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À l'heure où la pétition lancée pour le soutien d'Amina franchit la barre des 110.000 signatures, la timidité, pour ne pas dire le silence des voix des organisations des droits humains en Tunisie et ailleurs fait peur...

Par Nadia El Fani*

Je me souviens de mes vingt ans en Tunisie.

Je me souviens de ma révolte contre ma société que déjà je trouvais trop conservatrice...

Je me souviens de vous mes amis engagés, mes amis artistes, mes amies féministes...

Je me souviens de notre esprit frondeur, de notre volonté de bousculer l'ordre établi, de notre rêve de renverser ce pouvoir oppresseur (sous Bourguiba déjà !).

Je me souviens de toi Bochra, Azza, Saïda, Safia, Zeyneb, Monia, Thouraya, Nadia, Hayet, Dalila, Alya, Jalila et les autres...

Un souffle de liberté au sein du groupe

Je me souviens que vous me disiez apporter un souffle de liberté au sein du groupe... Et moi je vous admirais pour votre courage lorsque que pour vous affranchir du carcan familial il vous fallait opérer de vraies ruptures, douloureuses parfois... Certaines avaient des frères violents, chez d'autres c'était le père, et aussi, souvent la mère... Bref pour avancer, pour affronter le passéisme des mentalités et du qu'en dira-t-on si dévastateur dans notre société si avide de conformisme, il vous fallait rompre en premier, le lien familial. Que de tabous brisés, que d'interdits bravés, que de limites franchies !

Je vous admirais oui, je vous admirais ! Parce que moi j'avais la chance d'avoir une famille qui m'acceptait dans toutes mes différences que déjà je revendiquais haut et fort : homosexuelle, athée, féministe, communiste, la belle affaire!

Pourtant c'était déjà suffisant pour être mise au banc de la société. Cette violence de l'isolement et de la marginalité, c'est sans doute cela le socle de ma force aujourd'hui! Ma capacité à continuer à résister vent debout, à toutes les attaques les plus basses soient-elles, même au sein aujourd'hui de ma propre famille! Et les ruptures je les accepte, même quand il s'agit de ne plus pouvoir mettre les pieds à Tunis depuis deux ans ! L'exil, même si il est volontaire, est sans doute l'une des plus grande souffrance que j'ai eu à encaisser.

Je me souviens de cette chaleur entre nous les filles (c'est comme seulement qu'on s'appelait) et de cette complicité immédiate à la première rencontre entre nous, les féministes ! Nous étions portées par un vent de liberté et peut importe d'où il venait, il soufflait aussi en Tunisie ! Il emportait avec lui la fumée de nos cigarettes aux terrasses des cafés où nous étions attablés filles et garçons à boire café ou bières sans que personne ne s'en offusque ! Ce vent, il faisait voler les cheveux des filles et parfois ceux des garçons ! Il transportait l'écho de nos chansons révolutionnaires... C'était un vent d'espoir d'une société nouvelle comme partout dans le monde de cette époque ! Il n'avait qu'une identité: l'universalisme !

Je me souviens qu'à mes vingt ans mon père m'a dit (il est des mots qu'on n'oublie jamais), pour moi ce fut comme une maxime : «Quand j'ai eu trente ans, je me suis promis de rester fidèle à mes vingt ans!».

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Nadia El Fani.

Le temps n'est pas aux larmes, le temps est encore à l'espoir!

Alors, aujourd'hui, quand je regarde mon pays, la Tunisie, je détourne le regard, je baisse la tête, je respire un grand coup, je ne veux pas qu'on me voit pleurer... Le temps n'est pas aux larmes, le temps est encore à l'espoir! L'espoir c'est de voir enfin éclore une Tunisie plurielle, qui s'accepte dans toutes ses composantes, qui rejette la violence, l'exclusion, la répression, les inégalités sous toutes leurs formes, et l'oppression de la pensée unique.

Nous devons rester fermes, nous, les progressistes, ne rien lâcher de nos valeurs fondamentales, la liberté d'expression est un principe ! Et l'expression politique peut et se doit de revêtir différentes formes! Cette expression est forcément libre, dégagée de toutes contraintes électorales stratégiques ou autre... C'est ce qui donne naissance à des mouvements artistiques et/ou à des réflexions approfondies de la part des intellectuels... Ce sont ceux-là qu'aujourd'hui en Tunisie on nomme avec mépris, l'élite... Le progrès a besoin de l'avant-garde !

Amina, aujourd'hui, est à l'avant-garde! Pas par le simple fait de se mettre nue sur Internet, ça n'aurait pas de sens, tant de jeunes filles se sont dévoyées ainsi uniquement afin de commercialiser leurs charmes...

Non ! Ouvrez les yeux sur son geste, ouvrez les yeux sur sa revendication, sa persévérance. Elle assume, elle persiste, elle signe ! Elle refuse de se renier et appelle les Femen et toutes les féministes du monde à continuer! NE LA LÂCHEZ PAS !

Souvenez-vous à votre tour de vos vingt ans, quand vos familles vous bouclaient à la maison pour «vos mauvaises fréquentations»! Ce sont toujours les filles qui sont traitées de folles d'hystériques, quand elles se lèvent pour leur liberté!

Quand il s'agit d'un garçon aux gestes parfois bien plus radicaux, on applaudit le courage et l'héroïsme !

Je comprends la volonté de la famille de protéger Amina contre ceux qui la menacent de mort. Mais n'est-ce pas le devoir de l'Etat de protéger tout citoyen tunisien des dangereux extrémistes et qui au nom de Dieu sévissent impunément en Tunisie?

L'acte d'Amina est-il répréhensible? N'est-il pas une réponse logique à tous ceux-là qui se réclament de la volonté divine (d'où tirent-il leur légitimité ?) et exercent des violences inouïes, jusqu'à la mort, contre tous ce qui ressemble de près ou de loin à un esprit libre en général et aux femmes en particulier?

Ne faudrait-il pas plutôt répondre à cette question, plutôt que de la blâmer pour avoir enfreint un tabou? Ne faudrait-il pas plutôt accompagner Amina dans son combat évident contre une société archaïque? Car, à bien interpréter son attitude de révolte au sein même de sa famille, on reconnaît aisément la rébellion face au patriarcat! Amina est une authentique féministe!

Elle doit retrouver sa liberté sous toutes ses formes

Mes amies (s'il en reste!) féministes (s'il en reste !) tunisiennes et du monde, je vous le demande instamment, comme l'a fait Raja Ben Slama avant moi: Soutenez Amina!

Ne vous demandez pas si le fait d'avoir posté cette photo est bien ou mal... Est-ce que oui ou non réclamer le droit à disposer de son corps librement et rappeler «qu'il n'est l'honneur de personne» est juste ou non! Voilà la question!

Souvenez-vous de vos combats contre la violence faites aux femmes (et la séquestration en est une!) quand vous vous interposiez pour empêcher des mariages forcés... Moi je me souviens de vous! Et c'est aussi au nom de ce souvenir que je soutiens inconditionnellement Amina. Elle doit retrouver sa liberté sous toutes ses formes. Elle a droit à une protection civile!  Nul n'a le droit de décider pour elle, elle est majeure!

À l'heure même où des milliers de soutiens à travers le monde apparaissent sur le net. Des femmes de toutes provenances, et il faut saluer le courage de celles qui risquent gros comme Amina, en postant leurs photos qui affichent des slogans sur leurs poitrines. À l'heure où la pétition lancée pour son soutien franchit la barre des 110.000 signatures, la timidité, pour ne pas dire le silence des voix des organisations des droits humains en Tunisie et ailleurs fait peur...

Ainsi donc voilà que ça recommence : en Tunisie on peut réprimer tranquille !

* Cinéaste.

Blog de l'auteure.