altLes Ong tunisiennes doivent passer du statut de forces d’opposition ou de satellites du pouvoir en place à celui de forces de propositions et d’alternatives. C’est ainsi que la Tunisie de demain sera mieux faite.

Par Mohsen Kalboussi*


La construction d’une société démocratique suppose la mise en place de certains mécanismes de fonctionnement de l’appareil d’Etat qui doit se mettre au service de la société et non l’inverse, comme cela s’est passé durant plus d’un demi siècle chez nous. Une des manifestations de ce revirement de situation est l’interaction entre les propositions de la société civile et les gouvernants.

Il est clair qu’un des principaux acquis de la révolution du 14 janvier 2011 est la liberté de s’organiser en association (ou Ong), d’où le nombre – encore en accroissement – de plus en plus important d’associations traitant des thématiques les plus diverses.

Apprendre à vivre avec l’autre

Les quelques consultations qui ont été faites entre des membres du gouvernement et les associations, notamment en ce qui concerne les projets de développement régionaux, se sont déroulées dans un climat de tension et se sont soldées parfois par des échauffourées, voire même interrompus.

Ces faits soulignent un point important dans nos attitudes les uns envers les autres. Chacun croit posséder «la» vérité, et ne se trouve pas prêt pour écouter ceux qui pensent différemment ou vont à l’encontre de ses thèses. Ainsi, va-t-il de tous les «démocrates» de ce pays: chacun se prétend ainsi et veut bien que tout le monde suive ses idées et pratiques!

Honnêtement, nous avons tous vécu dans un climat d’autoritarisme, et avons toujours subi, de gré ou de force, les décisions «faites pour nous». Ceux qui auraient protesté seraient flagellés ou, pire, condamnés au silence…

Comme nous vivons une nouvelle période historique, nous apprenons chacun de son côté à vivre avec l’autre, mais avec toutes les tares héritées d’un passé  proche, et que nous pouvons résumer en les points suivants:

1- nous n’avons pas encore créé d’espaces de dialogue où divers protagonistes peuvent présenter leurs idées sans risque d’être interrompus ou, pire, tabassés. La culture démocratique, dans le sens du respect de l’autre et du dialogue serein, a encore du temps pour faire partie de nos mœurs sociales et politiques;

2- le nouveau tissu associatif peine à émerger, simplement parce qu’il manque de moyens d’action et de traditions, et constituer ainsi un cadre d’acculturation, de formation et d’initiation à la coexistence pacifique de différents courants d’idées ou de points de vue;

3- les partis politiques qui devraient former leurs militants de base ou cadres n’assurent pas cette mission, pour de multiples raisons dont l’absence de l’idée de formation ou même de programme fédérateur. Ces activités internes initient les membres au débat, à la réflexion et à l’argumentation dans leurs rapports aux citoyens;

4- les différentes familles politiques n’ont pas encore initié de dialogue entre elles en dehors, bien sûr, de celles qui sont très proches les unes des autres. En conséquent, nos concitoyens ne se sont pas encore habitués à voir des personnes à profils très différents et discutant sereinement ensemble;

5 - finalement, les discussions et débats médiatisés ne se sont pas encore orientés vers la confrontation d’idées sur des questions concrètes ou aussi sur les tendances actuelles du gouvernement et de la constituante en vue de procéder aux réformes nécessaires de l’appareil d’Etat afin de rassurer nos concitoyens sur leur avenir, sachant que ce dernier point ne peut être unilatéralement décidé, car aucune structure politique ne peut assumer à elle seule les conséquences d’échecs éventuels de ses choix. Elle ne peut pas également les imposer à la société, simplement parce que cette dernière ne laisse pas faire et réagira chaque fois où elle sent que ses intérêts ou ses acquis ne seraient pas garantis ou renforcés.

Le gouvernement a tendance à ignorer la société civile

La société civile suit de près la politique gouvernementale et présente –globalement – deux types de réactions par rapport à ce qui se passe dans le pays :

- une attitude très critique envers la politique prônée par les autorités en place, en raison du fait que les réponses mises en place sont très en-deçà des attentes ;

- une réponse très positive concernant les besoins éprouvés par une partie de la population, surtout en période de détresse (réfugiés libyens, inondations, vague de froid…).

Les autorités acceptent mal le premier type de positionnement, car le gouvernement actuel sent qu’il fournit beaucoup d’efforts pour répondre aux besoins de la société et qu’il a plutôt besoin du soutien de la société civile que du contraire. Les réactions de cette dernière sont alors qualifiées de «négatives» et que ses prises de position n’arrangent en rien la situation, mais la compliquent davantage.

Cette attitude de suspicion de la société civile n’est pas nouvelle, mais relève d’une réaction classique de toute autorité. Le gouvernement a donc tendance à ignorer la société civile, voulant par là dire que le pouvoir de décision revient toujours aux politiques, et non aux associations.

On a toujours essayé, en Tunisie, de définir le rôle de la société civile comme soutien aux politiques gouvernementales et l’on n’a jamais accepté qu’elle assure un rôle de contre-pouvoir.

Ce genre d’attitude semble perdurer dans les mêmes sphères, même si certains ont tendance à la réfuter. L’on a l’impression que les autorités s’attendent à ce que les associations prennent en charge une partie des problèmes du développement du pays. On voit clairement qu’aucun projet gouvernemental n’a été délégué à une association. Pire, nous ne savons pas si une partie des budgets alloués aux différents ministères sont destinés aux associations, afin que ces dernières réalisent des projets concrets en faveur de la population.

Les Ong comme force de propositions et d’alternatives

Ce dernier point est d’une importance capitale dans les politiques actuelles ou futures en Tunisie. En effet, si un soutien financier public n’est pas apporté aux associations, ces dernières se trouveront dans l’obligation de rechercher des financements non nationaux, avec tous les risques que cela comprend. Ceux qui refuseraient l’argent étranger se verraient condamnés à l’inaction quelles que soient leurs bonnes volontés!

Il est donc impératif que les autorités nationales accordent des fonds aux associations, afin que ces dernières arrivent à bouger sur le terrain et apportent des solutions aux problèmes auxquels ils s’attaquent.

Remarquons qu’il est judicieux de la part des politiques de financer des associations pour chercher des solutions inédites à des problèmes difficiles à résoudre. Les Ong ont la capacité ingénieuse de trouver des solutions peu coûteuses et efficaces à des problèmes étriqués d’environnement ou de développement. Il suffit de regarder ailleurs (Afrique subsaharienne, Asie, Amérique latine) pour s’en convaincre. Le système clientéliste ayant prévalu dans le financement des associations ne peut plus perdurer, et les autorités publiques ne peuvent en aucun cas entretenir ce système ou le perfectionner davantage. La gestion de l’argent public doit se faire dans la transparence, et tout abus se doit d’être démasqué et porté à la connaissance du public.

Fini également le temps où les associations étaient considérées comme antichambres du pouvoir. Nombreux présidents d’associations – indétrônables – comme leurs maîtres au pouvoir, rêvant d’accéder un jour à un poste de responsabilité de premier plan.

Les Ong reprennent leur noble mission, à savoir qu’elles sont les porte-voix de ceux qui n’en ont pas, et regroupent des gens animés par la volonté de contribuer au développement du pays et de ses citoyens…

Si actuellement, les autorités ignorent les protestations de la société civile et n’accordent aucun crédit à leurs revendications, c’est qu’elles se trouvent dans l’erreur et paieraient cher cette attitude doublement irresponsable et même suicidaire.

Un seul mot, pour les Ong nationales: la bonne volonté à elle seule ne suffit pas pour faire avancer sur la voie du développement du pays, surtout que les problèmes confrontés sont le plus souvent complexes et appellent des démarches innovantes. Le passage à l’action par la mise en place de projets visant à améliorer la qualité de la vie de nos concitoyens est impératif, moyennant une formation de leurs cadres afin de bien monter des dossiers et les mettre par la suite en pratique.

La société civile a toujours été une force d’opposition pour défendre l’intérêt général. Il est temps pour que les associations tunisiennes se transforment en force de propositions et d’alternatives; c’est ainsi que la Tunisie de demain sera mieux faite.

*Universitaire.