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La révolution tunisienne ne s’achèvera que si la sainte trinité des tabous, politique, religion et sexe, est abolie. Aujourd’hui nous sommes loin du compte…

Par Karim Ben Slimane*


Dans notre société sexe, religion et politique constituent la sainte trinité des tabous. Si après la révolution et la chute du régime de Ben Ali les langues dans le champ politique se sont à peu près déliées, la liberté de ton en matière de sexe et de religion ne fait quant à elle que régresser. Cette situation donne un goût d’inachevé à la révolution et l’éloigne de ses deux utopies: la liberté et la dignité.

Crise de représentation, déficit d’autorité et absence de contre-pouvoir réel

Scène du film ''Asfour Stah'' de Férid Boughedir.

Après le départ de Ben Ali, le champ politique s’est clairement étoffé jusqu’à la boulimie de nouveaux partis politiques, de nouvelles têtes et d’institutions. Le premier chantier post révolution auquel la Tunisie s’est attelée a été justement la politique. Il fallait aménager un espace d’expression à la diversité des courants et des idées et produire des règles du jeu souvent faites de bric et de broc.

Cette stratégie était censée asseoir les fondements de la démocratie et la liberté d’expression. Loin d’être acquise la démocratie tunisienne encore vacillante souffre aujourd’hui de trois faiblesses: une crise de la représentation, un déficit d’autorité au niveau de l’Etat et une absence d’un contre-pouvoir réel.

Le champ politique est au cœur de tout système social il est donc normal que le souci de jeter les bases de la démocratie passe par les réformes politiques. Toutefois, la démocratie entendue comme l’expression de la diversité mais aussi comme le diktat de la majorité n’est pas à elle seule la garante des libertés ni d’ailleurs le rempart contre l’arbitraire.

L’Histoire nous a appris que les pires horreurs ont été commises par des régimes arrivés au pouvoir grâce aux urnes. Aujourd’hui, en Europe l’extrême droite xénophobe et nationaliste tire sa force de la légitimité du vote des citoyens.

Black-out sur les libertés en matière de religion et de sexe

L'art, dernier refuge de la liberté d'expression. Jusqu'à quand?

La focalisation en Tunisie sur les libertés politiques et le black-out sur les libertés en matière de religion et de sexe ont de quoi nous inquiéter.

La démocratie n’est pas une fin en soi, si elle ne garantit pas la dignité de l’individu et ne garantit pas le droit d’être différent elle est le chemin le plus court et le plus sûr vers la tyrannie.

Ce n’est un secret pour personne, la liberté de ton en matière de religion s’est réduite comme peau de chagrin dans la Tunisie de la post révolution. Il ne s’agit pas seulement de la liberté de conscience qui doit garantir à tout citoyen de vivre sa foi ou son athéisme comme il l’entend sans être inquiété mais aussi de l’expression des différences au sein même de l’islam.

Les appels répétés à l’excommunication (takfir) sont le signe d’un raidissement dangereux des esprits. On ne peut plus parler de religion sans qu’on soit mis dans une catégorie parmi trois. La première est celle des musulmans qui sont dans le droit chemin, les bienheureux. La deuxième est celle des musulmans égarés qui pratiquent un rite différent ou souscrivent à une école de pensée différente. La troisième, une espèce de fourre-tout, dans laquelle on met indistinctement les laïques, les athées et tous ceux qui sont considérés comme des brebis galeuses.

Aujourd’hui, la liberté de conscience et de culte n’existe pas en Tunisie. Le pire est qu’on ne semble pas s’en inquiéter. Touche pas à mon athée, il est le garant de la noblesse de ma foi tolérante et solide!

Le sexe constitue le troisième tabou et sans doute celui dont la peau parait être la plus dure. Les musulmans ont un problème avec le corps. Mutilé par le châtiment, caché sous des étoffes noires et hideuses qui masquent les formes et subtilisent les identités, bridé dans ses pulsions charnelles les plus naturelles au nom de la vertu, le corps concentre les frustrations et les fantasmes des musulmans. Quand des individus grandissent et nourrissent tant de frustrations par rapport à leur corps ils peuvent difficilement aspirer à l’émancipation de leur esprit.

L’individu et la propriété de son corps

Le corps est un tabou politique dans les sociétés musulmanes.

Une fois, en me promenant dans un parc public, j’ai surpris deux jeunes adolescents la quinzaine à peine révolue en train de se prélasser. La fille portait le voile. Certains auraient été doublement scandalisés à la fois par cette amourette nubile et clandestine mais surtout par le bigotisme de la fille; moi j’ai trouvé la scène attendrissante. Car quoi qu’on fasse on ne peut pas brider l’élan du corps qu’on soit voilée ou pas.

L’Egypte où la société est plus conservatrice et où la pratique de l’islam est plus répandue et plus rigoureuse souffre pourtant du fléau du harcèlement sexuel dénoncé dans l’excellent film ‘‘678’’. L’idée que la foi et la vertu peuvent sublimer les pulsions naturelles du corps est une aberration philosophique qui produit des individus frustrés. La société ne semble portant pas vouloir céder à l’individu le titre de propriété de son corps.

La révolution ne s’achèvera que si la sainte trinité des tabous, politique, religion et sexe, est abolie. Aujourd’hui nous sommes loin du compte.

*Spectateur engagé dans la vie politique tunisienne.

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