flotte russe 28 3En annonçant le retour de leur flotte en Méditerranée, les Russes entendent défendre leurs intérêts économiques dans une région où se croisent intérêts américains, européens, iraniens, israéliens, turcs, saoudiens, qataris, etc.

Par Jean-François Coustillière*

Le 27 février 2013, nous apprenons par Ria Novosti que la Russie s'apprête à créer une nouvelle structure au sein de sa Marine pour défendre ses intérêts en Méditerranée.

Ria Novosti relayait ainsi une déclaration effectuée le jour même à Moscou, lors d'une réunion élargie du collège du ministère de la

Défense, par le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou: «Il faut créer un nouveau département pour le groupement opérationnel de la Marine qui défendra les intérêts nationaux de la Russie dans la région de la Méditerranée et garantira la présence permanente de navires russes dans ce secteur».

Si cette déclaration devait être suivie d'effet, elle pourrait modifier sensiblement les rapports de force en Méditerranée.

Chronique d'un retour annoncé

De 1967 jusqu'en 1991 et l'effondrement de l'Urss, cette dernière entretient face à la Sixième Flotte américaine dédiée au théâtre méditerranéen, 30 à 50 bâtiments rassemblés au sein de la 5e Escadre.

A partir de 1991, la Russie se retire de Méditerranée et sa flotte n'y paraît plus, ou presque, jusqu'en 2006 où la marine russe participe à l'opération antiterroriste de patrouille de l'Otan en Méditerranée.

Dès août 2007, l'amiral Vladimir Masorin, commandant la marine russe, cité par l'agence de presse Ria Novosti, déclare à Sébastopol: «Nous devons rétablir une présence permanente de la marine russe dans cette région». En septembre de la même année, un bâtiment russe de la Flotte de la mer Noire participe de nouveau à l'opération antiterroriste Active Endeavour, placée sous le commandement de l'Otan.

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«L'objectif des sorties est d'assurer une présence navale dans des régions stratégiquement importantes des mers du globe».

En décembre 2007, et pour la première fois depuis la fin de l'Urss, est annoncée une première grande sortie russe en Méditerranée. «L'objectif des sorties est d'assurer une présence navale dans des régions stratégiquement importantes des mers du globe», déclare alors le ministre de la Défense Anatoli Serdioukov.

Les forces rassemblées à cet effet comprennent onze bâtiments de guerre, dont le porte-avions Amiral Kouznetsov et son groupe aérien de 47 avions, appuyés par des bombardiers stratégiques. Les unités, provenant des quatre flottes (Nord, mer Noire, Baltique et Pacifique), se retrouvent en Méditerranée pour procéder à divers exercices durant près d'un mois, notamment avec les marines riveraines. La Russie affirme ainsi publiquement son intérêt stratégique pour la région.

En 2008, la marine russe reste présente en Méditerranée à la fois aux côtés de l'opération Otan Active Endeavour, mais aussi au sein d'exercices internationaux telle la manœuvre russo-italienne Ionex-2008.

Faisant écho aux tensions entre Occidentaux et Russes sur la question géorgienne, le chargé d'affaires russe à Damas, Igor Belayëv déclare en août 2008: «Le nombre de visites de bâtiments russes va croître dans les ports amis de la Syrie et ces visites se poursuivront». C'est ainsi que, dès octobre, un groupe de navires de la Flotte du Nord, le navire d'escorte de la Flotte de la Baltique et le navire auxiliaire de la Flotte de la mer Noire conduisent des exercices conjoints en Méditerranée. Le porte-avions Amiral Kouznetsov est de nouveau présent en Méditerranée en décembre 2008.

Le même porte-avions réapparaît en Méditerranée avec son groupe aéronaval en janvier 2012 avec une escale à Tartous. La routine s'établit alors avec une succession de missions en Méditerranée en avril 2012 et janvier 2013.

Simultanément, la Russie s'emploie à retrouver des points d'appui en Méditerranée pour garantir la sécurité de ses déploiements. Compte tenu des révoltes arabes, il ne leur reste guère que Tartous en Syrie et c'est sur cet objectif que se concentrent leurs actions, en dépit de la guerre civile en Syrie.

Depuis 2006 jusqu'à aujourd'hui, la Russie, constante et déterminée dans son effort, s'applique à se donner les moyens des ses ambitions même si elle est confrontée à de nombreuses difficultés: moyens navals vieillissants, point d'appui peu nombreux et faibles.
Les motivations de cette stratégie

Tout d'abord, comme pour toute «bonne» politique internationale, il s'agit de répondre à des aspirations intérieures. La population russe a besoin que la Russie soit considérée comme un acteur international écouté et influent.

Depuis 1991, peu d'occasions ont permis de répondre à ce besoin et la conduite des opérations occidentales en Libye en 2011 laisse aux Russes le sentiment d'avoir été dupés. La crise en Syrie et plus largement celles du Proche-Orient sont des opportunités toute trouvées.

Sur le plan international, la Russie considère tout d'abord que le devenir du Proche Orient et du cœur de «l'Eurasie» relève de son intérêt national. Elle doit pouvoir participer aux instances décisionnelles ainsi qu'aux négociations sur cette région, sans laisser les intérêts occidentaux s'imposer par la voix de l'Amérique.

Ensuite, une bonne relation russo-syrienne, avec la nouvelle Syrie, conditionne la disponibilité de facilités en Méditerranée orientale indispensables au rayonnement de la Russie et à la protection de ses intérêts maritimes commerciaux.

Il est certain, également, que la Russie a la volonté de disposer de la capacité de protéger les terminaux des gazoducs et oléoducs partant de Russie et aboutissant en Méditerranée soit sur les côtes grecques, soit sur les côtes turques.

On ne peut exclure, de plus, que s'ajoutent à ces installations celles consécutives à l'obtention éventuelle d'un accès à des réserves inexploitées de gaz en mer au large de Chypre, notamment dans le cadre d'accord financier lié à la crise actuelle.

Enfin la Russie peut faire prévaloir son attention légitime vis-à-vis des lourds investissements effectués dans divers pays méditerranéens: Algérie, Italie, Grèce, Chypre, etc.

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La Russie veut se faire entendre dans cette région où se croisent intérêts américains, européens, iraniens, israéliens, turcs, saoudiens, qataris, etc.

Pour tous ces objectifs, clairement annoncés par la Russie, la Flotte de Méditerranée ne constitue pas un instrument forcément guerrier près à en découdre au moindre désaccord, mais évidemment celui d'une diplomatie usant de moyens croissants de pression qui permettent d'établir un meilleur rapport de forces entre les acteurs des tensions et crises.

Quid de la suite?

On peut raisonnablement penser qu'au-delà de l'annonce effectuée, sans date d'échéance précise, les Russes aillent au bout de leur projet car la guerre en Syrie est à la fois une bonne occasion de s'imposer sur la scène internationale, mais aussi une opportunité à ne pas manquer si elle veut se faire entendre dans cette région où se croisent intérêts américains, européens, iraniens, israéliens, turcs, saoudiens, qataris, etc.

Aujourd'hui, la Russie est convaincue que les Occidentaux n'apportent aucune attention ni à ses positions, ni à ses intérêts.

Depuis 1991, les Etats Unis, forts de leur position dominante en Méditerranée en l'absence des Russes, se sont contentés de déployer des porte-avions, «capital ship» de la Sixième Flotte dédiée à la Méditerranée, de façon occasionnelle en fonction des crises. Ce fut le cas notamment en juin 2011 avec le déploiement de l'USS George H. W. Bush face à la Libye. Il est vrai que durant toute cette période les opérations dans lesquelles les forces américaines étaient engagées ne manquaient pas et que l'heure n'était pas à la dispersion.

Les Etats-Unis vont-ils consacrer à nouveau des forces, au demeurant peu importantes, pour marquer leur présence face à la Russie? Ou alors vont-ils négliger cette démarche jugée secondaire? Quelle que soit leur décision elle sera porteuse d'informations.

* Consultant indépendant, associé au groupe d'analyse de JFC Conseil.