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Pendant que la Tunisie est plongée dans un marasme politique et un KO économique et social, ses hôpitaux sont ils épargnés? Nul n'est aussi dupe pour croire à une telle baliverne.

Par Dr Moez Ben Khemis*

Encore une fois l'état des lieux des hôpitaux tunisiens va faire couler beaucoup d'encre. Voilà déjà deux ans et quelques mois que la révolution du peuple tunisien a rugi et fait trembler le monde arabe et ses voisins occidentaux.

Cette révolution pure et affranchie de toutes les forces politiques a malheureusement été éborgnée en cours de route par l'accès au pouvoir d'une troïka aussi inepte que vaudevillesque. D'une troïka de chacals qui se sont rués vers le pouvoir en bafouant tous les principes. D'une troïka menée par une main de fer rouillé par le parti islamiste Ennahdha et ses sbires: les salafistes et salafo-jihadistes.

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Les établissements publics souffrent d'un grand manque de moyens et d'équipements.

Des promesses électorales soporifiques

C'est alors que tous nous nous demandons à quoi servent les deux freluquets de service: Moncef Marzouki, ci-devant président provisoire de la république, et Mustapha Ben Jaâfar, président d'une Assemblée nationale constituante (Anc) aussi coûteuse qu'inutile.

Pour ne pas rester dans les généralités plongeons-nous dans l'affaire des hôpitaux publics tunisiens. Tout a commencé avec les campagnes électorales de tous les partis politiques en course pour les sièges de l'Anc, quelques jours après la révolution victorieuse du 14 janvier. Le pays était pris d'un élan d'espoir et de confiance. Les hôpitaux aussi. Médecins, infirmiers, techniciens, professeurs et j'en passe, tous ont commencé à rêver d'un avenir meilleur pour la santé et la médecine en Tunisie. Les partis politiques ont saisi la balle au bond et leurs différents programmes électoraux surenchérissaient sur un avenir meilleur des hôpitaux publics. C'est alors que les promesses électorales commençaient à bruiner et que tous les candidats se présentaient comme des messies qui allaient sauver entre autres nos hôpitaux et notre système de santé.

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Hôpital régional Habib Bougatfa de Bizerte: la détérioration des établissements publics continue.

Le sujet de l'activité privée complémentaire, alias «APC», a été fortement abordé et tous sans exceptions se sont accordés à ce que cette incursion du privé dans le public n'a fait que précipiter la décadence de la qualité des soins et dépêcher nos hôpitaux dans un gouffre puant. Tous se sont accordés qu'il fallait trouver une solution à ce fléau qui n'a apporté que désolation dans nos hôpitaux.

Assurément la réalité est toute autre. Elle est toujours amère. Adieu les promesses et les slogans de campagne électorale. Maintenant que les «ex-candidats» sont au pouvoir la donne change inéluctablement.

Rien oui absolument rien n'a changé

D'ailleurs la dernière visite du ministre de la Santé, Abdellatif Mekki, à l'hôpital de Kasserine en est la preuve vivante. Une visite furtive et insipide à 5 heures du matin; avec un bouquet de roses dont les habitants et travailleurs de Kasserine se seraient bien passés.

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Salle d'attente d'un service de pédiatrie.

Si on fait le bilan dans nos hôpitaux deux ans après la révolution, on remarque bien que rien oui absolument rien n'a changé. Les services sont toujours bondés de patients, les délais d'attentes restent interminables et la qualité des soins laisse toujours à désirer. Quant à cette fameuse APC, elle continue à ranger nos établissements. Les professeurs et autres praticiens qui en bénéficient continuent à en abuser et le ministère ainsi que les autorités ferment toujours l'œil sur tous les débordements.

Alors qu'on les croyait à terre juste après le 14 janvier, les revoilà ces chers adeptes de l'APC qui refont surface, encore plus tenaces et plus virulents. Alors qu'ils longeaient les murs des couloirs de leurs propres services et évitaient de mettre ne serait ce qu'un pied dans leurs consultations d'APC craignant le fameux «Dégage», les revoilà qui recolonisent les lieux insolemment.

En effet après une courte période d'hésitation ou de peur ces praticiens se sont rués encore une fois sur l'APC. Voyant qu'ils ne seront jamais inquiétés à ce sujet, ils ont repris de plus belle. Ils ont même constitué un lobi d'«APCisites» comme on veut bien les appeler. Certains menacent même de démissionner si on touche à leur droit absolu d'APC. Ils font le bras de fer à une autorité quasi inexistante. Et visiblement ça marche. Certains sont allés même jusqu'à balayer les sanctions d'arrêt de leur APC et continuent à pratiquer une activité privée dense alors qu'ils sont fonctionnaires de l'Etat. Nul ne peut ignorer que la double fonction est interdite en Tunisie !!

Rien que dans les hôpitaux de Sousse, les quelques chirurgiens et gynécologues qui ont été sanctionnés l'année dernière continuent à opérer dans des cliniques privés ou faire des remplacements un peu partout. Il n'y qu'à vérifier les registres des cliniques de Sousse pour voir l'étendue des dégâts. Les autres continuent leurs activités malsaines impunément.

Au CHU Farhat Hached et pour ne pas citer de nom un certain chef de service bien connu pour son excès de cette pratique, abuse de son autorité et impose à ses résidents – médecins en cours de formation – de faire les comptes-rendus en son propre nom des examens faits dans le cadre de son activité privée. Complètement aberrant et hallucinant. Ces pauvres résidents n'ont que leurs yeux pour pleurer, s'ils osent se révolter ils seraient bannis à jamais du service et même de la spécialité.

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Le ministre de la Santé Abdellatif Mekki rend visite aux hôpitaux publics à 5 heures du matin, et va recevoir des bouquets de fleurs devant les médias en inaugurant des... cliniques privées (ici, clinique Amen à Béja).

Devant cette mascarade et cet attentat dans nos hôpitaux, le gouvernement – fort heureusement provisoire – reste de marbre. Rien ne parait l'ébranler. La détérioration des établissements publics continue, et la chute vertigineuse des valeurs et principes des disciples d'Hippocrate se poursuit.

Charles De Gaulle disait: «La fin de l'espoir est le commencement de la mort.»

Alors nous, jeunes médecins, continuerons à espérer qu'un jour nos hôpitaux – jadis fleurons de notre nation – re-brilleront de mille lumières. La jeune génération de médecins résiste et résistera encore pour combattre ce fléau. Quoiqu'il arrive la flamme de la résistance ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas.

Dénoncer, critiquer et s'indigner ce n'est que le début d'un long combat.

* Médecin anesthésiste réanimateur.