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Sihem Badi, ministre des Affaires de la femme et de l'enfance sera auditionnée, mardi 16 avril, par l'Assemblée nationale constituante (Anc). Ses innombrables manquements, en matière de protection de l'enfance, lui seront durement reprochés.

Par Moufida Ben Amor*

Le ministère des Affaires de la famille et de la femme vient de publier, dans l'indiscrétion totale, le rapport annuel des délégués de la protection de l'enfance pour 2012. Attitude étonnante de la part d'un ministère qui cherche constamment à communiquer au grand public le moindre événement, à l'instar de l'inauguration du centre pour femmes battues par le président provisoire de la république concomitamment à la fermeture du centre d'hébergement des enfants menacés de Sidi Thabet (Lire : Marzouki dindon de la farce de Sihem Badi).

Que de zones d'ombres et d'incohérences!

Pourtant, pour un pays comme la Belgique, la publication d'un tel rapport est considérée comme un événement majeur, d'où sa présentation et sa discussion devant le Parlement.

Pourquoi cette discrétion aussi inhabituelle qu'intrigante? La multiplication des affaires d'enfants violés et maltraités défrayant la chronique y sont sans doute pour quelque chose, mais pas seulement.

J'invite tous les parents à faire la lecture du document en question pour avoir une idée sur l'état des menaces qui guettent nos enfants et d'apprécier le dispositif mis en place pour soi-disant les protéger.

Le rapport nous révèle que le personnel dédié à la protection de l'enfance, soit 72 agents, dont 38 délégués de protection de l'enfance répartis sur tous les gouvernorats de la république, a reçu 5.992 signalements d'enfants menacés durant 2012, soit 16 actes par jour et donc moins d'un acte par jour et par gouvernorat.

Ces données sont invraisemblable comparées à l'ampleur des maux qui rongent notre société: enfants de la rue, abandon scolaire, violence à l'égard des enfants, maltraitance, harcèlement...

Au chapitre de l'exploitation économique des enfants, 36 cas ont été en tout signalés en 2012 dont 4 pour tout le Grand Tunis! A celui de l'exploitation sexuelle (hors harcèlement) seuls 70 cas ont été détectés, dont 40% dans le Grand Tunis.

Et c'est en examinant la structure du mode de signalement (tableau 5 du rapport) que l'on découvre les faiblesses du dispositif. Ainsi, plus de 60% des signalements sont fait directement (en se déplaçant physiquement), 27% par courrier postal et plus de 11% par téléphone payant durant les horaires administratifs. Quant au courrier électronique auquel le ministère a dédié une messagerie sur son site, il n'a été utilisé que dans 34 cas seulement – dont 16 pour le seul gouvernorat de Nabeul contre un seul pour les 4 Gouvernorats du Grand Tunis).

On notera aussi que le numéro vert (80100010) n'a pas du tout servi tout au long de 2012, alors que le site web du ministère indique la disponibilité de ce service ô combien important.

Comment les citoyens pourraient-ils dénoncer les abus sur les enfants quand le numéro vert est indisponible (il suffit de vérifier en appelant le 80100010) et quand la majorité des délégués semblent ne pas utiliser l'internet?

Gabegie, laisser-aller et tromperie

D'ailleurs le site web des délégués de protection de l'enfance semble très peu actif: on y retrouve des informations vieilles de plus de 2 années (!), ce qui témoigne du laisser-aller des services concernés pourtant responsables d'un secteur aussi important que l'enfance.

Alors qu'en France ou en Belgique, le numéro vert et les courriels constituent l'épine dorsale du dispositif de signalement, nous continuons en Tunisie d'employer des méthodes dignes de grand-mère, qui pouvaient se justifier du temps du dictateur car on ne voulait pas dévoiler l'ampleur des dangers qui guettent nos enfants. Mais aujourd'hui?

Ironie du sort, les statistiques du ministère puisées sur le même site montrent qu'en 2009, la Tunisie a recensé pas moins de 8.272 cas signalés et voilà qu'en 2012 ce nombre passe à 5992 «seulement», soit une baisse miraculeuse de 27% qui, loin de témoigner de l'amélioration de la situation de l'enfance tunisienne, dénote la gabegie, le laisser-aller et la tromperie qui rongent notre administration.

En attendant, c'est la fuite en avant pour Mme Badi, qui semble dépassée par les événements. Elle ne devra éventuellement son salut, mardi 16 avril, lors de son audition par les membres de l'Assemblée nationale constituante (Anc) qu'à la solidarité des députés de la «troïka», la coalition au pouvoir, surtout si l'on adopte un vote indiscret où la discipline partisane prime.
Dans le cas d'un vote secret les députées de la «troïka», qui l'ont «massacrée» lors de sa précédente audition, seront les premières à la renvoyer et la motion de défiance aura toutes les chances d'aboutir.

* Sage-femme.