée de la violence politique criminelle dans un contexte où précisément notre peuple dans sa majorité manifeste de plus en plus ouvertement son mécontentement général vis-à-vis d'une situation politique transitoire de grand marasme qui dure sans consensus national et sans perspective d'aboutir à une issue viable.

Il s'agit également d'un contexte politique où les données sur le terrain ont nettement évolué depuis les élections du 23 octobre 2011 au cours desquelles une moitié des électeurs potentiels avaient confié un mandat à l'ANC afin qu'elle présente sa copie au bout d'une année ainsi que les perspectives claires en vue de nouvelles élections.

Dès lors, il est évident que le changement du rapport des forces politiques ne pouvait être du goût d'un mouvement à teinte pseudo-religieuse qui se croyait tout puissant, comme en pays conquis, pour avoir raflé la mise le 23 octobre non pas tant du fait de sa force propre toute relative, mais plutôt eu égards aux graves défaillances par émiettement d'autres forces – entre-autres, celles des vieux de la vieille bien connus soixante-huitards sur le tard aux égos boursoufflés qui se sont bien égaillées à jouer les cul-de-jatte.

Et c'est là où le bât blesse. Car, nous nous retrouvons à présent avec la branche locale d'une Confrérie étrangère qui n'en démord pas de sa prétention à une hégémonie illusoire, face d'une part à un récent regroupement plus ou moins hétérogène de militants réveillés de leur torpeur en sursaut par une série de tremblements de terre à la suite du sang écoulé des martyrs. D'autre part, face à la croissance de mouvements sociaux à la fibre patriotique soutenus en première ligne par les femmes et les jeunes, tout comme il en fut durant l'Intifadha d'Al Karama.

Sous d'autres cieux, plus au nord, la nouvelle équation aurait pu être saluée comme l'avènement de forces politiques émergentes, tout à fait représentatives, singulières, associées ou coalisées, à la recherche d'un rééquilibrage nécessaire de la scène politique nationale au sortir de la trop longue nuit de la répression dictatoriale et surtout la nouvelle menace d'une sorte de parti unique camouflé par des alliances-bidon.

Les liaisons dangereuses

Mal leur en a pris de tant d'initiatives. Pour le pouvoir en place, jouer à la modération face à un adversaire édenté parait aisé; compter avec un adversaire dont la dentition pousse à vue d'œil a eu de quoi hérisser les poils des barbus.

Toujours est-il que l'escalade de la violence politique témoigne au grand jour de la volonté farouche de barrer la route par l'intimidation, l'agression physique, la marginalisation, l'exclusion ou pire, la violence criminelle, à ces prétendants nouveaux-venus en force qui ont osé lever le défi jusqu'à se poser en adversaires politiques d'un certain poids.

A présent, les discours mielleux des suppôts de la Confrérie à propos du projet politique modéré ne sont plus de mise. Tout compte fait, la démocratie à l'occidentale semble incompatible au sud sur une tourbe empreinte de religiosité. Ceux qui se sont adjugé en porte-à-faux l'emblème de majorité parlementaire au sein d'une ANC, dont le mandat est limité tant dans ses prérogatives que dans sa durée, ont été de toute évidence grisés par un pouvoir sans partage «tombé du ciel» et ont fini par déraper vers la zone des liaisons dangereuses.

Et c'est justement là que se situe le fameux conte de celui qui a adopté un bébé tigre pour effrayer ses adversaires et qui s'est fait dévorer par la bête devenue adulte.

Cela ressemble bien à la mésaventure de l'apprenti-sorcier qui cherchait à faire entendre raison à ses adeptes, ses «enfants» comme il aimait les chérir. Il leur avait pourtant conseillé en vain de prendre leur mal en patience sachant que leur lubie de la renaissance (sic) d'un Califat – sans aucun antécédent dans l'histoire de notre pays – n'était pas pour demain.

Il faudrait peut-être essayer de comprendre la difficile posture de ces déracinés qui ont les pieds sur notre terre et la tête dans un Orient moyenâgeux.

D'aucuns, animés de sentiments altruistes, prétendent aider ces groupes au rêve étrange à reprendre leurs esprits ici et maintenant. Bien difficile entreprise vis-à-vis de gens au projet vaporeux et qui surtout sont loin de demander de l'aide. Bien au contraire, leur conviction la plus intime est qu'ils détiennent la vérité absolue. La boutade suivante en est l'illustration: une personne pieuse implore humblement la grâce et la protection de Dieu; tandis qu'un fondamentaliste prétend avec aplomb protéger Dieu.

Face à une telle impasse, nous-nous retrouvons pris en otage au milieu d'un encerclement progressif. Tout d'abord, la violence politique organisée et tolérée – et même encouragée par les tendances jusqu'au-boutistes au sein du mouvement en question – n'a fait qu'accentuer par paliers ses attaques contre les forces armées du pays dont le double devoir est de défendre notre territoire national et préserver la paix et la sécurité à l'intérieur de nos frontières.

Tandis que ces forces-rempart de la république sont aux prises avec les malfaiteurs, la vague d'assauts criminels contre la société civile est déjà entamée graduellement par les assassinats politiques.

Nos voisins à l'ouest ont traversé la longue nuit de la terreur aveugle et sanguinaire. Leur mémoire en est encore blessée. Dès lors, ils ne cessent en bons voisins de nous mettre en garde contre le mal absolu du fondamentalisme pseudo-religieux aveugle et guerrier.

Toujours est-il que les jeux ne sont pas faits. Loin de là. Prendre un peuple en otage par un encerclement progressif avec l'arme de la terreur fasciste est une aventure non seulement hasardeuse mais encore parfaitement suicidaire.

Effectivement, la fuite en avant dans cette escalade de la violence politique et la terreur est un signe évident d'esprits suicidaires sans point de retour. Un peuple debout, uni, est invincible. La volonté manifeste de notre peuple, à travers son histoire plusieurs fois millénaire, est de vivre en paix dans une patrie pour toutes et pour tous.

Au lendemain du 14 janvier 2011, nous avions découvert la joie profonde de nous être définitivement libérés de la peur induite, engendrée par des décades continues de répression dictatoriale fascisante. Nous avions pris un plaisir grandiose à vivre ces longues journées de communion dans une fraternité sans précédent. Le plus sûr est que cette libération demeure dans l'imaginaire de notre peuple. Nous en gardons une nostalgie vivace. Elle est réelle, effective et durable.

Les évènements que nous traversons depuis plus d'un an suscitent non plus la peur, j'insiste, mais bien l'inquiétude, laquelle est positive car elle mobilise les énergies individuelles et collectives, mentales, physiques et spirituelles en vue de faire face au grave danger en la demeure avec encore pour horizon cette fraternité transcendante.

Aussi, devient-il impératif pour toute citoyenne et citoyen de maintenir un état de vigilance constant avec le moral au beau fixe, d'œuvrer au jour le jour de proche en proche concrètement et conjointement en prenant de multiples initiatives pour faire régner la paix, mais d'abord sauver ensemble la patrie en danger.

* Patriote tunisien.

Blog de l'auteur.