tunisiens libres 5 28Nous devons sauver cette espèce, la nôtre, l'Homo Tunisianus, qui risque de disparaitre, sous les coups de boutoir de l'obscurantisme rampant, pour laisser la place à un Tunisien culturellement modifié.

Par Azza Badra*

 

L'intuition et la suspicion me sont venues lors d'une réunion sur les coulisses des élections du 23 octobre 2011. Lors de l'élaboration du règlement électoral, on aurait pu stipuler que femmes et hommes devaient être séparés dans les files d'attente. Je ne doute plus qu'aux prochaines élections un tel règlement sera appliqué. J'en ai la conviction. Il est vrai que, dans certains bureaux de vote, le 23 octobre 2011, ce règlement a bel et bien été appliqué, mais il est resté un phénomène marginal que nous aurions du dénoncer.

Nous devons impérativement refuser un tel règlement.

Guérir en prescrivant le mal à petites doses

Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, lors d'un récent meeting à l'Africa, à Tunis, avait séparé – ou laissé séparer – les auditeurs des auditrices. Cela aurait-il servi de test dans un lieu et contexte qui seraient aux antipodes d'un tel comportement? Le fait est que, toutes et tous l'ont accepté. Au nom de quoi? De quel règlement, de quelle loi? C'est la théorie de la goutte chinoise, ou d'un traitement à dose homéopathique : il s'agit de guérir en prescrivant le mal à petites doses.

Créons dès maintenant un mouvement d'opinion catégoriquement opposé à la séparation des sexes. Nous devons impérativement désamorcer ce processus d'annihilation de notre tunisianité, processus qui risque d'aboutir à l'abrogation du Code du statut personnel, ainsi qu'à la mort annoncée d'une culture trois fois millénaire.

Il y a donc péril en la demeure. Ne soyons pas des moutons de Panurge.

Depuis que l'alarme a été sonné, des témoignages fusent : tel cette dame, dans un bureau de poste, qui a été obligée par un officier d'aller dans la file réservée aux femmes. Tel ce cabinet de médecin où un paravent a été placé pour séparer les femmes des hommes. Un autre témoignage, et là je reste abasourdie : à la Banque centrale de Tunisie (Bct), une dame venue changer des billets mis hors circuit s'est vue ordonner la rangée pour les femmes.

Les 217 belles (et beaux) au bois dormants

Ces témoignages, et bien d'autres, montrent qu'il y a réellement péril en la demeure.

Mesdames et messieurs, les 217 belles (et beaux) au bois dormants qui êtes en train de nous concocter la meilleure constitution au monde, que nous répondez-vous sur les articles relatifs à la parité-égalité, où y aurait-il alors un autre texte, réalisé en catimini, qui va les annihiler?

Et vous mesdames et messieurs, femmes et hommes politiques soi-disant démocrates, qu'allez-vous faire maintenant pour désamorcer ce processus qui semblerait anodin pour certains, mais qui sonne une alerte rouge, car il va rendre possible la mise sur les rails, et en sourdine, de tout un projet sociétal loin de notre culture, loin des années lumières de l'Homo Tunisianus.

L'élite intellectuelle, la société civile et les politiciens épris de liberté, d'égalité et parité et qui se disent démocrates se doivent de sauver cette espèce, la nôtre, l'Homo Tunisianus, qui risque de disparaitre, sous les coups de boutoir de l'obscurantisme rampant, pour laisser la place à un Tunisien culturellement modifié.

* Sociologue anthropologue. Présidente de l'Ong La Voix de la Tunisie.