aeroport tunis carthage 4 16L'auteur de l'article publié par le journal ''Le Faso.net'', et que nous reproduisons ci-dessous, raconte une expérience cauchemardesque qu'il a vécue en Tunisie, le pays qui s'enorgueillit d'avoir donné son nom à l'Afrique.

Par Bate Marck Sow

Cette histoire est réelle puisque je l'ai vécue. Je l'écris pour une raison très simple : révéler à la face des Burkinabè et du monde certaines injustices que vivent nos compatriotes et d'autres frères et sœurs africains dans certaines parties du monde. En ce qui me concerne, mon expérience cauchemardesque s'est passée en Tunisie, c'est-à-dire en terre africaine. (...)

Mauvais choix de la compagnie de voyage

A l'agence de voyage où je me suis rendu à Ouaga, j'ai vite compris que je n'avais plus le choix qu'entre voler avec Royal Air Maroc ou Tunisair en passant par Abidjan. Il n'y avait que ces deux compagnies disposant encore de quelques places inoccupées sur Rome, si j'acceptais de passer par Abidjan pour y prendre le vol. Mon choix a dès lors été déterminé par l'heure d'arrivée à Rome où je devais reprendre service le lundi 11. Le vol de Tunisair ayant été programmé pour arriver à 10 heures dans la matinée, j'ai en toute logique choisi de voler avec elle plutôt qu'avec la Royal Air Maroc dont le vol du jour sur Rome devait atterrir après 15 heures. Je n'ai jamais pris Tunisair, et j'étais plutôt curieux de découvrir ses services. Je dus prendre Air Burkina pour rejoindre Abidjan.

Après un décollage ponctuel suivi d'un court vol paisible d'une heure par Air Burkina, me voilà à Abidjan. Moins de 15 minutes dans un rang pour les formalités policières et me voilà à la sortie de l'Aéroport International Félix Houphouët-Boigny (...). Puis sonnent 23 heures, l'heure de l'enregistrement, le décollage étant prévu pour 00:50.

A ma grande surprise, à 00:29, alors que les passagers attendaient dans la salle d'embarquement, l'amplificateur de l'aéroport annonce que Tunisair atterrirait à 01h24. Beaucoup de passagers n'étaient pas contents, mais semblaient supporter le retard de 34 minutes, même si l'on se disait qu'en tout, on accuserait un retard d'une heure à l'arrivée. C'était mal connaitre ce que nous réservait la réalité: l'avion arriva finalement à 2 heures du matin. Puis après un débarquement rapide des arrivants, les partants – la plupart ensommeillés – rejoignaient à pas de zombies l'Airbus pour embarquer et enfin décoller à 3 heures du matin. Conséquence : plus d'une vingtaine de passagers ont raté leurs correspondances quand l'avion a atterri à 9h20 au lieu de 7h00.

Des agents très irrévérencieux envers les Nègres

(...) Sortis de l'avion à Tunis, les passagers en transit furent conduits dans le couloir de Tunisair. J'ai été d'abord marqué par le manque d'intérêt envers la vingtaine de clients qui étaient composés d'au moins 15 noirs venant notamment d'Afrique de l'Ouest. On ne posait pas de questions suspicieuses aux blancs, mais ceux qui avaient la peau noire étaient soumis à un interrogatoire qui ne disait pas son nom avec un ton qu'un policier bien formé n'utiliserait même pas pour interroger un suspect.

Puis du même ton impudent dont on vous accule de questions impropres, on vous demande des documents inattendus.

J'étais si choqué de voir comment un diplomate ivoirien (un certain Akpa, puisque les agents disaient les noms très haut) en partance pour la France a été acculé. Bien qu'il aille en mission diplomatique avec un visa dans les normes, les agents tempêtaient et exigeaient de lui qu'il présente son billet retour. Au finish, on lui a permis de s'en aller non sans le faire attendre au moins trois heures. Si le lecteur croit que trois heures d'attente dans ce couloir-cage est inacceptable, qu'il/elle attende de lire la suite du récit.

L'arrogance de ses agents de transit à Tunis

Etant donné que le retard des voyageurs a été causé par Tunisair, celle-ci savait à l'avance l'état des voyageurs ayant manqué leurs correspondances. Une compagnie sérieuse et respectueuse des clients se serait donnée la peine de préparer les nouveaux itinéraires ou les coupons d'hôtel afin de les remettre aux voyageurs dès leur arrivée. A Tunisair, rien n'était fait au préalable pour soulager les voyageurs de la torture due au retard de la veille. Pire encore, les agents du jour vous toisaient d'un regard condescendant alors que qu'on expliquait notre problème dont ils étaient déjà au fait, puis récupéraient notre passeport et notre carte d'embarquement caduque, avant de vous lancer un «on va vous appeler».

Ceux qui, comme moi, traitaient avec la compagnie pour la première fois se mettaient à quelques pas du desk et attendaient, croyant que c'est une affaire de 10 à 15 minutes. Les habitués de Tunisair s'éloignaient dans le couloir qui servait de salle d'attente et y prenaient place si ils/elles avaient la chance d'avoir une chaise disponible.

Plus on attendait, plus cette salle d'attente exiguë dans laquelle nous étions confinés ressemblait à une cage, puisqu'en dépit des longues heures d'attente (6 heures en ce qui concerne mes compagnons d'infortune et moi), les voyageurs ne pouvaient accéder qu'aux toilettes, mais à rien d'autres (eau, snack, nourriture).

J'ai eu l'impression de prime abord que ces travailleuses et travailleurs étaient caractérisés par leur déficience manifeste en matière de civilité. Ils/elles criaient sur les passagers, les acculaient et semblaient douter de tout ce que ceux-ci leur donnaient comme réponse ou comme documents requis.

Seulement, après quelques 6 heures d'attente et d'observation, je me suis obligé à arriver à la conclusion qu'ils/elles n'étaient peut-être pas aussi congénitalement impolis. Ils/elles exhibaient des signes d'aménité aux quelques blancs qui étaient dans le rang. C'est ainsi que j'ai quitté la «cage de transit» avec la conviction que ces agents du desk du jour avaient simplement un abject mépris envers les peaux noires et semi-noires, même si ils/elles ne souffraient pas d'encaisser l'argent payé par ces mêmes peaux pour le voyage.

Arrivés dès 9h20, les passagers en transit n'ont pu avoir leurs coupons pour l'hôtel que seulement vers 13h30, même si les agents de transit savaient très bien que les transitants passeraient la nuit à Tunis. Cela ne s'est pourtant pas passé du chef des agents discourtois aux regards dédaigneux envers nos nègres de passagers.

Les passagers d'infortune du jour n'étaient plus que 10. Quatre d'entre eux allaient à Rome, tous des noirs (précision importante pour la suite du récit). Les six autres passagers allaient à Lyon. Nous avions tout de suite sympathisé et une solidarité s'est créée entre nous, même si aucun des passagers ne connaissait l'autre auparavant. C'est grâce à cette solidarité que nous avons forcé les agents à nous traiter quelque peu comme des humains. Nous leur avons d'abord demandé, dans un vacarme scandaleux, du snack et de l'eau, ce qui fut fait, une heure avant de recevoir nos coupons pour l'hôtel.

Pour passer le service d'immigration, seul le Burkinabè, que je suis, avait besoin de visa, les accords entre Etats permettant aux ressortissants de certains pays, y compris la Côte d'Ivoire et la France, d'entrer en Tunisie sans visa si ceux-ci y passent moins de 90 jours. J'ai finalement eu mon visa à 17h30 avant de rejoindre l'hôtel où se trouvaient mes 9 compagnons à qui j'avais auparavant dit de ne pas se soucier de moi.

Africains en terre africaine interpellés sans raison

Le vol des quatre voyageurs à destination de Rome (2 dames, dont une du troisième âge, et 2 hommes dont moi-même) devait décoller à 8h35 du matin. Ce qui veut dire qu'il fallait être à l'aéroport au moins deux heures à l'avance. A 6h40, nous avions déjà fait l'enregistrement avec un agent de Tunisair plutôt souriant et aimable, à notre grande surprise. Puis nous procédions à passer le contrôle de police, puis la sécurité. Je fus le premier à passer, puis la «vieille» que la jeune dame assistait de près. J'attendais alors tout le monde de l'autre côté sur le chemin des portes d'embarquement. Puis vinrent les deux dames. Le jeune homme, un ivoirien, prenait trop de temps à passer le contrôle de police et on se demandait ce qui se passait. C'est alors que la vieille exprima le besoin d'utiliser les toilettes. La jeune dame qui tenait sa valise de cabine l'y conduisit.

Dans cet intermède, je décide de visiter la boutique du Duty Free pour voir s'il y avait quelque chose d'intéressant à acheter.

En fait, mon objectif était de me débarrasser de quelques dizaines de dinars tunisiens que j'avais encore sur moi. Peu impressionné par les articles de la boutique qui étaient à moindre coût à ma destination, j'étais ressorti voir si le jeune ivoirien avait enfin passé le contrôle de police et la sécurité. C'est alors que j'aperçus un policier fou-furieux à pas pressés, suivi de près par la jeune ivoirienne toute désespérée et presqu'en larmes. Je reconnus en lui le même policier qui a visé nos documents lors du contrôle de police.

Interloqué, j'étais sur le point de demander ce qui se passait que le policier fonçant sur moi me crie dessus : «Donne ton passeport»; je le lui tends sans broncher. Il nous enjoint, à la jeune dame et moi, de le suivre.

Je dis à la jeune dame nerveuse de se calmer. Puis je demande au policier pourquoi il voulait nos passeports. Il me répond sans égards qu' «on doit vérifier vos visas».

Sincèrement, je n'avais aucun problème à cela, puisque je sais que mon visa, comme mon passeport, est valide et issu par l'autorité compétente.

Vous avez dit Etat de droit?

Le policier subalterne alla remettre les passeports à un autre en civil, apparemment plus gradé, plus borné, au regard plus haineux, avec un visage renfrogné, constipé et bien inamical, certainement à l'image de sa hargne envers nous et de son insensibilité humaine comme cela se révèlera. Il nous conduit dans un labyrinthe dans l'enceinte de l'aéroport d'où personne ne peut nous voir, sauf les quelques agents de police y travaillant. Le jeune ivoirien que nous avions perdu de vue y était déjà, et semblait moralement revigoré de nous voir.

Le méchant flic nous lance un «asseyez-vous ici», en pointant furtivement des chaises métalliques, puis il continue dans un box ou étaient d'autres flics. Quand il ressort du box, j'essaie comme dans tout Etat de droit de lui demander ce qui se passait. A peine ai-je fini d'articuler le mot «monsieur» qu'il me somma d'un regard assassin et un index menaçant ponctué d'un «tais-toi ou tu vas empirer ta situation».

A vrai dire, je ne savais pas que j'étais en mauvaise posture pour une histoire de contrôle de visa. 45 minutes plus tard, il revient vers nous et donne le verdict suivant: «Peut-être que vous irez en Italie, mais vous n'y irez pas par la Tunisie. Nous vous renvoyons en Afrique, n'importe où en Afrique. Vous avez de faux visas». Incroyable! Puis, il nous demande des contrats de travail en Italie, on les lui montre, il décide aussi que les contrats sont faux. Il ne lui restait plus qu'à dire que nous étions de faux africains, n'eut été la noirceur de nos peaux qui semblait lui causer tant d'irritation.

Le drame dans tout ça est que, malgré la carte de résidence de la jeune dame, qui dit être mariée à un homme de nationalité italienne, on ne l'a pas écoutée. En ce qui me concerne, j'ai obtenu un visa tunisien la veille afin de pouvoir passer la zone internationale et rejoindre l'hôtel. J'ai alors demandé au policier s'il croyait que le visa tunisien était aussi faux. Il m'a sommé de la fermer ou alors j'allais «empirer ma situation».

Pour épargner le lecteur des détails, je précise qu'au final, j'ai eu mon salut grâce à un ancien passeport que j'avais sur moi, et que j'ai présenté à notre tortionnaire. Ce passeport contenait d'anciens visas de pays que notre flic anti-black du jour semble prendre comme des modèles: US, Italie, Canada, Chine, et France.

Hélas, les deux Ivoiriens n'ayant pas eu la même chance que moi, ont été gardés dans le labyrinthe qu'il convient d'appeler le couloir de la déportation. Tout ce j'ai pu faire était de tirer de ma poche le restant de mes dinars que j'ai remis à la jeune dame qui, depuis la veille était à cours d'argent car ayant utilisé toutes ses ressources au pays. Son mari devait la chercher à l'aéroport à l'arrivée. Ces deux infortunés n'ont donc pas pris le vol pour Rome que nous devrions prendre ensemble.
N'ayant aucun contact de leurs proches ou connaissances, je n'ai pu rien faire et suis resté meurtri dans l'âme depuis l'incident. A cause du retard et de l'irresponsabilité de Tunisair, des honnêtes gens voyageant légalement ont été violentés dans leur droit par un flic dont la haine du nègre semble inspirer «l'efficacité».

Alors que j'étais en rang à nouveau pour passer la sécurité, j'aperçus la vieille qui attendait inquiète de l'autre côté. Elle ne parlait pas français, et c'est un dioula peu grammatical mais communicatif qui nous a aidés tous.

Quand je lui ai expliqué la situation, elle a décidé d'aller chercher sa valise de cabine. Je lui ai dit de réfléchir par deux fois avant d'aller la chercher et que sa chance était peut-être d'être allé aux toilettes. Prise de panique, elle me suivit à la salle d'embarquement. Dans l'avion, un steward qui la cherchait pour lui remettre les talons de bagages du vol manqué s'est arrêté à notre niveau (nous étions par coïncidence, peut-être, assis ensemble) pour s'assurer que c'était bien elle. La vieille faillit s'évanouir, convaincue qu'on venait l'extirper de l'Airbus.

Très honnêtement, nous n'avions eu la paix du cœur que quand l'avion a décollé. De toute façon, c'est la Tunisie, un Etat policier où le mépris et la haine de la peau noire me semblent structurels et peut-être même institutionnalisés.

Nous étions les seuls noirs du vol, les deux autres ayant été retenus pour être «rapatriés en Afrique», selon les termes de l'ignorant flic plein de haine, et ce malgré leurs documents légaux et à jour.

Le devoir de partager

J'ai été très meurtri dans l'âme de voir et vivre une telle injustice dans un Etat dit de droit, et en terre africaine. Je me suis demandé pendant mon bref séjour à Tunis si ces travailleurs et travailleuses de l'aéroport, un lieu de transit international et interracial, avaient de la considération pour le nègre.

J'ai eu la chance de voyager et partir dans les quatre coins du monde, je n'ai jamais reçu un traitement aussi dégradant. Il me semble que beaucoup là-bas s'érigent en gardiens des portes de «l'enfer africain» et admettent difficilement toute escapade vers le «paradis européen» ou occidental qu'ils protègent jalousement.

En plus des conséquences physiques, psychologiques et économiques relatif à la déportation des deux Ivoiriens, il y a aussi des chances qu'ils aient des problèmes avec leurs employeurs quand ils arriveront enfin à destination. Ce n'est pas acceptable.

En ce qui me concerne, ma décision est prise, même gratuit, je ne volerai plus avec Tunisair, en tout cas pas de mon gré. Je ne passerai plus jamais non plus par la Tunisie si je n'y suis pas obligé.

Sans décourager les futurs voyageurs de Tunisair ou transitant par Tunis, je suggère que quiconque qui, pour une raison ou une autre, serait contraint(e) à prendre cette compagnie se prépare pour les conséquences éventuelles, si il/elle n'a pas la peau claire ou blanche.

Je me suis senti le devoir de partager cette expérience triste, sans aucune intention de dénigrer qui que ce soit. Je n'aurais pas usé de mon temps pour écrire cet article s'il ne s'agissait que des incohérences de Tunisair. Je suis sûr que beaucoup d'autres Burkinabès et Africains de peau noire comme moi vivent ce genre de calvaire au quotidien dans ce pays. Je partage l'expérience afin que les uns et les autres se prémunissent avant de voyager ou transiter par certains pays.

Source: ''Le Faso.net'' .