Deux dirigeants d’Ennahdha animent des émissions religieuses pendant ramadan. Ce mélange, où se mêlent prosélytisme religieux et propagande politique, ne choque curieusement pas grand-monde.

Par Rachid Barnat


 

C’est ramadan. Le mois sacré par excellence, puisque lors de la Nuit du Destin (Laylat al-Qadr), à la dernière semaine de ce mois, le Coran a été révélé au prophète Mohamed par l’archange Gabriel.

C’est pourquoi traditionnellement les musulmans le consacrent à la lecture du Coran, mais aussi à des soirées littéraires et à des débats intellectuels, dans le but de nourrir l’esprit des croyants, après les nourritures terrestres; ces soirées débutant après la rupture du jeûne jusque tard dans la nuit.

Indigence «culturelle» des animateurs

Mais voilà les chaines de télévisions se sont emparées de ce qui était une  occasion propice à la réflexion et à l’élévation de l’âme et de l’esprit pour concocter chacune son émission religieuse «spéciale ramadan».

Et comme prévu, des émissions religieuses, toutes chaînes confondues, se sont multipliées.

Noureddine Khademi, ministre des Affaires religieuses et animateur d'émissions religieuses.

La concurrence aidant, les programmateurs à qui mieux-mieux, vont faire du populisme pour attirer le plus de téléspectateurs; recette «payante» expérimentées par d’autres TV dans le monde!

Spectacles souvent affligeants et, plus grave encore, décelant une indigence «culturelle» des animateurs que sont les pseudo imams autoproclamés cheikhs!

Si certaines chaines, plus habiles que d’autre, mélangent les genres en donnant la parole à des hommes de qualité tels que cheikh Mohamed Rached al Sharif ou nous donnent à entendre l’excellent cheikh Abdelbasset Abdessamad, cela ne les empêche pas de passer à la médiocrité la plus terre à terre dans d’autres émissions!

Du prosélytisme chiite versus wahhabite

Certains chefs de programmation copieront des émissions telles que Star Ac’, avec concours de psalmodie du Coran pour tous les âges et remise de prix au meilleur récitant.

Copiant ce que font les chiites sur leurs chaines TV, ils invitent les «stars iraniennes» du moment qui, sous la houlette du chargé d’affaire culturelle auprès de l’ambassade iranienne, font leur «spectacle», mais font aussi insidieusement du prosélytisme au chiisme.

Les responsables de ces émissions, en sont-ils seulement conscients?

D’autres débattent des heures durant de la longueur du voile des femmes, de la burqa et des «parties» de leurs corps à couvrir, considérées «honteuses», pour être de «bonnes musulmanes»!

D’autres encore répondent «en direct» aux questions de téléspectateurs désireux de se conformer aux préceptes de la chariâ pour ne pas tomber dans le «haram» (illicite) et pour être de bons musulmans! Souvent, et c’est ahurissant, ces questions dénotent une débilité affligeante des intervenants comme de ceux qui y répondent; et proviennent souvent de personnes vivant en Europe!

Mourou et Khademi : des cheikhs cathodiques

Un des animateurs d’une de ces émissions s’est vu adjoindre comme co-animateur Noureddine Khademi, le ministre des Affaires religieuses en Tunisie donc un homme politique, qui n’était autre que l’iman salafiste aux discours incendiaires de la mosquée El Fath à Tunis.

Cherche-t-il à se faire de la pub ou veut-il «adoucir» son image de «dur», en se présentant aux côtés d’un imam au regard doux et à la voix douce… Douceur qui rejaillirait sur son «invité» dans l’esprit des téléspectateurs pour leur faire oublier le tempétueux imam salafiste qui appelait à la haine et au meurtre des «kouffars» (mécréants)?

Ou s’est-il imposé à cette émission pour mieux faire de la propagande à Ennahdha à travers sa personne et «vendre» la chariâ, unique programme de son parti, en lieu et place du Code civil aux Tunisiens?

De même, la présence répétée de Abdelfattah Mourou sur les plateaux TV, durant ces nuits ramadanesques, n’est pas innocente quand on sait l’impact de l’image des hommes politiques sur le public! Prosélytisme pour la chariâ, programme d’Ennahdha, ou campagne électorale avant l’heure? Autrement, que faut-il entendre de son exhortation à aller sur le terrain pour «islamiser» le peuple? Est-ce à dire que les Tunisiens ne sont pas musulmans? Ou veut-il dire qu’il faille les convertir aux pratiques wahhabites de son ami Ghannouchi, puisque de plus en plus de Tunisiens sont agressés à l’intérieur des mosquées par des salafistes qui veulent leur imposer le rite wahhabite…. sans que le gouvernement Ghannouchi n’intervienne? Sa récente agression par des islamistes lui fera-t-elle comprendre que son prosélytisme, même s’il se veut lui-même «modéré», ne peut qu’exaspérer les passions malsaines et inciter les obscurantistes arriérés à plus de désordre et de violences.

Mohamed Rachad al-Sharif.

Que pense l’opposition de cette propagande assurée par deux hommes d’Ennahdha sous couvert de «religion», et de leur présence cathodique répétée sous prétexte «ramadanesque»?

Les six grands péchés

Un cheikh palestinien en vogue, Abd Jabba Saïd, fait carrément le prosélytisme pour le wahhabisme en énumérant les interdits faits aux femmes et en les «justifiant» par des hadiths et des anecdotes rapportés par Ibn Muslim Ibn el Hajjaj et Mouhammad al Boukhari, dont voici les 6 grands péchés («haram!»):

- la femme doit baisser toujours son regard en présence de l’homme;

- elle ne doit jamais élever la voix, car sa voix forte est «awra»;

- il lui est interdit de se mettre en colère; ce qui peut justifier que son mari la «corrige»;

- elle doit se couvrir tout le corps qui est considéré «honteux» («awra»). Car tout en elle peut «éveiller» l’appétit des hommes. Il lui est permis toute fois, de ne pas couvrir le visage et les mains. Quoi que cela puisse se discuter, dit cet imam qui ne condamne pas le niqab cachant le visage ni le port de gants pour cacher les mains;

- n’est considérée comme partie honteuse («awra») du corps de l’homme que tout ce qui est situé entre son nombril et ses genoux;

- tout isolement avec un homme est interdit aux femmes. En dehors de son mari, cela va de soi;

- pas d’attouchement, même pas serrer la main d’un homme pour le saluer. Cela pourrait  lui donner de «mauvaises idées»!

Et l’ultime recommandation que délivre ce cheikh: «Pour éviter la ‘‘fitna’’ (discorde) dans la oumma, il faut toujours obéir au chef!», rappelant ainsi ce qui fonde le wahhabisme!.

Et que dire de la profusion de feuilletons et de téléfilms faisant la propagande au salafisme wahhabite!

Et voilà le niveau intellectuel auquel les peuples sont livrés par des émissions animées par des imams obscurantistes dont le seul but est de répandre le plus largement possible le wahhabisme! Une doctrine pour laquelle les pétro-monarques n’hésitent pas à déclencher des guerres. Ce fut le cas pour la Libye et c’est encore le cas pour la Syrie.

Emissions, soit dit en passant, mélangeant le religieux au populisme bassement électoraliste des islamistes au pouvoir ! Sacrilège en ce mois saint. Choquant mélange.

Pourtant le «serviteur des lieux saints», comme aime se faire appeler le roi Ibn Saoud, aurait pu, en cette période sacrée entre toutes, appeler à une trêve d’autant qu’il s’agit de guerre entre «frères» musulmans!

Abdelfattah Mourou, star des émissions religieuses de ramadan.

Voilà donc comment on abrutit le peuple avec des sornettes  en les endoctrinant au wahhabisme, que des pétro-monarques financent et encouragent n’hésitant pas à déclencher des guerres fratricides entre musulmans. Ecrivant cela, je tomberai sans doute sur l’infraction d’atteinte au sacré que les islamistes veulent instaurer et qui montre bien que ce texte serait liberticide; à moins que ce ne soient les responsables de ce parti qui doivent être poursuivis pour sacrilège, quand ils osent instrumentaliser les activités spécifiques du mois de Ramadan à des fins bassement politiques!

Lamentable hypocrisie de ces pétro-monarques, des imams qui les soutiennent et des hommes politiques qui jouent leur jeu en livrant la Tunisie et les Tunisiens à leur hégémonie et à leur cupidité!

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