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De faux changement de gouvernement en pseudo dialogue national, Ennahdha cherche à faire diversion et à gagner du temps pour renforcer sa mainmise sur les rouages de l'Etat. Le drame : l'opposition se laisse encore berner...

Par Mohamed Bouanane*

Un dialogue national constructif ne peut avoir lieu qu'entre des gens civilisées qui favorisent l'intérêt général et acceptent de faire des concessions dans ce sens.

L'opposition démocratique est face à un genre de «politiques» qui ne croient pas au dialogue sinon pour gagner du temps et faire avaliser d'autres concessions aux adversaires. L'opposition est face à des extrémistes qui se sentent forts du fait même de sa propre faiblesse parce qu'elle a raté plusieurs occasions pour taper du poing sur la table et crier «Ça suffit!» : le 9 avril, 23 octobre et 4 décembre 2012, et le 6 février 2013.

Un pseudo dialogue pour gagner du temps

Une tentative de dialogue a été initiée il y a quelques mois par l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt) et torpillée par ceux qui «gèrent» les affaires de l'Etat pour cause de participation d'un certain mouvement politique (Nida Tounes). Ceux qui ont torpillé le dialogue d'hier sont favorable au dialogue d'aujourd'hui avec ce même mouvement banni, mais excluent du dialogue son initiateur d'hier : la centrale syndicale. Allez comprendre cette logique bizarroïde!

Si par miracle, ce dialogue réussit à regrouper une majorité de l'opposition et ceux qui cherchent à graviter comme des satellites autour des islamistes, ces derniers ont toujours une idée en avance sur leurs adversaires pour transformer ce dialogue en marchandage électoral et faire croire à une certaine opposition démocratique qu'elle a obtenu des concessions supplémentaires (écoutez les propos récents du chef d'Ennahdha à Tataouine au sujet des «concessions» de pure forme mais jamais sur le fond).

Ce dialogue – d'apparence initié par la présidence provisoire de la république – n'est qu'un dialogue de sourds. La troïka au pouvoir et surtout les islamistes sont devenus des experts en matière de propagande et de manipulation.

Transformation de l'Etat et noyautage de l'administration

Pendant le temps où une certaine opposition et une majorité de citoyens sont occupés par cette tentative d'un dialogue mort-né, les islamistes tentent de terminer l'exécution de leur projet de transformation des institutions de l'Etat (pouvoir politique), de noyautage de l'administration (pouvoir administratif), et surtout d'instauration d'un pouvoir économique qui leur permettra de réaliser leur dessein: se maintenir au pouvoir durant des dizaines d'années voire un siècle.

La dictature ne repose pas seulement sur la répression policière et judiciaire, car au-delà de cette répression, il lui faut un pouvoir économique pour pratiquer la politique de l'assujettissement et ainsi accaparer des richesses pour récompenser les uns, maintenir certains dans la pauvreté, et punir les récalcitrants et patriotes en les maintenant dans le besoin.

La corruption, les malversations, les créances douteuses, l'opacité dans la gestion des marchés publics, les rétro-commissions... constituent une arme de destruction massive utilisée par toute dictature. Elle permet aux dictateurs et leurs proches, acolytes et supports de s'enrichir pour construire autour d'eux des opportunistes et profiteurs qui, à leur tour, maintiennent un autre cercle de personnes rendant des services de tout genre (exemple les basses besognes) pour être admis dans la grande famille mafieuse et essayer de grignoter quelques miettes du gâteau. Cette arme est une sorte de boite à outils de gouvernance permettant de tenir le maximum de gens gravitant autour de la dictature dans un mouchoir de poche tout en leur faisant miroiter des opportunités pour profiter de certaines largesses.

Il n'est donc pas étonnant que certaines personnes qui refusent de rentrer dans le moule ou qui militent pour l'intérêt général soient sanctionnées, pour en faire un exemple et lancer un avertissement à tous les autres qui n'ont pas soutenu la dictature ou n'ont pas montré leur soumission.

Cette boite à outils (corruption, malversations, créances douteuses...), arme de gouvernance économique de la dictature, est la force de l'obéissance, le meilleur moyen pour accaparer le pouvoir économique, perdurer dans le pouvoir politique et ne plus le lâcher en devenant le bienfaiteur d'une horde grâce à l'aumône qui lui est distribuée.

L'autre moyen de faire perdurer une dictature au pouvoir est de faire crouler le pays sous les dettes odieuses, et devenir ainsi l'interlocuteur unique et privilégie des instances internationales.

Les gouvernements de la troïka 1 et 2 nous rappellent celui du tristement célèbre Mustapha Khaznadar qui, dans les années 1860-1880, avait fait crouler le pays sous les dettes odieuses pour s'enrichir et faire plaisir au Bey, le tout dans une situation de soulèvements et de révoltes. Nous connaissons la suite. La troïka fait pareil pour s'enrichir et garder le pouvoir sous la protection étrangère. Ses dirigeants sont devenus des sortes de résidents généraux d'un protectorat international.

Pour toutes ces raisons, les islamistes essaient de gagner du temps.

Une feuille de route pour contrer le projet de dictature

Revenons au dialogue proprement dit. Si l'intention est bonne, la sincérité débordante, l'honnêteté politique et intellectuelle présente, et si l'intérêt général est le seul objectif visé, alors il serait très facile de faire converger toutes les bonnes volontés et sauver le pays d'une tentative de remplacer une dictature par une autre. Pour ce faire, il faut que l'opposition démocratique cesse d'accepter la moindre concession, et de proposer une plateforme minimale de propositions détaillées sur les sujets suivants :

1. Il faut que toutes les composantes de la société civile participent au dialogue : Ugtt, Ltdh, Haica, Isie, patronat, ordres des avocats, médecins, pharmaciens, ingénieurs, différents Syndicats... Le dialogue ne doit pas durer plus de 2 à 3 semaines.

2. Rétablir la sécurité pour tous, dissoudre toutes les milices et associations nées après le 14 janvier 2011 et dont le financement est étranger et interdire l'entrée dans le pays des prêcheurs de tout genre.

3. Achever la rédaction de la constitution par un comité d'experts (constitutionnalistes, juristes, économistes, avocats, juges, médecins, syndicalistes...). Approuver une constitution 100% civile et un régime républicain semi présidentiel. Une constitution qui garantit la séparation des pouvoirs, l'indépendance et la souveraineté du pays, toutes les libertés. Elle doit favoriser le dialogue social, le développement durable au service de l'homme et le respect de l'environnement.

4. Garantir l'indépendance de la presse et de la justice, leur séparation des autres pouvoirs et exécuter sans tarder de manière impartiale les décisions de justice.

5. Reconduire l'Isie en améliorant son fonctionnement, corrigeant ses défaillances constatées et lui donner assez de pouvoir pour garantir son indépendance et son efficacité.

6. Approuver une loi électorale législative qui permet de dégager une majorité, garantir la diversité et éviter l'éparpillement. Pour l'élection législative, approuver un mixe entre un scrutin uninominal majoritaire et de liste à la proportionnelle à deux tours.

7. Approuver une loi organisant les associations et les partis politiques selon les meilleures pratiques des pays démocratiques, interdisant le mélange des genres et les conflits d'intérêts, ainsi que le financement étranger et par les entreprises ou d'autres associations.

8. Tous les points précédents doivent être satisfaits en moins de 3 mois et couronnés par la signature d'un pacte citoyen et républicain contraignant.

9. Organiser l'élection présidentielle (majoritaire à 2 tours) sous contrôle de l'Isie et des observateurs internationaux (Nations Unies et Union Européenne). Le président élu nommera un gouvernement restreint de salut national (GSN) pour mettre en œuvre une stratégie et un plan de sortie de crise économique et sociale.

10. Organiser, 3 mois après, des élections municipales (scrutin proportionnel de listes à deux tours) sous contrôle de l'Isie et des observateurs internationaux.

11. Organiser, 3 mois après, des élections législatives (selon le double scrutin à deux tours) sous contrôle de l'Isie et des observateurs internationaux.

12. Le président nommera un Premier ministre de la coalition majoritaire ou une personnalité indépendante pour constituer un gouvernement restreint, ou reconduire le GSN jusqu'à la stabilisation du pays.

Faute de quoi, les citoyens doivent prendre leurs responsabilités et faire un choix: laisser faire ou reprendre leur destin en main. Plus que jamais, le salut ne viendra que d'un sursaut salvateur citoyen qui sifflera la fin de la tragédie et remettra les pendules de la révolution (emploi, libertés, dignité) à l'heure.

Rappelez-vous que la légitimité électorale est terminée depuis le 23 octobre 2012.