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Soif d'argent et de privilèges, présomptions de fraude, soupçon de corruption, compensation douteuse au profit d'ex-prisonniers... que va-t-on encore découvrir des pratiques du parti islamiste au pouvoir en Tunisie?

Par Abdelwaheb Kanzari*

Le sang froid dans le mensonge, l'utilisation cynique du pouvoir et une stratégie complètement utilitaire de l'aveu au peuple de la nécessité de cette compensation donne une piètre idée du sens des responsabilités d'hommes (et femmes) élus, ministres, hauts responsables à tous les échelons de l'Etat. L'aplomb de ces personnes chargées de la lutte contre toutes fraudes trahit un étrange sentiment d'impunité. Inconscience? Le sentiment de bénéficier d'une protection spéciale? Ils révèlent, à coup sûr, par leur comportement, une incroyable distance vis-à-vis des angoisses qui étreignent les Tunisiens plongés dans la crise et qui se demandent de quoi demain sera fait. Mais d'où viennent cette indécence et ce déni des réalités de la «troïka», ce soi-disant triptyque politique dominé par Ennahdha.

La compensation des anciens prisonniers «politiques» (qui décide de cette qualification et selon quels critères?), si tant est qu'elle se réaliserait un jour, quel serait son statut fiscal? Serait-elle défiscalisée? Le hold-up subi par les Tunisiens serait alors total.

Ce projet de compensation ne traduit pas simplement un manque de civisme, il exprime également une indifférence sinon un mépris pour l'intérêt public. Le consentement à l'impôt, une construction historique récente et toujours contestée, exprime, autant qu'il suppose, le sentiment d'une communauté de sort. Ce n'est d'ailleurs pas sans raison qu'il est aussi étroitement lié à un sentiment national. Mais le partage d'un sort commun suppose une communauté de valeurs. Or, avec l'explosion des hauts revenus de la nomenclature politico-religieuse à la tête de l'Etat, cette échelle s'est étendue en se déformant, au point d'offrir cette nomenclature des possibilités inédites de s'excepter du sort commun.

L'argent, au lieu de ramener à une commune grandeur des valeurs d'ordres différents, permet, aujourd'hui, avec le pouvoir des religieux, une séparation des sorts, surtout quand une poignée de très hauts revenus accaparent des sommes qui défient l'imagination et l'expérience ordinaires (des journaux qui parlent des transferts de beaucoup d'argents au profit des partis religieux, associations soi-disant caritatives ou culturelles, hauts cadres politiques et autres bénéficiaires servant des intérêts politiques. Et, parfois même, des agendas étrangers...

Quel contraste avec les contraintes de la «rigueur» et de la vie chère imposée aux citoyens! Pour les ménages endettés, le contrôle scrupuleux et un avenir bouché; pour les capitaux liquides, un monde d'autant plus ouvert que le contournement des règles est organisé à grande échelle, avocats et banquiers faisant les intermédiaires. Business as usual...

L'enrichissement hors d'échelle fait perdre le sens de la mesure et prépare désormais les chutes de très haut.

A quoi pensaient ces ministres, anciens et nouveaux, au moment de leur entrée au gouvernement? À la spirale des mensonges dans laquelle ils allaient s'enfoncer encore plus chaque jour? À leurs conseillers en communication, payés pour les sortir de tout mauvais pas. A coups de montages verbeux et de demi-mensonges...

Ces quasi-mensonges ont un impact politique parce qu'ils mettent dans l'embarras un pouvoir rétrograde qui s'est imposé en fustigeant non seulement le manque de morale dans la société et, par conséquent, dans les affaires, mais aussi son idéalisme sans solutions.

Accepter le pouvoir, c'était faire preuve de sens des réalités et de pragmatisme, refuser le dogmatisme, remontrer les manches pour de bon pour réduire les inégalités et l'injustice, et non pas pour se servir soi-même et les siens, et chacun à son tour, et bénéficier des avantages et privilèges partagés entre copains et coquins.

Accepter le pouvoir, c'est valoriser une politique de résultats plutôt que de bonnes intentions. Les religieux qui nous gouvernent paraissent aujourd'hui se fourvoyer dans un double standard moral: aux salariés, la rigueur; à la très haute nomenclature religieuse, les richesses, l'impunité et la mobilité.

L'argent, comme en soi, qui subvertit toute échelle de valeurs, doit être contenu par les institutions politiques et les choix collectifs. Sans quoi, la voracité libère son pouvoir destructeur.

* Docteur en mutations internationales.