Tunisie Tribune Ghannouchi et les SalafistesLa passivité d'Ennahdha à l'égard des salafistes et leurs dérives, leur prosélytisme sur les places publiques, leur police parallèle et leurs tribunaux a permis à ces imposteurs de fouler aux pieds les lois de la république en toute impunité. La suite on la connait...

Par Taïeb Houidi

 

Taieb HouidiIl est inutile de retracer le cheminement de ces 30 derniers mois; c'est un plantage sur toute la ligne. Au-delà des luttes sourdes ou déclarées pour la conquête du pouvoir, au-delà du fait que la Troïka a paralysé l'Etat et sapé ses fondements en quelques mois, qu'elle a pratiqué l'exclusion par des nominations abusives dans les rouages de l'administration, qu'elle a donné de fausses solutions aux vrais problèmes du chômage, de la vie chère et de la sécurité, qu'elle a trahi la légitimité que lui ont conféré les urnes; au-delà des assassinats politiques dont elle porte une lourde responsabilité, il existe une faute à l'origine de tous ces errements. C'est l'impossible synthèse qu'a voulu opérer le cheikh entre islam modéré et doctrine jihadiste.

Un attelage improbable et, à terme, intenable

Cet assemblage aurait démontré autant la suprématie de l'islam politique tunisien que l'occurrence d'en faire un modèle pour les pays du printemps arabe. Il aurait en même temps consacré notre insensé cheikh comme le leader politique, intellectuel et moral du monde musulman du 21e siècle.

Tout cela a conduit en réalité à une disette de solutions à tous les défis postrévolutionnaires : unité nationale, bonne gouvernance, sécurité, stabilité, emploi...

La vraie cause de ce que l'on peut qualifier d'«erreur de vision» n'était pas, comme on pourrait le croire, d'avoir voulu intégrer les salafistes dans le giron d'Ennahdha. Tout parti vainqueur d'élections s'emploie naturellement à «ratisser plus large» pour se donner une assise sociale et politique plus solide que celle conférée par les élections. Le problème, c'est qu'Ennahdha n'est restée qu'au niveau des promesses à l'égard de sa frange dure et des factions extrémistes proches, dont les tenants se sont fait appeler «nos enfants... qui n'arrivent pas de Mars» de manière paternaliste et quelque peu méprisante.

L'engagement politique étant normalement couronné par des récompenses (sièges, portefeuilles, prébendes et lieux d'influence), celles-ci ont été réclamées, mais n'ont pas été offertes au niveau espéré. Aller chercher plus loin, c'est croire que les extrémistes (du moins la grande majorité d'entre eux) sont habités par une conscience très charpentée du projet politique et de la philosophie qui motive leur action.

En un mot le cheikh a commencé par servir l'aile modérée de son parti, parce qu'elle pouvait «faire vitrine», et a négligé l'aile dure en lui donnant assurances et engagements sur tout et n'importe quoi, sans en tenir beaucoup et sans en mesurer les conséquences.

Les indécisions fatales d'Ennahdha

La stabilisation et la synthèse entre les deux fractions extrêmes du parti islamiste ne sont restées que théoriques. Elles n'ont pas pu voir le jour à cause de l'incapacité à concilier les intérêts des uns et des autres, à cause de l'indigence idéologique, à cause aussi du manque de temps et de moyens. Il faut dire aussi qu'une opposition certes éparpillée, mais debout, et surtout une société civile omniprésente ont joué un rôle indirect mais certain dans l'avortement de ce projet.

Cette contradiction explique tous les sophismes qu'Ennahdha utilise encore pour éviter de dissoudre les Ligues de protection de la révolution (LPR) qui sont, en réalité, politiquement plus dangereuses pour lui que les partis démocrates (que dire alors de leurs menaces de violence !).

Cela explique aussi toutes les ambiguïtés que ce parti a entretenues ces 6 derniers mois au sujet du dialogue national, de la date des élections, de la rédaction de la Constitution. En effet, à trop contenter les démocrates, elle irritait son aile dure et à trop apaiser les extrémistes, elle se mettait de facto à la limite de la légalité.

La passivité d'Ennahdha à l'égard des salafistes et leurs dérives, leur prosélytisme sur les places publiques, leur police parallèle et leurs tribunaux a permis à ces imposteurs de fouler aux pieds les lois de la république en toute impunité. Aujourd'hui, plus ce mouvement se structure, plus le danger augmente et plus l'équation à résoudre pour Ennahdha devient complexe. Cela ne pousse pas à l'optimisme.