Vers une stratégie de relance économique basée sur les services, prometteuse car susceptible de générer des richesses, et qui prévoit la mise en réserve de quelques produits de première nécessité.Vers une stratégie de relance économique basée sur les services, prometteuse car susceptible de générer des richesses, et qui prévoit la mise en réserve de quelques produits de première nécessité.

Par Abderrahman Jerraya

Jusqu'à présent, les discussions sur les plateaux de TV ont porté presque exclusivement sur le choix entre 2 modèles de société, en écho aux passes d'armes entre ceux qui, à l'Assemblée nationale constituante (Anc), se réclamaient d'un Etat civil trouvant son inspiration dans la déclaration universelle des droits de l'Homme et les textes qui lui sont subséquents. Et ceux qui considéraient la charia comme seul référent pour la rédaction de la constitution. Il s'agit là d'un débat idéologique qu'on croyait révolu, divisant profondément les Tunisiens parce qu'il procède de convictions personnelles propres à tout un chacun et in fine il est aussi dangereux qu'inutile. Si on continuait de palabrer de la sorte, il y a fort à parier que la nouvelle constitution ne verrait pas le jour de sitôt.

Des procédures lourdes et tatillonnes

Au plan économique et social, on relève aussi une erreur d'aiguillage, une procédure lourde et tatillonne. Le gouvernement dominé par Ennahdha, ayant promis monts et merveilles, croyait trouver réponse à tous les problèmes auxquels sont confrontés les Tunisiens, en particulier les plus démunis d'entre eux. Pour ce faire, il a adopté une approche plutôt bureaucratique. En témoigne la démarche suivie pour la réalisation du programme logement destiné aux plus nécessiteux. Ce faisant, il a dû se conformer à la réglementation en vigueur en la matière avec établissement de listes des bénéficiaires potentiels, de plans de logement types, de cahiers des charges correspondantes, d'appels d'offres... Alors qu'il aurait été plus rapide et plus efficace de mettre à contribution le réseau associatif. Certaines Ong ont inclus dans leur programme de développement une composante amélioration du logement. Faisant un travail de proximité et inscrivant leurs activités dans l'approche participative, elles étaient constamment à l'écoute des populations de leur zone d'intervention, de leurs doléances et de leurs besoins. En matière de logement notamment, ces Ong faisaient associer le bénéficiaire à toutes les étapes de mise en œuvre (préparation du plan de construction, travaux proprement dits, voire le choix de certains équipements). A défaut de ressources propres, l'intéressé pouvait contracter un micro crédit à l'Ong la plus proche.

La démarche participative aurait été plus adéquate

Tout cela pour dire que si le gouvernement avait privilégié la démarche participative dans la réalisation de petits projets de développement, il aurait non seulement évité de développer chez les concernés une mentalité d'éternels assistés mais aussi fait l'économie de tant de contestations, de grèves, de tensions sociales. Les formes de mécontentement plus ou moins violentes (sit-in à répétitions, barrages sur les routes, séquestration ou rejet de responsables locaux, débrayage d'usines...) n'étaient-elles pas la traduction d'un déficit de communication entre ceux «d'en haut» et ceux «d'en bas»?

A la décharge du gouvernement dominé par le parti Ennahdha, il aurait été plausible d'avancer que les besoins étaient incommensurables par rapport aux possibilités budgétaires du pays, n'eût été les largesses dont ont bénéficié aussi bien certains hauts placés à la tête de l'Etat, au titre de compensations que les élus privilégiés de l'Anc.

Il faut reconnaître cependant que si notre économie est fragile, si elle bat de l'aile, si elle tarde à décoller, ce n'est pas seulement en raison de débrayage de temps à autre de quelques unités industrielles, de la persistance de poches d'insécurité ici et là, mais surtout parce qu'elle est mal partie. Elle n'a pas généré assez de richesses et capitalisé les acquis: système éducatif en déshérence et déconnecté du marché, agriculture sinistrée perdant au fil des générations une bonne partie de son potentiel productif à la suite de l'émiettement de l'exploitation agricole (partages successifs entre héritiers), industrie extravertie sans effet d'entraînement, axée sur la sous-traitance, tourisme de masse peu innovant, secteur bancaire peu performant...

Pourtant, dès le lendemain de l'indépendance, le problème du développement du pays était considéré comme la priorité des priorités, porté à bras le corps, à telle enseigne qu'il a été qualifié par Bourguiba de «jihad el-akbar» (combat décisif), en comparaison à celui mené pour la libération nationale. Plusieurs modèles furent essayés. Mais aucun d'eux n'a réellement tenu ses promesses.

Changer de cap et sortir des sentiers battus

Dudit socialiste plus ou moins apparenté au modèle communiste avec collectivisation des moyens de production à l'économie de marché en passant par des formes intermédiaires associant trois secteurs plus ou moins concurrentiels: étatique, coopératif et privé. Il y a eu certes des investissements importants notamment en matière d'éducation, d'infrastructure (barrages avec périmètres irrigués, réseau routier), de tourisme, de création de pôles d'activités industrielles et technologiques mais le bilan était globalement timide, à comparer à celui obtenu par d'autres pays émergents ayant un niveau socioéconomique de départ similaire (certains pays du Sud-est asiatique ou d'Amérique latine).

Il serait tentant d'incriminer l'héritage des soixante dernières années de pouvoir absolu et de pensée unique, de surcroît truffées de corruption et de malversations, pour expliquer la situation de crise aigüe dans laquelle se débat la Tunisie d'aujourd'hui. Mais ce serait l'arbre qui cache la forêt.

Une des raisons, me semble-t-il, est qu'on n'avait pas suffisamment développé la culture du travail, investi dans les nouvelles technologies, soumis les projets de développement mis en œuvre à un suivi rigoureux et à une évaluation critique. On changeait facilement de fusil d'épaule. On était sous influence des bailleurs de fonds (Banque mondiale, Fonds monétaire international...).

On faisait l'amalgame de plusieurs modèles en oubliant que chacun d'eux avait sa propre logique et sa propre finalité. Ce faisant, on ne faisait que cumuler les inconvénients de 2 ou 3 systèmes à la fois. C'est dire qu'on cherchait la voie de la facilité, qu'on faisait du bricolage. L'intervention de l'Etat dans la fixation de certains produits de base dans une économie dite de marché en est l'illustration la plus éloquente.

Ceci dit, on peut se demander pourquoi ne pas changer de cap, sortir carrément des sentiers battus? Pourquoi ne pas chercher à valoriser au mieux la seule ressource dont dispose le pays à savoir son capital humain? Une telle opportunité peut s'offrir en se référant au modèle chypriote (partie grecque).

Le modèle chypriote basé sur les services

Voilà un pays proche de nous, dont on parle peu, aux ressources naturelles très limitées, au climat et aux traditions assez semblables aux nôtres, qui a misé sur les services, en particulier sur le secteur bancaire, le tourisme et le transport pour développer son économie et créer des richesses. Après quelques années, les résultats sont là. Un niveau de vie qui n'a rien à envier aux pays européens les plus prospères. Une telle orientation n'est pas en contradiction avec le statut de pays avancé que la Tunisie vient d'acquérir récemment auprès de l'Union européenne. Bien au contraire, dans la mesure où ce statut prévoit notamment l'ouverture des frontières et la libre circulation des marchandises.

Dans ce contexte, l'on comprend mal comment des entraves de toutes sortes sont parfois dressées avec notre voisin du Sud, perturbant la fluidité des échanges commerciaux entre les 2 pays. Alors que l'intérêt des 2 pays commandait de les faciliter, de les encourager. Evoquer la nécessité de garder les produits locaux pour la consommation interne, au motif qu'ils sont subventionnés, ou qu'ils ne sont pas assez disponibles ne tient pas la route.

Il faut trouver pour les uns d'autres mécanismes de soutien et pour les autres s'adresser au marché mondial : acheter et vendre devraient être la règle d'or pour assurer l'équilibre entre l'offre et la demande. D'autant que le pays n'a pas assez de profondeur stratégique (il suffit de peu pour qu'il y ait rareté ou au contraire abondance en certains produits alimentaires de base) ni assez de ressources pour se suffire à lui-même. Développer des relations commerciales avec nos voisins immédiats doit être un objectif prioritaire, non seulement pour fidéliser une clientèle dans un contexte de rude concurrence mais aussi pour consolider nos liens avec ces pays, en perspective de l'Union du Maghreb arabe (Uma).

L'organisation patronale (Utica) ne s'était pas trompée en optant pour la voie maritime comme alternative au transport terrestre des marchandises, en attendant la sécurisation du poste frontalier Ras Jedir. N'oublions pas que les Carthaginois étaient avant tout des commerçants et avaient fait de l'Ifriqiya d'alors une puissance méditerranéenne de 1er plan. Leur exemple mérite d'être médité. C'est pourquoi une stratégie basée sur les services, prévoyant la mise en réserve de quelques produits de 1ère nécessité, me paraît prometteuse car elle est susceptible de générer des richesses. Lesquelles pourraient faire l'objet, «demain, d'investissements et être un gisement d'emplois pour le lendemain.»

* Universitaire.