Martine Gozlan Abdelfattah MourouMartine Gozlan confirme dans cet texte parvenu à Kapitalis l'authenticité des propos tenus par Abdelfattah Mourou, n°2 d'Ennahdha, dans l'interview qu'elle a réalisée avec lui pour le magazine ''Marianne''.

Par Martine Gozlan

Je l'ai appelé le 13 février en me présentant et en lui demandant une interview. Il m'a donné rendez-vous le 14 février à 18h30 en m'expliquant qu'il ne pouvait pas plus tôt car il était sur le plateau de trois ou quatre télévisions du Golfe dans la journée. Mon taxi, sur ses indications au téléphone, m'a conduite chez lui. Son fils, averti, m'a ouvert la porte car M. Mourou n'était pas encore revenu. Il n'a pas tardé et nous avons commencé l'interview, son fils nous a apporté du thé. L'atmosphère était chaleureuse et je pense qu'il a apprécié que je ne manie pas la langue de bois car je suis entrée directement dans le vif du sujet, comme vous l'avez lu, en l'interrogeant sur sa relation avec le wahhabisme et Rached Ghannouchi.

Je travaille sur l'islamisme depuis très longtemps et je suis aussi essayiste. Je suis une journaliste engagée, libre, comme mon journal, et totalement solidaire de ceux qui luttent contre l'obscurantisme, à fortiori les Tunisiens dont j'ai couvert la formidable révolution, puis la suite... Je ne me cache de personne, tout est écrit et on me connait en Tunisie.

Dès qu'Abdelfattah Mourou est arrivé, naturellement je lui ai donné ma carte professionnelle – rédactrice en chef à Marianne – avec toutes mes coordonnées. Mon numéro de portable figure sur le sien puisque je l'ai appelé d'abord avec un portable tunisien, ensuite avec mon portable français.

La personnalité de Mourou est fascinante pour moi car, en étudiant ses précédentes et très nombreuses déclarations, et généralement son profil, il me semble qu'il a créé un phénomène qui lui a complètement échappé. Comment ce zitounien a-t-il vu son «enfant» comme il a qualifié Ennahdha à plusieurs reprises se transformer en monstre? Cette question, j'aimerais la lui poser si je devais le revoir, ce que je souhaite.

Il m'a parlé pendant trois quarts d'heures. Il m'a dit encore d'autres choses, notamment sur la violence quand je lui ai rappelé sa condamnation de la violence en 1991 après l'attaque d'un bureau du Rcd. Il m'a dit que l'on était maintenant dans la même situation qu'en 1991. Il voyait que je connaissais le sujet, et moi-même je n'étais pas surprise de ce qu'il me disait. Car, soyons clairs: il a dit toutes ces choses, sur le salafisme, sur les petites filles voilées, sur Ghannouchi, auparavant.

Le seul moment où j'ai été étonnée, c'est quand il m'a dit qu'Ennadha allait quitter le pouvoir. C'est pour cela que je lui ai demandé de répéter.

C'est du reste ce qu'il a confirmé hier sur Mosaïque en expliquant que les dirigeants incompétents devaient quitter la scène politique.

Au bout de 45 minutes, il devait se rendre à Hannibal TV et nous y sommes allés ensemble. Il devait passer sur leur plateau à 20 heures 15. Arrivés là-bas, il a demandé fort gentiment qu'on mette tout de suite une voiture à ma disposition pour me ramener à Tunis, au centre-ville. J'étais seule. Je travaille toujours seule, sans photographe. La photo parue sur notre site, c'est moi qui l'ai prise sur mon portable, sa fille nous a photographiés ensuite ensemble, souriants, et elle a repris une photo de son père, à ma demande et à celle de M. Mourou, car j'avais peur de ne pas être une excellente photographe.

A aucun moment, je n'ai eu l'impression d'un homme qui avait peur. Il était au contraire heureux et serein. Quand je lui ai demandé s'il n'était pas temps qu'il incarne cette identité tunisienne que les obscurantistes d'Ennahdha salissent, il m'a dit qu'il ne cessait pas de le clamer.

Rien n'a été déformé.

C'était une rencontre passionnante à un moment clé.

Que les hommes politiques prennent ensuite leurs distances avec ce qu'ils ont déclaré à un journaliste fait partie du jeu politique sous tous les cieux. L'essentiel, c'est qu'ils aient VOULU le dire.

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